Jörg Döring et Go Jeunejean
Quoi de neuf ? me demandais-je, en me rendant ce samedi 20 octobre à la Galerie Schortgen Artworks (1), afin d’assister au vernissage de ces deux artistes que je ne vous présente pas pour la première fois. Eh bien, la question de renouvellement je la pose avant tout au peintre, graveur, collagiste, ainsi que maître es techniques mixtes et Pop art de Düsseldorf,
Jörg Döring.
C’est que chez lui, il n’y a de neuf que l’ancien. La nouveauté jaillit de la nuance imprévue dans la continuation et la redécouverte du déjà découvert sous un angle toujours vert et volubile. C’est l’expression artistique du « tout permis » des trente glorieuses, affinée au goût du jour. C’était le temps du top de tous les espoirs s’incarnant dans le pop, le glamour et les stars. Voici, en effet, déjà près de vingt ans, en fait depuis 1999, qu’il nous revient encore et encore, d’abord tous les deux à trois ans, puis annuellement. La période maîtresse du Pop art a beau avoir été située par la critique dans la 2e partie du XXe siècle, notre poly-artiste rencontre toujours autant de succès. De plus, vu la qualité de son ouvrage et son aisance souveraine dans le genre « souvenirs-souvenirs » de la grande époque cinématographique, cela n’est pas près de se démentir. Aussi, son vernissage de ce samedi 20 octobre ne réunissait pas seulement plus d’invités que d’ordinaire, mais voyait également déjà les premières ventes, ainsi qu’un flux ininterrompu d’amateurs, d’admirateurs, ou même de simples curieux, remplir la salle d’exposition, ce qui ne me facilitait pas la tâche. Et il fallut toute la prévenance de madame Finck, la charmante galeriste, pour que je ne prenne pas les jambes à mon cou, remettant ma visite à un après-midi plus tranquille. Je restai donc, et le bout de compagnie qu’elle m’accorda en dépit de ses obligations vis-à-vis de visiteurs parfois pressants, suffit à me remettre dans le bain « döringien ».
Pour le reste, je trouverais de quoi, comme d’habitude, sur Internet et dans mes années de mémoire et d’archives, capital non négligeable, accumulé depuis que je fis la connaissance de Jörg Döring en 2007 afin de vous présenter ses créations ensuite, opération renouvelée une demi-douzaine de fois depuis. Le fait est, que le succès rencontré chez nous par l’artiste est principalement dû à son vaste spectre imaginatif, au show toujours renouvelé de ses tableaux au glamour certain, aux harmonies chromatiques parfaites et à un style rétro qui ne veut pas lasser. Reste, que le star-system années 60-70 lui offre un vaste vivier d’icones, dont il contribue autant à prolonger l’« immortalité » que sa propre réussite. Rien de plus normal au fond ! En effet, ça fait une trotte, que la doctrine contemporaine « officielle » porte de plus en plus au pinacle ces outrances dites Art conceptuel et qui ne ressemble plus à grand-chose, sinon à rien du tout, ou pire. Les amateurs d’un art qui leur parle se tournent par conséquent vers ce qu’ils trouvent tout simplement beau, non asservi aux modes et aux dictats des grandes enchères. Un large retour au néo-expressionnisme, néo-impressionnisme, fantastique, surréalisme, abstrait, pop art, op art, hyperréalisme, vintage, etc. le prouve. Döring, lui, s’inscrivit dès ses débuts dans la mouvance du Pop new-yorkais et de ces monstres sacrés que furent Lichtenstein, Warhol et Wesselmann. Aussi leur exprime-t-il dans de nombreuses oeuvres son admiration au sens large terme, mais sans servitude aucune.
Il y environ 2 ans, Döring a introduit dans ses créations un nouveau procédé, qui m’a tout d’abord laissé perplexe, mais qui – pari réussi – a rencontré beaucoup de succès. La galerie nous l’a fort bien décrit l’année passée dans un petit prospectus : « ... l’application d’une résine époxy en une couche épaisse et à épaisseur variée sur les tableaux de Jörg Döring vient leur apporter une profondeur, qui donne un effet unique aux sujets et à l’ambiance qui les enveloppe. Cela constitue une adroite symbiose entre photographie, écriture et peinture... » (2). Une autre nouveauté, ou plutôt évolution, réside dans le rôle accru, mais toujours secondaire, que Döring accorde à des touches de penture abstraite encadrant moins la photographie de base, que semblant vouloir l’englober, sans vraiment y parvenir. Il y a plutôt partage entre figuratif-photo, abstrait-peinture et, entre les deux, la magie de l’artiste. De vastes tableaux comme « Hundred years, Choosing me, ou autres Make photos en offrent la parfaite démonstration, sans compter que nombre de petits formats ne sont pas en reste.
Quant à sa très riche et passionnante biographie, depuis sa naissance en 1965 en Rhénanie-du-Nord-Westphalie, jusqu’à son établissement dans un vaste atelier à Düsseldorf-Meerbusch et son succès international présent, en passant par ses débuts modestes dans l’industrielle et provinciale Essen, faudra y renoncer cette fois, amis lecteurs. Je veux, en effet, encore vous parler de cet autre créateur, assembleur, récupérateur, transformateur, sculpteur et génial bricoleur qu’est l’artiste belge
Go Jeunejean,
qui mérite sans doute encore quelque « ...eur » supplémentaire, qui ne me viennent pas à l’esprit pour l’heure. Certains d’entre vous ont sans doute déjà eu l’occasion de se réjouir il y a trois bonnes années chez Schortgen à la vue de ses incroyables artefacts. Je pense à ses robots fantaisie, machines invraisemblables et véhicules improbables, fruits d’une imagination ruant dans tous les sens, tel cavale folle, mais que son esprit d’artiste et sa virtuosité mécanique maîtrisent aussi bien que le pourrait un technicien-chef de George Lucas (avec qui il rêve de travailler) dans la Guerre des étoiles. Il y a toutefois des chances que vous ayez raté cette expo et ne vous souveniez pas de mon précédent article. Aussi, me voilà à vous rappeler, sinon à vous apprendre, ce que j’ai pu découvrir aujourd’hui à la galerie, où grâce à une plus grande visibilité de ses tableaux, le peintre lui vole involontairement la vedette. Mais ce second rôle est tout-à-fait immérité et vous aurez tôt fait de réaliser, qu’en originalité, créativité et nouveauté, Go n’a besoin d’envier personne.
En attendant d’admirer ses réalisations, nous apprenons sur son fascinant site Internet (3) qu’il s’appelle, selon l’état civil, Grégory Jeunejean et est né en 1970 à Vielsalm dans l’autre Luxembourg, notre voisin belge. À dix-huit ans Go s’installe à Liège, y accomplit ses études à Saint Luc et obtient en 1991 son diplôme en Arts Graphiques. Se considérant comme le plus liégeois des ardennais, il ne quitte plus sa ville d’adoption, s’y marie et a trois enfants. Son parcours professionnel, très éclectique, a pour fil rouge la création. De l’archéologie à la menuiserie en passant par le dessin, il s’enrichira de chaque expérience afin de servir son art. Une de ses principales sources d’inspiration est certainement le fait d’avoir grandi dans le magasin de jouets familial. Ses créations vous encouragent à retrouver votre regard d’enfant. Son autre source d’inspiration est une admiration-culte pour la science-fiction des années cinquante à soixante-dix, ce qui le pousse à donner, par des assemblages pour le moins originaux, une seconde vie à toutes sortes d’objets obsolètes et/ou rebutés : métempsychose aussi étonnante que, parfois, troublante.
Quant à la cohabitation de cet émule en bricolage et inventivité des célèbres Géo Trouvetou (de Walt Disney), ou autres Tryphon Tournesol (ami de Tintin), avec les tableaux du peintre Jörg Döring, je la trouve pour le moins discutable. Entre nous – clin d’œil à Jean-Paul Schortgen – rapprocher Jeunejean d’un Wojciech Siudmak, ou d’un Tim White me semblerait plus approprié. Et si d’aucuns prétendent que ses créations fantaisistes et biscornues ne sont pas du grand art, je réponds, primo, qu’à l’instar de ce qu’on pense d’Halleux (4), Arthuis ou Brauer, c’est affaire de goût et, secundo, que son GARdien ailé (5), son Mega zone ou ses Delta B1 et B2 valent à mon avis bien mieux que la plupart des Koons. À vous de jouer à présent !
Giulio-Enrico Pisani
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1) Galerie Schortgen Artworks, 24, rue Beaumont, Luxembourg centre. Exposition Jörg Döring, mardi à samedi de 10,30 à 12,30 et de 13,30 à 18 h. jusqu’au 30 novembre.
2) Texte légèrement abrégé et modifié
3) Un site qui, franchement, vaut largement le détour : www.go-jeunejean.be/
4) Sur Stéphane Halleux, lire notamment mon article sub www.zlv.lu/spip/spip.php?article9322
5) Nom inventé par moi, au vu de sa position fort impressionnante près de l’entrée de la galerie, car j’ignore comment l’appelle l’artiste, qui, j’espère, voudra me pardonner.
Jörg Döring : Hundred years