Kultur

Chez Orfèo

Annamaria Zanella, Renzo Pasquale et Yola Reding

Une fois de plus les époux Ciacchini de la galerie d’art Orfèo (1) nous séduisent avec la formule qui a fait leur succès, le rez-de-chaussée étant consacré à l’orfèvrerie et le premier étage à d’autres arts, comme la sculpture, le tournage sur bois ou sur métal, la céramique, le cristal soufflé et sculpté, la peinture et j’en passe. Mais ces domaines sont loin d’être figés et certains artistes peuvent aussi bien se retrouver à exposer leurs artefacts parmi les bijoux que parmi les beaux objets. Simple question de taille et de destination.

L’essentiel est qu’un créateur soit capable d’exprimer par l’intermédiaire de son art une poésie transcendant ses qualités formelles et esthétiques. Et voilà qui se vérifie une fois de plus avec

Annamaria Zanella,

que j’eus déjà le plaisir de rencontrer il y a quelques années à la galerie et dont je vous ai présenté le travail à deux reprises. Déjà à l’époque, Annamaria convint avec moi que rien de fondamental ne séparait l’orfèvre ou le joaillier créateur du sculpteur ou du miniaturiste. (2) Il n’y a pour moi en effet aucun doute que les splendides broches, bagues et colliers qu’elle crée sont de véritables sculptures contemporaines portables. Quasi futuristes en fait, peut-être plus sévères cette fois, ses joyaux nous permettent de retrouver une créativité qui explose comme un feu d’artifice la matière première que cette magicienne transfigure pour nous dans sa forge secrète. L’orfèvrerie d’Annamaria Zanella ne se cantonne pas au rare ou au précieux. Certes, l’or et l’argent participent à ses créations. Mais celles-ci comprennent bien d’autres matériaux qu’elle ennoblit par mise en forme, assemblage, émaillage, niellage et au-tres procédés pour aboutir à ces sculptures miniatures d’un goût exquis, où l’on retrouve toute la magie de cette Vénétie, où se rencontrent depuis trois mille ans l’orient et l’occident.

Elle est née en effet 1966 en Italie, à Sant’Angelo di Piove di Sacco près de Padova (Padoue, Vénétie) et a été diplômée en 1985 à l’Istituto Statale d’Arte « Pietro Selvatico » à Padova, section design de métaux et joaillerie. Annamaria a également étudié de 1988 à 1992 à l’Académie des Beaux Arts de Venise, section Sculpture, dont elle est graduée. Et, comme si cela ne suffisait pas, elle a suivi en 1990 des cours d’émaillage grand feu sur métal dans une école supérieure d’arts appliqués à Pforzheim. Pour le reste, ses postes d’enseignement, prix et expositions, je vous les laisse découvrir chez Orfèo, ou sur Internet, où l’artiste est très citée. Mais en attendant, jetons donc un coup d’oeil sur les créations de

Renzo Pasquale,

qui partagent avec Annamaria Zanella les vitrines du rez-de-chaussée. Renzo est né en 1947 à Padoue, capitale de l’orfèvrerie. Naguère surtout religieux (icônes, reliquaires), puis de plus en plus profane, cet art semble avoir partagé l’intérêt du jeune Renzo avec les sciences. Celui-ci étudie en effet biologie à l’Université de Padova de 1967 à 1974 tout en apprenant déjà le métier d’orfèvre. Le fait est qu’il enseigne dès 1971 et jusqu’à 2007 l’art des métaux et l’orfèvrerie au célèbre Istituto Statale d’Arte « Pietro Selvatico » à Padova, où a étudié Annamaria Zanella.

Porté sur les structures géométriques d’une grande simplicité et le travail avec des métaux précieux, Renzo Pasquale allie dans ses bijoux sobriété, élégance avec un goût très sûr. Disais-je précieux ? Oui, mais l’or n’exclut pas l’aluminium, ni le lapis-lazuli le granit ; à quoi s’ajoutent bien d’autres matériaux, comme le titane, l’agate, le plexi, etc. Cependant, ses bijoux ne le sont qu’en apparence, simples, et leurs énigmatiques géométries feraient perdre le nord à Euclide lui-même. Quant aux matériaux qu’il travaille, il les assemble avec des accords parfaits des couleurs – or, lapis, argent, ardoise – et des structures de surface – grenu, niellé, brillant, griffé, mat. Et que dire de « Oltre » cette broche, suite de portes ou fenêtres à arc en perspective qui invite à passer outre et fait penser, mieux encore que dans des créations plus anciennes, comme « Olimpica », aux architectures d’Andrea Palladio ou à celles, imagées, d’un Giorgio de Chirico ? Splendide ! Mais il est temps de jeter à présent un coup d’oeil au 1er étage, où nous attendent les tableaux de

Yola Reding.

Née à Vianden en 1927, l’artiste a étudié en France, en Hollande, en Italie et en Autriche. Elle a obtenu de nombreux prix, dont le Prix Grand-duc Adolphe en 1963 et l’International Art Prize au Metropolitan Museum de Tokyo en 1979. Elle est membre du CAL (Cercle Artistique Luxembourgois) et ses oeuvres se retrouvent dans diverses collections publiques, comme au Ministère des Affaires Culturelles et au Musée d’Histoire et d’Art à Luxembourg, ainsi qu’à Washington et à Tokyo. Ceci étant dit, à l’exception d’une série de trois jolis tableautins accrochés au rez-de-chaussée au-dessus du bureau de réception et de deux très beaux tableaux – j’y reviendrai – accrochés au premier étage, sa présente collection d’abstractions ne m’a pas vraiment convaincu. Reste certes la part d’état d’esprit du spectateur à un moment donné, qui fait aimer quelque chose un jour et moins celui d’après, donc de sa perception subjective. Cependant – et une brève incursion sur Internet me le confirme – j’ai l’impression que cette peintre et dessinatrice par ailleurs remarquable reste cette fois en deçà de son talent.

Cependant, je vous signalais deux exceptions. La première est un tableau divisé verticalement en deux champs, l’un, d’environ 2/7, pouvant représenter une partition sans notes bordée de rose et l’autre, d’environ 5/7, représentant (ou non) cinq claviers de piano qui ondulent horizontalement. L’équilibre d’ensemble, esthétique et quasi-harmonique des couleurs y est parfaitement maîtrisé. Le second tableau, réellement exceptionnel, en contient en fait quatre plus petits juxtaposés et se chevauchant partiellement, dont les abstractions vaporeuses, voire oniriques qui tranchent admirablement avec la fine matérialité d’une pièce mécanique ronde et d’une barre verticale graduée. À voir jusque fin juin !

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1) Galerie d’art Orfèo, 28, rue des Capucins, Luxembourg ville. Contact tel/fax 222325 ou orfeo@pt.lu. Exposition ouverte Mardi à samedi de 10.30-12.30 et de 14.00 - 18.00 h jusqu’au 30 juin

2) Le célèbre Benvenuto Cellini (Florence, XVI. siècle) était, par exemple, tout cela à la fois.

Giulio-Enrico Pisani