Kultur

Chants de Lumière... & Lumières minérales

Le peintre et la sculptrice

Sculptrice ? Selon les dictionnaires classiques, ça n’existe pas. Alors, brave fille, Sabine Maître, heureusement plus incisive dans un art qu’elle pratique brillamment, se dit « sculpteur ». Dire que, n’en déplaise aux machos conservateurs de la langue française, les muses, la peinture la sculpture et la lumière sont féminines.

Et ce n’est pas Jean Moiras, le védutiste, peintre des vues lumineuses, qui en fait toute sa vie, qui prétendra le contraire. Aussi, en quittant ce vernissage, ai-je laissé les deux artistes plongés en une conversation animée dont je n’entendais pas un traître mot. Quelle langue parlaient-ils ? Mais, celle de la lumière pardi, donc celle de
Jean Moiras !

Ne vous disais-je pas dans mon dernier article, que la saison 2009/2010 semblait en passe de devenir celle des revenants ? Après Francis Méan, Jan Fabre et Marc Ricourt, voilà donc Jean Moiras qui nous revient de ses méditations auvergnates. Il est vrai que ce grand peintre de la lumière est en train de devenir un « habitué » et, sans doute grâce aux amis qu’il s’y est fait, un grand ami, du Luxembourg qu’il peint jusqu’à plus soif à côté de sa Venise aimée et de son Auvergne natale. Que ce soit à Esch/Alzette, à Bettembourg ou à Luxembourg ville, depuis l’an 2000 il nous a offert déjà huit expositions. Je n’ai recensé que les deux dernières : en 2007 « Lumière en toutes chose » et en 2008 « Matin de lumière ». Risqué-je de me répéter ? Difficile chez Moiras, dont le style affirmé et fidèle à certaines constantes n’empêche nullement chaque rencontre d’être redécouverte. Aussi, est-ce avec un plaisir sans réserve que je partagerai avec vous, amis lecteurs, le Jean Moiras que j’ai retrouvé ces jours-ci chez Schortgen avec son nouveau concert visuel : « Chants de Lumière ». (1)

Est-il vraiment besoin de vous le présenter une fois de plus ? Non, sans doute, du moins à ceux d’entre vous qui ont déjà lu mes articles des 21 mars 2007 et 29 avril 2008 ; mais les nouveaux amis de notre quotidien, que penseraient-ils ? Alors, en quelques mots (2), Jean Moiras c’est deux tiers de siècle d’histoire qui défilent depuis sa naissance en décembre 1945 à Chamalières (Puy-de-Dôme) jusqu’à nos jours. Sa vie est une suite permanente d’apprentissages, d’expériences, de voyages... trépidante, frénétique.

Il a participé à près d’une cinquantaine d’expositions collectives et approche la centaine d’expos personnelles dans toute l’Europe, en Amérique, en Asie... Pas étonnant qu’il aille régulièrement se ressourcer dans son Auvergne natale. Tenez, rien qu’en 2008 il réside en Belgique et au Luxembourg en vue de préparer une exposition sur les lumières du nord, mais iparticipe aussi au salon d’art contemporain de New York, ainsi qu’à celui de Genève. De même expose-t-il à Hinsdale (USA) et Chicago, à Luxembourg et Esch/Alzette, à Amnéville et à Clairmont-Ferrand, dans le Bordelais et le Bassin d’Arcachon et, au milieu de tout cela, va découvrir en Islande le soleil de minuit. Excusez du peu !

Ce grand voyageur, qui, jeune homme mourant d’ennui dans son Auvergne natale, monte sur Paris, y étudie à l’École des Beaux-arts, y apprend à connaître tout le monde, y fait son trou, s’y fait un nom, ne déchausse pas les pavés en 68 mais explose après, découvre la France et le monde et revient toujours à l’Auvergne, n’y reste jamais longtemps. Un beau jour il découvre Venise, un autre, le Luxembourg : une ville et un pays qui semblent l’inspirer presque autant que son Puy de Dôme, puisque outre Belval, Larochette, Wellenstein, Burglinster, il s’est payé et nous offre du même coup ses vues de Clairvaux, Vianden, Koerich, la Corniche de Luxembourg... Ah, la Corniche !

C’est marrant comme la plupart des sites Internet des galeries et des médias essaient de cerner un artiste au talent aussi riche, vaste, complexe et prolixe que Moiras par des phrases lapidaires comme : « Après une période d’abstraction très architecturée et fortement colorée, il tend à un réalisme intemporel, nourri par l’ambiguïté du souvenir des lieux et des êtres » “. C’est joliment dit, mais à la fois vague et trop précis. C’est comme si on voulait enfermer l’artiste dans un genre, lorsqu’il est évident qu’il ne se plie à aucune école, style ou définition. Mais c’est aussi ignorer sa polyvalence et notamment ses mosaïques, sculptures et installations. J’aime par contre les quelques phrases de Jean-Claude Sacerdot sur le carton d’invitation de la galerie, mots que je vous invite à lire sur place. Une exposition donc à ne rater sous aucun prétexte, ainsi que pour la bonne raison que Lydia Moens, la fée de la Galerie Schortgen, nous a préparé une surprise... nommée
Sabine Maître.

Née Fahrländer à Freibourg/Breisgau en 1963, Sabine à passé le Rhin et s’est établie maître... sculpteur (ou sculptrice) à une cinquantaine de Km de là, à Marckolsheim, en Alsace. Et la surprise était, ma foi, fort bienvenue. En effet, l’élégance verticale et quasi-linéaire de ses sculptures monacales héritières du Bauhaus et amarrées au Minimalisme, s’insère en contrepoint réussi parmi les larges peintures au védutisme expressionniste de Moiras. Notez, elles ont leur clarté propre, ces stèles droites ou courbes selon l’esprit d’un matériau dont l’austère sévérité valorise la transparence et le brillant du verre qu’elles portent comme l’athlète la torche olympique ou le veilleur sa lanterne. Toute ressemblance avec des choses ou personnages existants ou ayant existé serait bien sûr impossible, car il ne s’agit pas de choses ou personnages, mais de pures abstractions tenant davantage de l’âme que de l’image.

Pour libérer cette âme du corps inerte et en transfigurer celui-ci, Sabine Maître sublime le matériau dans son atelier, où, nous confie-t-elle, « J’accueille divers bois flottés recueillis en Grèce, en Italie, au Colorado, au Yellowstone ou près de chez moi, pour les transfigurer par le feu et la transparence du verre. L’objet accède ainsi à nouvelle vie, à une dimension spirituelle... ». Grâce à un très long travail, bien sûr, même quand la nature y a déjà mis du sien, fournissant parfois à l’artiste des ébauches ou des formes qu’elle ne doit qu’affiner. Mais il y a aussi l’acier dont notre sculptrice endosse la force, accepte la rigidité, accompagne le vieillissement et rend, oxydé à point, à son tour porteur de lumière par verre interposé, porté, enchâssé, magnifié.

Après une formation de peinture sur verre d’art et porcelaine auprès d’Ingrid Burk-hardt à Umkirch près de Fribourg, Sabine Maître a étudié le façonnage du verre ornemental avec l’artiste verrier Eckhard W. Pauli. Devenue elle-même une artiste reconnue dès 2004, elle entreprend de travailler sur l’habitat, tant privé que professionnel, projette et exécute des vitraux, travaille à la conception de la « Kunstraststätte » Illertal, ainsi que dans certains secteurs de l’Europapark Rust ». En 2005 elle entreprend de créer des sculptures dans et avec le bois, le fer et le verre, dont nous pouvons à présent admirer quelques échantillons chez Schortgen. Et ce n’est certes pas moi qui vais m’en plaindre, ni Jean Moiras, d’ailleurs, dont elle contribue à valoriser les généreuses créations par une touche à la fois délicate, sévère et lumineuse.

***

1) Galerie Schortgen, 21, rue Beaumont, Luxembourg centre (parallèle Grand rue, près du centre Alima). Exposition Jean Moiras et Sabine Maître, mardi à samedi de 10,30 à 12,30 et de 13,30 à 18 h. jusqu’au 12 novembre.

2) Détails biographiques extraits pour l’essentiel de ses splendides livres d’art que vous pourrez consulter, admirer ou acheter à la galerie. Voir en attendant les sites www.moirasj.com et www.moirasj. com/page1.htm

Giulio-Enrico Pisani