Kultur

Giulio-Enrico Pisani : « La foi en l’amour est la seule qui vaille ! »

Poèmes de la maturité en connivence avec la nuit et le jour de la vie

Ce Pisani-là, je l’attendais avec impatience. Je le voyais pointer à l’horizon de l’immanence poétique, parce que ce poète-là possède un talent qui véhicule à lui seul bien des facettes de l’existence humaine, les facettes du jour, tout comme les facettes de la nuit.

Tout récemment le nouveau recueil de Giulio-Enrico Pisani m’est parvenu par la poste, dans une enveloppe matelassée, afin d’éviter toute détérioration du volume. Ce recueil contient bien des dits et des non-dits, composés avec la rigueur de l’écrit philosophique. A lui seul, ce petit livre est immense, parce qu’il renferme tous les poèmes du monde, écrits à l’aide d’exigeantes sommes de maturité. Ce recueil est bibliothèque ouverte sur l’intérieur confiné de l’existence, ou sur l’infini de l’existence, selon le souhait du lecteur, de la lectrice.

Toujours et encore ces livres
Toujours et encore cette fenêtre
Si différente selon que l’on désire
L’intérieur ou… l’infini
Ma bibliothèque

Dans ma hâte, ancestrale, faut bien l’avouer, j’ai failli oublier de vous confier le titre du recueil nouveau de Giulio-Enrico Pisani : La nuit est un autre jour, publié aux Editions Op der Lay (25, rue d’Eschdorf L-9650 Esch-sur-Sûre Tél. : 83.97.42/ Fax : 89.93.50/ e-mail : opderlay@ pt.lu/ site : www.opderlay.lu). Le poète dédie ce recueil à tous ses amis en poésie : Jalel El Gharbi, Laurent Mignon, Laurent Fels, René Welter, Nick Klecker, José Ensch, Alain Guérin, Pierre Joris, Emile Hemmen, ainsi qu’à tous ceux qui, par la rigueur et la beauté de leur expression poétique, lui ont fait retrouver leur jardin après huit ans de traversée de déserts de scepticisme prosaïque bien plus arides et incertains que ceux de Dino Buzzati et de Saint-John Perse.

Si Giulio-Enrico Pisani est un bourlingueur des mots, il a également posé ses bagages en plusieurs lieux de notre bonne vieille Europe : naissance à Rome en 1943, puis Suisse, Belgique, Allemagne, pour enfin aboutir au Luxembourg. Ses noms et prénoms trahissent ses origines italiennes. Il a publié de nombreux livres, dont un grand roman historique Der Flug des Bussards. A deux reprises il a été distingué au Concours littéraire national, en 1998 pour un essai, et en 2002 pour de la poésie. A deux reprises, grâce à des nouvelles il a obtenu le Prix spécial Hans-Bernhard Schiff.

Au fil de son nouveau recueil La nuit est un autre jour, c’est avec plaisir que nous découvrons les illustrations de Carole Melmoux. Un peu regrettable qu’à l’intérieur du volume les illustrations soient reproduites en noir et blanc. La couverture du livre ayant été également illustrée par Carole Melmoux, c’est là que l’on peut apprécier au mieux son talent, ici un envol d’oiseaux, de papillons sans doute aussi. Née en 1971 à Estampes, l’artiste travaille sur le motif et dans son atelier où elle peint des tableaux inspirés du réel, de souvenirs et d’imaginaire.

Giulio-Enrico Pisani vient d’entamer sa lente progression vers la fierté octogénaire, que dis-je, ô sacrilège, car il balbutie seulement ses premiers pas vers l’âge merveilleux de la sérénité, semblable à la superbe sérénité que le poète lit dans les grands lacs des yeux des filles. J’ai lu quelque part qu’entre 70 et 80 ans, les poètes atteignent l’âge où tout est médité, réfléchi, l’âge de la maturité dans ce qu’elle possède de plus scintillant.

A l’enseigne du temps, Pisani sait que la vie, d’apogée en apogée, satisfait les plus difficiles des hommes

Le temps, vois-tu,
est comme cet hôtel
outbooked, complet,
où l’ami a toujours sa
chambre, tout comme
ce restaurant bondé
où ton vin est tiré
et ton couvert
toujours mis.
A l’enseigne
du temps

Le temps, ah le temps, ce dévoreur de secondes, de minutes, d’heures, de jours, de mois, d’années, de décennies, d’existences !!!

Le monde nous voit
Le monde nous appelle
Le monde nous interroge
Le monde nous interpelle

Mais qui sommes-nous pour croire
Que, quoi, que nous puissions penser
Et quoi que nous puissions faire
Et quoi que nous soyons
Il lui importe que nous
Lui répondions ?
Peu de chose

L’homme, la femme, l’enfant, l’ado, le vieillard, regardent, observent, subissent ce monde dont ils font partie et qui les interpelle. Sommes-nous immense chose ou sommes-nous d’une infinitésimale valeur ? Aux yeux du pouvoir capitaliste, nous n’avons même pas valeur de bouchée de pain, si nous sommes pauvres, mais valeur marchande si nous sommes peu, moyennement ou beaucoup aisés.

Venus de la steppe,
des savanes, du désert ;
venus d’espaces
soudain surpeuplés.
Venus de la soif,
des pâturages brûlés ;
fuyant la tornade
des plus pauvres qu’eux.
Que faire face au néant
s’ouvrant à leurs yeux,
sinon tourner le dos
aux horizons bouchés ?
Chassés par la faim,
bousculants bousculés
pourchassants pourchassés,
maudissants maudits,
quel choix leur restait-il
au bord de la grande bleue
à ces peuples de la terre,
dont la mer est mère !?
Peuples de la mer

Giulio-Enrico Pisani dit les misérables parmi les misérables, chassés par la faim, ces hommes, ces grands ados, ces enfants de plus en plus souvent, qui à bord d’embarcations souvent de fortune tentent leur ultime chance, afin de rejoindre ce qu’ils imaginent être le paradis. Nos paradis artificiels, ces contrées que les uns souhaitent atteindre par tous les moyens et que d’autres cherchent à quitter par tous les moyens.

Ailleurs, ils fuient aussi des pays d’Amérique centrale, pour tenter de rejoindre le grand rêve pourri américain.
Grand admirateur de Juliette Greco, je vous propose de découvrir le poème que Giulio-Enrico Pisani lui dédie :

Ah, que tu es belle,
que j’aimais ta lumière,
toi, la dernière chandelle
d’une époque révolue !

Demi-siècle de rêves
auxquels nous avons cru,
qui, emportés, boue du temps,
ne reviendront plus.

Tout se crée, tout se perd, tout revit. Le songe est-il muet, le cristal reflète-t-il toutes les nuances de l’existence, où allons-nous ? La vie n’est-elle qu’une hallucination passagère, pouvant parfois durer, durer, atteindre le pari de l’homme centenaire, tricentenaire pas encore. Est-ce un rêve, une utopie ? L’éternité existe-t-elle ou est-elle fantasmée, illusion, béante fosse commune qui contient tous les rêves des hommes.
Je pense

Que toutes les fontaines finissent par se tarir.
Qu’à rien ne sert de repousser la fin du poème.
Que l’eau coule, que l’oiseau n’est pas un colibri sans
Trêve.
Que le duvet se perd dans les sillons.
Que la rosée brûle, que la sueur s’écoule.
Que l’Eden est la négation du chemin.
Sans doute

Dieu est-il celui que l’on imagine, ou celui qui pour nous a été imaginé, nous pauvres et misérables pécheurs ? Notre société est composée majoritairement de bigots et de pharisiens, de manipulateurs et de bourgeois qui ne laissent même plus le temps à l’espèce humaine de bourgeonner. Et si finalement, dans nos existences de pécheurs, la foi en l’amour n’était pas la seule qui vaille !

Dieu n’est pas…
Dieu n’est pas, celui qu’on imagine.
Dieu n’est pas, loin de là, celui que l’on croit.
Dieu n’est pas de vengeances assassines ;
peu lui chaut que nous ayons la foi.

La foi en l’amour est la seule qui vaille
de valoir, vivant, d’être vainement vécue ;
de qui pour qui, c’est un simple détail,
père au cœur gros ou mère au sein nu,

vierge palpitante ou amoureux transi,
amis d’enfance ou vieux couple tremblant.
Dieu c’est tout cela, et s’est très bien ainsi ;
pourquoi se donner le mal de faire semblant ?

Et pourquoi ?

Pourquoi un paradis, d’ailleurs
d’anges chanteurs et saints aimants,
quand les seuls gestes créateurs
Sont les gestes des amants ?

Et ma foi, les gestes divins
ne sont pas de joindre les mains,
mais de les mettre là, où il faut
pour appeler des sens l’écho.

Et ma foi, adorer son Dieu,
n’est pas lever au ciel les yeux,
mais regarder là, où il faut
pour que ça nous fasse tout chaud.

Et ma foi, moi qui ne l’ai pas
pour ce qui est de l’au-delà,
je pense qu’il faut une religion
de l’amour et de la passion.

Dieu n’est pas comme tu le crains
celui des lanceurs de bombes,
des bigots et des pharisiens,
des bourgeois à l’allure fière.

Dieu est l’amour que tu me donnes.
Dieu est l’amour que j’ai pour toi.
Dieu est l’offense que l’on pardonne,
peut lui chaut qu’on ait la foi.

Lire le dernier recueil de Giulio-Enrico Pisani c’est entrer en poésie, de plein fouet, une poésie intense qui reflète toute la philosophie de l’univers. Poètes à vos plumes, poètes à vos armes.

Michel Schroeder