RomArtigianArt beim Engel
Organisée par la Fondation Umberto Mastroianni de la ville d’Arpino sous l’égide de l’Institut italien de culture, RomArtigianArt est une exposition de sculpture céramique digne de tous les superlatifs qui a été inaugurée ce jeudi 5 août à la galerie « Konschthaus beim Engel »(1) en présence de l’ambassadeur d’Italie et de nombreuses personnalités de la scène culturelle. Transformée pour trois semaines en caverne d’Ali Baba d’un art si peu pratiqué par les artistes luxembourgeois, le splendide ensemble de pièces, salles et caves d’exposition qu’est cette galerie nous offre un parcours de découverte unique au Grand-duché. Il ne faut renoncer pour rien monde à l’enchantement de ce feu d’artifice de créativité que sont ces sculptures des artistes de la région romaine et plus particulièrement de la Ciociaria et d’Arpino.
Petite cité située en Ciociaria (Latium, prov. Frosinone), au sud-est de Rome, Arpino était peuplée il y a déjà deux millénaires et demi par le peuple préromain des Volsques, lorsque la majeure partie de la Ciociaria était habitée par les Herniques. Les descendants des Volsques qui donnèrent naguère bien du fil à retordre à Rome (2), ont toutefois transformé avantageusement la bellicosité de leurs ancêtres en créativité artistique. Arpino semble en effet être devenue avec sa région une véritable fontaine de jouvence pour l’art céramique et sculptural italien.
Le mérite en revient-il à l’immense sculpteur Umberto Mastroianni (oncle du célèbre acteur Marcello Mastroianni) dont l’oeuvre a évidemment inspiré de nombreux jeunes artistes du lieu ? Sans doute, mais cette filiation n’exclut nullement d’autres influences comme les dessins de Pablo Picasso ou les travaux d’Arturo Martini, Lucio Fontana et bien d’autres. Umberto Mastroianni (Fontana Liri 1910 - Marino 1998) a certes lui-même grandi dans un environnement favorable à cet exceptionnel épanouissement créatif, mais cela, seul une visite sur place nous permettrait de le découvrir, amis lecteurs. Et pourquoi n’y projetteriez-vous pas votre prochain voyage italien ?
Bonne idée, sans doute, mais, en attendant, contentons-nous de découvrir, à deux pas de chez nous, « beim Engel », une partie des chef-d’oeuvres que les artistes d’Arpino, du Latium, et même de Toscane, sont venus nous présenter. Ne vous attendez cependant pas à revoir les beaux objets classiques de céramique, faïence, majolique ou autres terra cotta de cet artisanat italien millénaire présent un peu partout dans la péninsule et qu’affectionnent les touristes. Car si ici splendeur il y a, elle ne doit à l’histoire que le génie et aux traditions artisanales le goût du beau et le savoir-faire. C’est pour l’essentiel une explosion de créativité nouvelle qui, amorcée sans doute par Mastroianni, s’épanouit désormais originale et libre de toute entrave grâce à l’imagination débordante d’artistes contemporains au talent extraordinaire.
Il m’est hélas impossible d’énumérer ici toutes les oeuvres exposées, dont certaines sont d’une beauté à couper le souffle, ni de détailler le génial travail de chacun de ces artistes. Je dois donc me contenter de vous en citer les noms, qui vous permettront de vous documenter sur ceux parmi eux qui vous intéressent particulièrement. Je vous signale d’autre part, qu’un très beau catalogue/album de l’exposition peut être feuilleté sur place. (3)
Voici donc Simone Bertugno et ses créations « coralliennes » dignes d’un Benvenuto Cellini marin, Nino Caruso créateur de géométries animées d’harmonies mésoaméricaines, Tommaso Cascella à qui le cubisme de Picasso et d’Alfred Pellan n’est pas étranger, ainsi que Cinzia Catena, où la nature triomphe en une symbiose d’Art Nouveau, de surréalisme et d’Art marin. Les toscanes Daniela Lai et Cinzia Chiulli ne se limitent à aucun style particulier, mais leurs oeuvres originales nous ouvrent à l’ancienne technique de « la zaffera », lorsque Elettra Cipriani réunit divers métaux, verre de Murano et sable sur des tableaux céramiques dont l’abstraction n’est pas sans rappeler celle de Germaine Muller, l’étonnante peintre luxembourgeoise de Naples.(4) Simone Crespi allie le surréalisme de Magritte et d’un De Chirico à l’humour et au pop art, lorsque les splendides plats de Pablo Echaurren d’inspiration comico-antico-mythologique méditerranéenne n’oublient pas de sourire en coulisse aux Aztèques. Le fer, Marco Ferri, son nom le prédestinait à l’aimer ; aussi le joint-il souvent à la céramique et au bois dans des combinaisons originales.
Maître de la technique japonaise du Raku, Antonio Gabriele s’inspire de l’antiquité pour ses bouteilles d’une beauté intemporelle, lorsque Antonio Grieco associe artistement dans ses longs récipients tubulaires terre cuite et fibre végétale. À la fois pratiques, originales et jolies, les sculptures décoratives d’intérieur – fontaine, tasse à fleurs et shishidoshi-tzukubaï – de Luigi Montereali, sentent bon le Japon, lorsqu’une sorte de pop art kitch et polychrome non dénué de symbolisme est présenté par Speranza Neri. Toujours dans le registre pop, Guido Pecci part avec ses collages et céramiques à la recherche de sa prime enfance, où il retrouve Winnie the Pooh aux prises avec un monde fabuleux de bande dessinée. Mais c’est peut-être Oriano Zampieri dont les exquis carreaux muraux en argile réfractaire sculptée à inserts, oxydes et émail constituent des tableaux d’un goût très sûr, qui mérite la palme... qu’il devra tout de même se résigner à partager avec Cinzia Catena, Simone Bertugno, Daniela Lai et Cinzia Chiulli, Elettra Cipriani, Antonio Gabriele et quel-ques autres. Affaire de goût, bien sûr. Nous verrons bien ce que vous en penserez après avoir fait le tour de l’exposition. Quoiqu’il en soit, je vous souhaite bien du PLAISIR, et celui-là sera en tout cas au rendez-vous jusqu’au 25 août « Beim Engel » !
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1) « Konschthaus beim Engel », coin Rue de l’Eau – Marché aux poissons, en face du Musée National d’histoire et d’art, Luxembourg ville ; ouverte du mardi au samedi de 10 à 12 h. et de 13 à 19 h. et le Dimanche de 13 à 19 h. Expo RomArtigianArt jusqu’au 25 août.
2) Le siège de Rome par les Volsques est notamment évoqué dans « Le Coriolan » de Shakespeare.
3) Cet authentique livre d’art peut être acheté au prix exceptionnel de 5 €.
4) V. mon article dans Zeitung vum Lëtzebuerger Vollek 30.9.2008.
Giulio-Enrico Pisani