Kultur26. November 2021

Pierre-Luc Poujol,

où les extrêmes se touchent

de Giulio-Enrico Pisani

Abstrait versus Figuratif ? Va savoir ! Dans le domaine de la peinture abstraite, Pierre-Luc Poujol fut pour nous, en 2013, une découverte rare. Et rebelote en 2017 : avec un enchantement, une maîtrise totale de l’abstraction tout à la fois la plus dense, riche et sobre sui soit ! Ainsi qu’en 2021 ? Encore et toujours en automne et une fois de plus de l’abstrait ? Eh bien non, amis lecteurs, du moins pas seulement. Aussi la surprise sera-t-elle pour vous sûrement de taille, lorsque madame Gila Paris, l’aimable directrice de la Cultureinside gallery (1), vous introduira parmi les nouvelles créations de Poujol en vous faisant découvrir une tout autre facette du talent de cet extraordinaire artiste peintre français. Aviez-vous découvert à travers ses précédentes expositions son appartenance – ce sont ses propres termes – au courant de l’abstraction lyrique américaine ? Vous le retrouverez cette fois en plein dans celui de – encore lui – l’expressionnisme abstrait. Mmm... Va pour l’expressionnisme. Mais abstrait, vraiment ? Je n’en suis pas sûr, mais alors pas sûr du tout. Quant à Claude Monet, il me semble de le voir rire sous cape.

Et vous ? Vous retrouverez certes de nouvelles œuvres de Poujol créées dans la ligne de ses précédentes expositions, donc de l’abstraction lyrique américaine.

Déjà à l’époque, la galerie précisait «... dans la lignée de Pollock, Pierre-Luc Poujol a fait le choix de peindre par projection et dripping sans avoir de contact avec le support. Le dripping, peinture gestuelle et quasi automatique, est une technique qui demande maîtrise, sensibilité et spontanéité. L’artiste projette la couleur sur la toile, puis la berce, la laisse couler, l’arrête avec ses bras, avec le poids de son corps, il tourne et retourne la toile... les abscisses et les coordonnées tressaillent. La grille picturale se forme d’elle-même. Il crée un mélange abondant de couleurs encore fraîches et fait éclore de surprenantes combinaisons. Sa peinture est vivante et ne cesse d’évoluer jusqu’au parfait séchage...».

En fait, le miracle Poujol, donc de celui que vous connaissez déjà, c’est qu’il développe et affirme une expression unique dans d’étranges géométries qui, même totalement libres de toutes règles ou normes mathématiques, sont loin de l’anarchie picturale d’un Jackson Pollock. Certes, on peut ignorer la façon de procéder de Poujol. Mais dès qu’on la connaît, on se demande comment il parvient à réaliser son magique ordonnancement avec les techniques qu’il décrit. Ainsi que je l’écrivis précédemment, son ouvrage est ancrée dans une exquise matérialité qui, si elle doit tout à son esprit créatif, n’a rien de mystique. Elle résulte de geysers jaillissant de son esprit conscient ou subconscient dans des éruptions tout à la fois optiques et quasi-musicales. Face à ces trames graphiques et picturales aux profondeurs presque insondables et aux interactions chromatiques mystérieuses, les yeux du spectateur l’amènent à ressentir des frémissements comparables à ceux que procurent au mélomane l’oreille caressée par des accords parfaits mêlés de subtiles dissonances. C’est l’harmonie de Pierre-Luc Poujol, cette musique en fait, qui surgit du fond de sa trame graphique et chromatique.

Et c’est encore cette même harmonie que vous retrouverez aujourd’hui en même temps qu’un nouvel aspect de sa créativité, pourtant aux antipodes, dirait-on, de ses parfaites abstractions aux géométries lyriques. Aux antipodes ? Vraiment ? S’éloignerait-il tant que ça de ce qui précède ? Donc du peintre que vous connaissez ? Et si les opposés, si abstraction et figuration n’étaient pas si opposées, si contradictoires que ça ? Et si l’esprit de Giverny l’avait amené à s’écarter un temps de «l’abstraction lyrique américaine» pour plonger au-delà même de son «expressionnisme abstrait» dans cet opposé pourtant si proche qu’est sa nouvelle expression impressionniste aussi libre de toute figuration servile que peut l’être, justement, Monet ?

Il serait d’ailleurs aussi absurde de vouloir toujours coincer une œuvre entière dans un genre unique, que d’établir un ordre de préférence parmi les tableaux exposés ici, comme lors de l’attribution d’un grand prix. Chacun de vous répond non seulement à des conceptions particulières de l’art, de l’esthétique et de la beauté, mais sera confronté aujourd’hui chez Cultureinside à deux visions non pas contradictoires, mais fort différentes. D’un côté vous retrouvez l’abstraction pure (géométrique), dépourvue de toute signification autre que sa propre esthétique. De l’autre, comme en contrepoint car toujours clairement griffée Poujol, vous découvrez une peinture figurative créée en l’honneur de Claude Monet, mais résultant surtout – je pense – du trop-plein d’émotions ressenties par l’artiste à Giverny. C’est donc cet émoi qu’il exprima dans son vibrant hommage au grand peintre par une exposition intitulée «Voyage à Giverny», au musée Paul Valéry de Sète au printemps 2020.

La fascinante dualité entre le Poujol abstrait et le Poujol figuratif se trouve aussi fort bien décrite sur le site de la galerie Ida Médicis de Paris, où l’on divisa les deux genres en «Between the lines» (Entre les lignes) et «Voyage à Giverny». Leur présentation est intéressante : «Pierre-Luc Poujol quitte un moment l’abstraction géométrique, pour une envolée lyrique vers une projection pure et libre. De retour de Giverny, l’artiste revisite les Nymphéas si chers à Claude Monet et nous en propose une réinterprétation spectaculaire, chatoyante et énergique. Nous sommes dans le vivant, dans l’instant présent, dans la sensualité. Une immersion au cœur de la nature, du végétal, avec ses reliefs, avec un désordre toujours équilibré et surtout un jeu d’ombre et de lumière extrêmement maîtrisé. Car c’est bien par la lumière que naissent les couleurs chez Pierre-Luc Poujol».

Né en 1963 dans les Cévennes, Pierre-Luc Poujol est reçu aux Arts Appliqués à Bordeaux en 1983, en sort major de sa promotion en 1985, et obtient à cette occasion le 1er prix de dessin et 1er prix de croquis. Il se lance alors dans la peinture tout en travaillant dans la publicité – ce qui l’amène à collaborer avec des artistes tels que Ben ou Combas... En 1992 il se tourne vers la communication et œuvre à la création du groupe Symaps... En 2000, il se rend en Palestine sous l'égide de l'UNESCO et sur invitation de Yasser Arafat, pour y recevoir de ses mains le premier prix de création de l’identité visuelle célébrant le bimillénaire de la naissance du Christ à Bethléem. Depuis 2007, Pierre-Luc Poujol se consacre à la peinture et à la sculpture dans sa maison-atelier aux portes de Montpellier, ainsi que dans son atelier de Miami.

 

(1) Cultureinside gallery 8, rue Notre-Dame, coin rue des Capucins, à Luxembourg centre/ www.ciartgallery.com/ Tél. 621.241243 / Expo Pierre-Luc Poujol, du 26 novembre 2021 au 14 hanvier 2022, du  mardi au vendredi, de 14h30 à 18h30, samedi de 11h à 17h30.