Galerie Espace 1900
Rencontres d’été à l’« Espace 1900 »
Quel cirque, que ce vernissage du 29 juillet à la Galerie Espace 1900 !1 Entre les dix artistes, les amis, les visiteurs, la presse, nos hôtes et... moi-même, belle occasion pour une chatte d’y perdre ses petits. De plus, présenter cette exposition en détail dans l’espace rédactionnel dont je dispose, c’est mission impossible. Ce genre d’abrégé me fait un peu mal, bien sûr, car, après avoir admiré leurs œuvres et fouiné dans leur bagage culturel, je me suis vite rendu compte que ces créateurs méritent bien mieux. Aussi, j’espère que Ben Dispa, Sylvie Hoffmann, Paul Bruyneel, Anita Rautureau, Christian Cantos, Xavier Dupont, Miguel Dumont, Alexandre Forceille, Michel Fourny et Lena Ray me pardonneront ce minimalisme forcé.
Artiste plasticien ixellois (grand Bruxelles) de 43 ans, Miguel Dumont a créé, après 20 années de peinture et de sculpture, un nouvel art pictural « sympathique ». Ses bas-reliefs en pâte de pierre peu ou pas visibles n’apparaissent, ne s’épanouissent, ne frappent le spectateur que sous une nuée d’eau vaporisée. « ... la peinture à l’huile », affirme-t-il, « n’évolue qu’à travers les fluctuations lumineuses. Il me fallait trouver une autre technique (...) non encore appliquée, pour mettre une œuvre picturale en mouvement… ». Pari réussi. C’est beau, sévère, sobre et impressionnant. Et sa sculpture alors !
Né en 1969, Xavier Dupont (appelez-moi Xavier !), atterrit en Belgique après une tranche de vie à Madagascar et finit par se « garer » au Luxembourg. Il a bien suivi des études artistiques, mais se considère autodidacte dans l’âme. Sa peinture fascinante aux couleurs vives, ici humoristique, là féerique, souvent surréaliste – moins Magritte que Jérôme Bosch, mais 21ème siècle – lui vaudrait une célébrité certaine s’il n’abusait pas ici et là des verts vénéneux, des rouges hurlants et autres combinaisons criardes du kitsch futuriste. Quelques-uns de ses tableaux sont cependant de vrais chef-d’oeuvres !
Né à Froidchapelle (Chimay) en 1968, Ben Dispa récupère des déchets de métaux triés chez les ferrailleurs, découpe, cintre, soude les différents éléments qu’il transforme en sculptures abstraites, symbolistes, fantastiques, voire surréalistes. Depuis 2004 il travaille surtout à la forge. Sa technique consiste en un formage à chaud de différents métaux, de l’acier inoxydable à l’acier ou au cuivre. Il y allie les métaux et y mélange d’autres matières en une véritable prestidigitation créative. Original, dépouillé, élégant et très décoratif !
Né à Namur, Alexandre Forceille vit et travaille à Bertrix (Province de Luxembourg), où sa renommée n’est plus à faire. J’ai déjà « découvert » ce sculpteur autodidacte en automne 2009 lors de son expo à Leudelange avec Yvette Rischette2. Abstraites, les sculptures de Forceille se distancient de la figuration servile et laissent au spectateur toute liberté d’interprétation. Coupées, taillées, martelées, burinées, fraisées, lissées, polies notamment dans la pierre bleue et le marbre, ces sobres projections sculpturales du génie de l’artiste interpellent et séduisent l’esthète exigeant.
Aujourd’hui, à la galerie Espace 1900, Alexandre Forceille et Ben Dispa exposent en commun plusieurs groupes sculpturaux, l’un vitalisant la pierre, l’autre le métal : une symbiose du plus bel effet.
Né au Québec en 1967, Christian Cantos est arrivé en banlieue parisienne à l’âge de 2 ans, passe sa jeunesse en basse Normandie, puis, ado, part sur les chemins. Errance, squats, déchirures, froid, canicule ; il peint pour survivre, décore bistrots, restos, centres culturels, boites de nuits, vitrines et même un hall de gare. Suit la création d’affiches, de décors de théâtre, pochettes de disques, peintures sur autos, vélos et motos. Mais c’est ses tableaux qui méritent la palme : véritables pièges à lumière, ils sont très librement figuratifs, urbains, charnels et corsés d’un zeste de surréalisme. Poète et musicien itou3, il définit son art d’« urbano-romantico-sauvage ». Sa peinture sobre, mais suggestive, est attachante par sa force évocatoire exceptionnelle.
Né en 1948 à Bruxelles, Paul Bruyneel découvre la peinture après... la banque. En 2006, coup de foudre pour la sculpture sur stéatite (pierre à savon) qu’il aborde avec un enthousiasme d’autodidacte. « Dans chaque pierre », dit-il, « est gravée l’envie de celle-ci, l’envie d’être façonnée d’une manière précise… » et rejoint Michel-Ange, pour qui, selon Vasari, le bloc de pierre brut contient déjà en soi l’œuvre, sa tâche n’étant que de l’amener à la lumière4. Réaliste, alliant puissance et finesse, la sculpture de Bruyneel s’extirpe de la roche mère comme invitée par un sortilège plutôt que d’y avoir été taillée. Le magicien vit et travaille à Couthuin (Héron, Liège).
Autre vocation tardive... qui n’a rien perdu pour attendre : Michel Fourny. « Ce n’est qu’en 2002, à l’âge de 47 ans », nous confie-t-il, « que j’ai enfin commencé à m’adonner passionnément à la peinture ». Fourny jette sur ses tableaux abstraits tout à la fois les régurgitations, les geysers de son subconscient et les émotions, les élans, les éclairs d’un esprit aussi fertile que sa vision est grandiose et ses harmonies réussies. Son abstraction rappelle un peu celle d’Yvette Rischette ou d’Edmée Lichtfus, voire les flamboyances de Michèle Frank, mais la richesse de ses compositions cherche son pareil.
Sylvie Hoffmann, que certains aiment SHO, est née en 1977. Enfant, elle dessine, peint et griffouille5. Ado, c’est le bac artistique, puis les études supérieures à Saint-Luc, Bruxelles : graphisme, image numérique et diplôme en arts plastiques spécialisation Infographie. Peu à peu la peinture s’impose à elle, à son œil qui, omniprésent, omnicaptant, devient son mode de percevoir le monde et de s’exprimer. SHO mêle peinture et collage au numérique (œil retravaillé via la PAO6, puis collé) sur bois ou toile afin de susciter une émotion. Ça m’évoque un peu le 3ème œil de Shiva, et ce d’autant plus que son graphisme a beau paraître abstrait, il résonne harmoniquement de l’infinie opulence des chromatismes hindous. Chacun de ses tableaux est la visualisation d’un concert dont le thème resterait à découvrir.
Anita Rautureau, elle, n’hésite pas à capturer le temps, la couleur, la conscience et la grâce. Elle veut que chaque coup de pinceau soit un cadeau fait à celui qui passe. Anita a enseigné l’art pendant quinze ans à Lille et à Nancy. Elle aime expérimenter et n’hésite pas à se mettre en danger. Ses peintures très fines, parfois un peu kitsch, aux couleurs cependant harmonisées en symbioses parfaites, sont toutes de poésie, d’ancien et de nouveau, d’un zeste Juan Gris et d’un vague cousinage R.P. Glasser. C’est inventif, raffiné et très plaisant.
Née à La Bassée (Nord-Pas-de-Calais) en 1965, Lena Ray, hante la Villa Arédécé à Morfontaine (Villerupt, Meurthe et Moselle). Réalisatrice, comédienne, décoratrice, peintre, plasticienne, elle crée l’abstrait, le figuratif, le surréaliste, le ludique, l’anatomique féerique, le décoratif : sculptures, tableaux, objets, lilliputiens ou autres esprits en bouteille et j’en passe des verts et des pas mûrs. Elle m’a plus épaté que séduit... à première vue. Vue d’ailleurs pas trop claire à travers le verre de la bouteille où je fus plongé, comme le dit Philippe Gwizdz, dans « ... une peinture libre, plastique (...) à l’alchimie érotique (...) Fusionnelle ou mystique (...) extraordinaire délire... ».
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(1) Galerie Espace 1900 – 8, rue 1900 (entre rue Glesener et place de Strasbourg), Luxembourg gare, ouvert les jours ouvrables 8,30-12,30 et 14,30-18,30.- Exposition jusqu’au 15 septembre.
(2) Zeitung vum Lëtzebuerger Vollek 4.12.2009.
(3) Qualités sur lesquelles je ne peux m’étendre dans ce cadre. Les visiteurs pourront toutefois feuilleter et éventuellement acheter l’album-roman : « La Quète », une histoire écrite par Christian Dupont avec la collaboration et l’illustration picturale (22 peintures) de Christian Cantos. Une petite merveille !
(4) « Il blocco di marmo contiene già in sé l’opera ; il mio compito è semplicemente quello di portarla alla luce ». Michel-ange, selon Giorgio Vasari dans Le Vite...
(5) Du verbe griffouiller, employé par l’artiste ; selon le Websters, mot du patois aquitain : entre griffer et gribouiller. Dictionnaires français : le grand silence.
(6) PAO : publication assistée par ordinateur.
Giulio-Enrico Pisani