Estuaires 99 : Michèle Schneeberger et Serge Basso de March
Étonnante convergence de poètes, que les Éditions Estuaires nous proposent cette année pour les fêtes avec leur 8ème cof-fret de deux recueils de la collection 99 (1), cet estuaire où les flux poétiques convergent dans leur nostalgie de l’enfance sans mélanger leur lucidité d’écrivains ! Aussi bien dans la forme que dans le fond, tout semble pourtant séparer l’« Entre silence et écoute » de Michèle Schneeberger du « Diable, poète, funambule et autres objets bizarres » de Serge Basso de March.
Dès lors, quoi de plus prometteur que d’aller les voir et les entendre lire et se rencontrer par-delà leurs différences, d’aller comparer l’incomparable, jeudi, 15 décembre 2011 à 18hrs, à la Galerie Nosbaum & Reding ? (2) Que chacun se fasse son opinion et, en attendant, sans vouloir vous influencer pour un sou, amis lecteurs, voici la mienne :
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À la magie de l’enfance, Michèle Schneeberger ajoute dans son recueil, « Entre silence et écoute », celle, aussi insaisissable que mystérieu-se, du vent... sous toutes ses formes, souffles et caresses. Elle manie l’enchantement un peu « ... comme on jette un sort / ou une supplication / aux vents et aux marées... ». Mais quand elle parle de « l’enfant des fleuves som-bres… », c’est pour nous dire que « ... les ailes du vent / lui font un berceau » et que le « petit cheval aux sabots usés » (une pensée pour celui de Georges Brassens) « ... se met à trembler / feuillage dans le vent ». Ailleurs, « ... ce sont pans d’étoffe rougis / comme feuilles dans le vent. » ou bien « ...cette rive / où les langes flottent comme voiles au vent... ». Et que dire de « ... ces mots chantournés / sans mesure ni contrainte / sur les pages du vent… » ?
C’est qu’il souffle sans trêve (enfin, sauf brèves accalmies), le vent sur la poésie de Michèle Schneeberger, ce vent qu’elle évoque une vingtaine de fois et que, en dépit de sa belle dédicace à la mémoire de José Ensch, elle n’a pas pu ou voulu enfermer dans des cages. Alors, tant qu’à faire, autant se laisser porter par le souffle de ses zéphyrs et emporter dans le flux peu conventionnel, sans entraves formelles et pourtant merveilleusement lyrique de cette poésie. La caractéristique principale de Michèle Schneeberger, poétesse que j’aimerais qualifier de naturelle, est de savoir jouer d’instinct avec l’élégance des mots et leurs interactions, la beauté des vers libres de toute servitude et la douceur de sa pensée. D’une lecture agréable, aisément abordable au premier degré, mais stimulant la navigation vers des îles plus lointaines et aussi mystérieuses que les Cythère, Avalon ou autres Raïatea chantées par les aèdes, son recueil se savoure sans hâte, à petites gorgées, comme ces liqueurs dont naissent les rêves.
Les poèmes de Michèle Schneeberger ne chantent ni morale, ni grands principes ; ils n’enseignent rien, ne prétendent rien démontrer. Mais naviguer sur ses mots et entre ses vers, permet au lecteur de voir en lui l’espoir triompher de « ... l’angoisse / suspendue au fil de la nuit / son poids de noirceur et de silence... », et de n’entendre plus que « ... la petite musique du gravier / quand l’alouette déplie ses ailes / comme en rêve ces rires lointains / la douceur des pierres / que l’on porterait en collier... »
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Quant à Serge Basso de March, il nous livre dans son recueil « Diable, poète, funambule et autres objets bizarres », un étrange pot-pourri de textes ici poétiques, là extravagants, parfois pleins de sagesse, souvent amusants, ailleurs coquins, voire même bizarres. En le lisant, je n’ai pu m’empêcher de penser à Prévert écrivant pour Drôle de drame de Marcel Carné la fameuse phrase : « ... Moi, j’ai dit bizarre, bizarre, comme c’est étrange ! Pourquoi aurais-je dit bizarre, bizarre ? ». Les vers y alternent d’ailleurs avec la prose, prose qui culmine peut-être dans l’humour souverainement iconoclaste et subtilement blasphématoire de « La croix », dont je vous livre – honni soit qui mal y pense ! – quelques perles :
« Elle perdit son blason, sous une porte cochère, avec un comte à dormir debout. (...) Elle trouva dans le foin et quelques éternités le plaisir de coucher avec un homme de paille. Elle fit, avec un colonel, l’amour en général. Pendant neuf jours, elle donna ses cinq sens pour le septième ciel, au troisième frère de son premier amant, sans commettre d’impair (...) Elle céda aux prières du vice et des novices, dans une belle abbaye, bourrée de cénobites... ». Dès lors, l’histoire tourne à la tragédie, avant de rebondir et de s’achever – in cauda gaudium – sur une érection et un immense fou rire, que je vous laisse découvrir.
Autre texte, autre style, qui touchera tout correspondant, écrivain, littérateur, poète, prosateur, scénariste, dramaturge, romancier, biographe, pamphlétaire, exégète, polémiste, nouvelliste, journaliste, philosophe, chroniqueur, rédacteur, éditorialiste, ou autre manipulateur de l’écriture : « Le stylo répudié ». Je n’en citerai qu’une phrase : « Les mots frappent à la porte sans se soucier des raisons qui laissent la page blanche au seuil de ses questions ». N’est-elle pas significative ?
Et que dire de ce superbe petit conte, « Le funambule », qui nous entraîne sur les ailes d’Icare : « Rien n’aurait pu le faire descendre. Il s’était retrouvé une âme de comète et malgré vents, pluies, soleil, neige et tempêtes il goûtait des errances fabuleuses aux limites du ciel. // Passager clandestin du vol des hirondelles, il regardait la ville qui toussait ses fumées à l’envers de ses pas » ? Serge Basso porte-parole des Icare, Sisyphe, Prométhée ou Orphée que les médiocres condamnèrent, après les avoir applaudis pour leur courage et leurs qualités, à subir le châtiment des dieux créés à cet effet ? Ou Serge Basso qui, à l’instar du Petit Poucet, sème des coquilles tout au long de sa route sans casser une seule noix ? À chacun d’y trouver sa réponse, tout en étant assuré que le brio des textes, l’originalité de la composition et la finesse du style seront au rendez-vous !
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1) Coffret 8 de la collection 99, comprenant Entre silence et écoute de Michèle Schneeberger ainsi que Diable, poète, funambule et autres objets bizarres de Serge Basso. Cette édition originale, tirée à 99 exemplaires numérotés sur papier conquéror 160 g, peut être commandée en virant la somme de 45 € au CCPL : IBAN LU90 1111 0047 4589 0000 des éditions Estuaires.
2) Galerie Nosbaum & Reding, 4, rue Wiltheim, Luxembourg Centre (près du MNHA).
Giulio-Enrico Pisani