Jean-Marc Dallanegra chez Miltgen
Et plein gaz . . . vers l’horizon
Malgré les apparences et la parenté sémantique, l’exposition des vastes (grands serait en dessous du ressenti) tableaux que Jean-Marc Dallanegra nous présente à la galerie Miltgen (1) sous le titre de « One roadshow 4 Luxembourg », n’a que peu de rapport avec « On the road » (Sur la route), le roman de Jack Kerouac. Et pourtant... Il est vrai qu’à l’époque de la « Beat generation », ou plutôt vers sa fin, en 1964, notre artiste venait à peine de naître et que rien ne semble le relier à la génération amère, désabusée, « perdue », du Beat. Son « intranquillité » pourrait cependant l’avoir amené à en saisir le rayon vert : faim d’autre chose, d’ailleurs, de révolte peut-être, d’horizons lointains à coup sûr.
Dans ses magnifiques visions panoramiques, photographiées autant avec son objectif qu’avec sa mémoire sélective au cours du vibrato passionné de l’aventure, l’oeuvre humaine est omniprésente, mais l’empreinte de ses réalisations – maisons, ou voitures vite disparues, asphalte dévoré – reste fugace. La route en constitue le motif principal et récurrent, mais quoiqu’elle nous invite à voir, regarder, emprunter, tout comme elle a accepté d’être parcourue par l’artiste, elle ne signifie que passage, jamais possession, ou, moins encore, accaparement.
Jean-Marc dessine et peint dès l’âge de raison ; il n’y a que ça qui semble l’intéresser. Alors il dessine sans arrêt... presque... partout, même à l’école, où tout le reste l’ennuie ; enfin, c’est ce qu’on dit. Vers ses 15 ans – exigence de la raison raisonnable ? – il commence à étudier le dessin industriel, puis, en 1984, il prend la route pour aller sillonner l’Europe en long et en large... Reçu en 1985 avec mention aux Beaux-arts, il finit, rebelle, par s’en faire exclure et part pour l’Algérie en 1988. C’est le coup de foudre. Rentré en France, il n’aura de trêve avant de retrouver sa nudité sauvage de ses roches que les vents peu à peu font sable. Il repart en 1993, en voiture, « on the road », par et sur les routes donc, se plonger dans ses blancs, ses gris, ses azurs, pastels, monochromes et camaïeux, ainsi que dans ses espaces immenses, aujourd’hui à notre portée, 32 rue Beaumont.
Le but de cette présentation n’est toutefois pas, amis lecteurs, de vous raconter l’existence aventureuse de quelque artiste, aussi intéressante soit-elle ; je vous renvoie donc à cet effet au site www.galeriew.com/.../jean-marc-dallanegra.html de la Galerie W (Bruxelles, Paris), où il a exposé en 2001 et 2009. Ici, nous cherchons bien plus à situer, à comprendre l’artiste et, à travers son dessin, son dessein et, peut-être, son destin. Dessein et destin qui semblent aujourd’hui tracés : traverser la vie, les paysages, les couper en deux, les pénétrer, les transgresser, les laisser derrière soi, en navigant sur les routes tel Rimbaud sur le fleuve de son « bateau ivre » et rêver de les baliser « de grands panneaux peints en bordure des autoroutes, pour que les conducteurs à grande vitesse aient une image subliminale des régions telluriques qu’ils traversent... ». Quant à nous, devenus nous-mêmes des spectateurs autant que des conducteurs à grande vitesse (pas trop quand même), c’est le rêve d’enfant (?) et d’espace de Jean-Marc Dallanegra que nous venons découvrir. En fait non, laissons plutôt la conduite au peintre pilote, car c’est tout autant par la lunette arrière qu’à travers le pare-brise, que nous affrontons ses espaces sans bornes et en jouirons dans les salles d’exposition de Michel Miltgen.
Toujours à la recherche d’horizons nouveaux, Dallanegra ne se limite bien entendu ni aux routes, ni à la peinture. Trop ouvert, curieux et effervescent pour se laisser enfermer dans un seul genre, il touche à tout, que ce soit à la sculpture, aux installations et j’en passe... quitte à revenir vite fait à ses amours premières et à s’y limiter un bout de temps, comme aujourd’hui à Luxembourg. Toujours les routes, bien sûr, et encore des routes, à travers la France, l’Allemagne, l’Espagne, les Etats Unis, l’Italie, la Syrie, la Jordanie, le Liban, etc., dont il dévore l’asphalte et tout ce qui l’entoure avec ses trois yeux affamés d’espace : ses organes visuels naturels et son grand angle. Rien d’ésotérique, en fait, mais du frémissant, du vif, de l’immense !
Et ensuite ? Eh bien, ensuite il mélange le souvenir de ses impressions et sensations, tout comme de ses notes visuelles, dans la couleur à l’huile, et les étend au couteau sur de grandes toiles de lin tendues sur châssis de pin, comme sur autant d’ailes ou voiles de rêve prêtes à voler par delà les mers et au-dessus des continents. Est-ce le monde selon Dallanegra ? Positif. « J’aime faire vibrer ce qui paraît vide », affirme-t-il, « comme le trajet d’un lieu à un autre, ce qui fait la route, le sol, le ciel. Trop souvent seul semble compter le lieu d’arrivée, dont on attend tout, où tout doit advenir. J’aime faire exister le paysage en fuite de ces moments gommés de non-existence. »
Bon vent Jean-Marc ! Et qu’un grand nombre d’amateurs viennent entreprendre avec vous toutes toiles déployées ce magnifique voyage sur vos routes sans fin !
Giulio-Enrico Pisani
* * *
1) Galerie d’Art Michel Miltgen, 32 rue Beaumont, Luxembourg centre, ouvert lundi 14-18 h / mardi-vendredi 10-12,30 h & 14-18 h / samedi 9,30-12,30 h & 14-18 h.- Expo Jean-Marc Dallanegra jusqu’au 25 mars – voir aussi www.galerie-miltgen.lu/