Cinéma: «Rapito»
Un film bouleversant sur une période obscure de l’Eglise
Les dérives de l’Eglise catholique, au fil des siècles, ne sont-elles pas, finalement, à l’origine, la principale raison pour laquelle les offices religieux sont fréquentés seulement par une bien maigre couche de la population et que le nombre des fidèles poursuit sa chute spectaculaire? Déjà bien avant les milliers d’affaires de mœurs, à travers le monde, qui ont terni l’image de l’Eglise, la population a été, progressivement, moins dupe des agissements d’un pouvoir qui a surtout agi pour être utile à son propre enrichissement.
Le drame historique du réalisateur Marco Bellocchio, sorti en salle sous le titre «Rapito», remet sur la sellette, à travers une histoire véridique, une des nombreuses et tristes facettes de l’Eglise, au XIXème siècle.
En 1858, la ville de Bologne faisait encore partie des Etats pontificaux et, à ce titre, l’inquisition y avait encore droit de cité. Le 23 juin 1858, la police pontificale, sur ordre de l’inquisiteur Pier Gaetano Feletti, a investi la demeure où habitent la famille Mortara et leurs 8 enfants. Les policiers exigent que leur soit remis Edgardo, un de ces enfants, alors âgé de 6 ans et quelques mois. Pourquoi cet enfant plutôt qu’un autre de la famille Mortara?
Edgardo avait été baptisé en secret par une servante qui, en bonne chrétienne, craignait que, s’il venait à mourir, il irait rejoindre les limbes, ce lieu qui n’est ni enfer, ni paradis, ni purgatoire, mais pour l’Église un endroit où aboutissent les enfants qui n’ont pas encore été baptisés et qui décèdent. La bonne avait crû savoir que l’enfant était atteint d’une maladie incurable et que son décès était programme à très brève échéance.
L’Église catholique ne pouvait tolérer qu’Edgardo soit élevé dans sa famille juive, alors qu’il avait été baptisé, sauf s’il serait excommunié.
Le film va suivre l’existence d’Edgardo, emmené de force à Rome afin d’être placé dans un établissement proche du Vatican. Les Mortara vont tout faire pour récupérer leur fils. Dans un combat acharné contre la papauté, le couple Mortara va trouver des soutiens un peu partout dans le monde, au sein de la communauté juive, bien entendu, mais bien au-delà. Notamment auprès de personnalités politiques, de personnalités religieuses et de chefs d’état dont l’Empereur Napoléon III.
Le jeune garçon va connaître un véritable lavage de cerveau, va apprendre de nouveaux rites au sein d’une communauté dont il ne comprend pas les codes. Pendant ce même temps, le Vatican subit les assauts de vagues révolutionnaires et modernistes.
Le pape Pie IX, un pape devenu de plus en plus conservateur, s’est dressé contre toutes les personnes qui ont tenté de lui faire entendre raison. Pour le Vatican, l’époque était historiquement difficile avec la naissance progressive de l’état d’Italie et des attaques de plus en plus fortes contre le pouvoir temporel de l’Eglise. Ce qui amène Pie IX, qui considère Edgardo comme une prise de guerre, à se montrer d’une grande fermeté face aux demandes de la famille Mortara et de leurs soutiens.
L’enlèvement du petit Edgardo symbolise la volonté désespérée, ultraviolente, d’un pouvoir déclinant qui essaie de résister à son propre effondrement, en contre-attaquant. Ce soubresaut a donné à l’Eglise, pour un temps seulement, l’illusion de la victoire.
Beaucoup de séquences du film sont historiques, comme, par exemple, le procès de l’inquisiteur Feletti et l’entrée des troupes piémontaises à Rome en 1870.
Faussement classique, «Rapito» se révèle parsemé de séquences bouleversantes, filmées dans un clair-obscur qui leur donne parfois une tonalité baroque.
La force dramatique du film m’a conquis. Il nous montre l’obscurantisme de l’Eglise dans sa triste réalité.
Un film de Marco Bellochio, avec Paolo Pierobon (Pie IX), Fausto Russo Alesi (Momolo Mortara), Enea Sala (Edgardo enfant), Leonardo Maltese (Edgardo adulte), Filippo Timi (le cardinal Giacomo Antonelli), Fabrizio Gifuni (l’inquisiteur).