Kultur

»Variables« hivernales sous le signe de Hermann Nitsch

Exposition collective est-il vrai, ou, en quelque sorte, pot-pourri dodécaphonique, ces »Variables« de l’art selon Beaumontpublic(1) pourraient tout aussi bien s’intituler »Hermann Nitsch et les Autres« . Et le fait que ces »Autres« soient, à quelques exceptions près, des vieilles connaissances, ne devrait en rien diminuer l’intérêt du visiteur, bien au contraire.

Il s’agit en fait d’une quinzaine d’artistes d’un peu partout que je vous ai déjà présentés à un moment ou l’autre dans ces colonnes et parmi les travaux desquels nous découvrirons ou retrouverons avec beaucoup de plaisir quelques authentiques chef-d’oeuvres. Je pense notamment à la jeune luxembourgeoise Su-Mei Tse avec sa »Mistelpartitur« (2) et son autoportrait aux écouteurs, au couple allemand Anna & Bernhard Blume avec leur installation photographiée joyeuse »Trans-Skulptur I« , ainsi qu’au danois Per Kirkeby dont Beaumontpublic présente une splendide toile abstraite de 1983.

 »Montalese Crossing,« une nouvelle photo d’Ellen Kooi, reste cependant à mes yeux le clou de l’exposition. Loin des paysages du plat pays auxquels elle nous a accoutumés, l’artiste nous mène en Toscane, à Montale, dans la région de Pistoia, entre Prato et Florence, où elle »surprend« une jeune fille – son motif préféré – traversant à quatre pattes un long chemin de campagne. Rectiligne comme ceux qui bordent les polders hollandais, bordé de pins et courant tout droit de la moitié inférieure gauche du tableau vers l’horizon celui-ci divise le paysage de son ruban argenté dans un rapport d’environ 4/5 que l’on retrouve d’ailleurs entre un ciel d’acier où pointe le jour et une terre verte encore dominée par l’ombre.(3) C’est magique.

Mais venons-en à la figure dominante – du moins par le nombre d’oeuvres (plus d’un tiers) – de cette exposition. Il ne s’agit rien de moins que de l’artiste autrichien Hermann Nitsch, un géant de l’action painting et de l’art global, qui suscite aux USA et en Europe occidentale tout à la fois enthousiasme et répulsion, dégoût et admiration. Né à Vienne en 1938, il est co-concepteur de l’ »actionnisme viennois« , ainsi que, à partir de 1961, de l’ »Orgien-Mystérien-Theater« (théâtre des mystères orgiastiques). Cette forme d’art total inspiré du mouvement Fluxus tend à intégrer à peu près toutes les formes d’art : peinture, architecture, théâtre, architecture, installations, musique, etc.

Nous pouvons lire, notamment dans l’encyclopédie Wikipedia, qu’il rejoint en cela l’idée wagnérienne du »Gesamtkunstwerk« (oeuvre d’art globale). L’intégration du sang, du corps animal et du corps humain, la combinaison de rituels et d’éléments liturgiques et barbares dans ses actions sanglantes de caractère cérémoniel restent extrêmement controversés parmi les protecteurs des animaux et les défenseurs de la morale. Représentant d’une esthétique archaïque et provocatrice, Nitsch est pour les uns un véritable artiste d’une grande originalité et d’un immense talent, mais pour d’autres un primitif présomptueux oeuvrant dans le mauvais goût le plus outrancier. Je considère quant à moi que ces deux aspects de sa personnalité tourmentée sont absolument authentiques et ne s’excluent nullement.(4)

Hermann Nitsch s’inscrit en fait parfaitement dans l’atmosphère généralement anticonformiste, parfois choquante, voire crépusculaire, mais ponctuée d’éclairs d’humour, exhalée par la plupart des artistes de la galerie représentés chacun par une à deux oeuvres insérées le mieux possible dans ce pot-pourri artistique sans véritable fil conducteur. Quoiqu’il en soit, Beaumontpublic n’a inclus dans ses »Variables« d’hiver qu’une seule des »actions sanglantes« (tableau d’ensemble de photos) de Nitsch, boucheries visuelles à la limite du soutenable. Ses dix peintures exposées par la galerie sont en effet des tableaux abstraits, tout aussi violents, mais à la fureur pour ainsi dire symbolique, comme stylisée, moins évocatoire d’horreur. De niveaux très inégaux, tant d’inspiration que d’exécution, cette dizaine de toiles et gouaches ne m’ont d’ailleurs guère convaincu, excepté – oui mais exception de taille – sa splendide toile »sans tire (Günter)« , n°11, accrochée dans la grande salle du rez-de-chaussée.

Outre les noms déjà cités nous trouvons ou retrouvons aujourd’hui aussi Filip Markiewikz, Louise Bourgeois, Wim Delvoye, Marina Abramovic, Jan Fabre, Jonathan Meese, Günter Brus, Kosyo, Gudny Gudmundsdottir, ainsi qu’une sculpture–vidéo de Marie-Jo Lafontaine et un film vidéo (Furniture of Proportions) d’Yves Netzhammer. Autant d’artistes qui se retrouvent dans ce que Marie-Anne Lorgé appelle (Le Jeudi 23 décembre 2009), la »vision du monde (de Beaumontpublic), qui intègre toutes les formes d’art (...) et qui, pour se dire, cultive un ton particulier, entre »iconoclastie« et humour« .

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1) Galerie Beaumontpublic, (www.beaumontpublic.com), 21A avenue Gaston Diderich. L’exposition est ouverte mardi à samedi de 12 à 18 h. jusqu’au 16 septembre.

2) Zeitung vum Lëtzebuerger Vollek 3.4.2008 »Su-Mei Tse : 1000 Words for snow« 

3) Sur Ellen Kooi voir notamment mes articles dans Zeitung vum Lëtzebuerger Vollek »Toute la magie du plat pays« du 3.5.05 et »New Works« du 18.7.09

4) Voir l’article complet sub http://fr.wikipedia.org/wiki/Hermann_Nitsch, ainsi que site de l’artiste www.nitsch.org

Giulio-Enrico Pisani