1er mai. Entretien avec Nora Back, présidente de l'OGBL
«Nous défendons une sortie sociale de la crise»
Pour la première fois depuis de nombreuses années, l'OGBL a de nouveau appelé à une manifestation le 1er mai, à laquelle toutes les travailleuses et travailleurs sont invité(e)s à participer, perpétuant ainsi une longue tradition du mouvement ouvrier. A cette occasion, le «Zeitung vum Lëtzebuerger Vollek» publie une interview de la présidente de l'OGBL, Nora Back.
Comment la pandémie a-t-elle affecté le travail des syndicats ?
La pandémie a eu, dès le début, un impact important sur le travail du syndicat, car nous avons dû nous organiser différemment en raison des mesures décidées par le gouvernement et la Chambre des Députés pour lutter contre le virus et protéger la santé. Mais à aucun moment l'OGBL n'a été confiné.
Le syndicat est aujourd'hui plus que jamais nécessaire
Il était, et est toujours important aujourd'hui, car le syndicat est plus que jamais indispensable en ces temps incertains, et nos militants se sont accrochés malgré les restrictions dans la société et sur les lieux de travail.
C'est précisément à cause de ces restrictions que nous avons dû nous réorganiser en termes de soutien individuel, mais aussi en termes de travail dans les entreprises.
En outre, de nombreux salarié(e)s craignaient le risque de contagion et se posaient des questions sur le chômage partiel, les conventions collectives, les plans sociaux, le télétravail et le «home office». Ainsi, nos syndicats et nos délégations du personnel, qui se battaient en première ligne, avaient et ont toujours du pain sur la planche, car même pendant la crise, il fallait poursuivre les négociations, gérer les conflits avec le patronat, et défendre les intérêts des travailleurs dans des conditions modifiées.
Nous avons également continué d’intervenir au niveau national pour trouver le juste équilibre entre les mesures nécessaires pour contenir la pandémie et les efforts visant à prolonger les heures de travail dans plusieurs secteurs de l'économie, bien que pour une période limitée. Malgré tous les obstacles, l'OGBL a toujours été disposé à maintenir des contacts avec le patronat, même si à un faible niveau, et à défendre les intérêts des travailleuses et travailleurs dans les différents organes sur des questions d'importance nationale et, si nécessaire, à exercer la pression qui s’impose.
Néanmoins, les circonstances actuelles de la crise sont un fardeau, car, comme nous le savons, le syndicat se nourrit de la réflexion et de l'action collectives, et la collégialité fait défaut dans la crise.
Pendant la crise de Corona, les conflits sociaux se sont intensifiés dans certaines entreprises et certains secteurs économiques. Quelles en sont les raisons ?
Dans le passé, lors des réunions de notre Comité national, nous devions généralement traiter une ou deux entreprises ou secteurs de l'économie. Aujourd'hui, il y en a jusqu'à une douzaine, car dans presque tous les secteurs de l'économie, les salariés sont confrontés à des problèmes majeurs, souvent pour des raisons différentes.
Cela a commencé dans le secteur public, par la tentative de privatisation d'institutions ou de services publics, comme par exemple dans l'éducation, la sécurité, la recherche et les services sociaux et de santé. Subitement, des sociétés de conseil privées ont joué un rôle dans l'orientation du secteur de la santé, et des efforts ont été et sont encore déployés pour externaliser une partie de l'infrastructure hospitalière vers de petits services hospitaliers privés. Il y a manifestement une tentative de la part de médecins et autres prestataires de soins de santé d’utiliser la pandémie en vue de gagner de l'argent.
C'était et cela restera une erreur de faire des économies sur la santé
Je veux qu'une chose soit claire : l'OGBL s'est toujours catégoriquement opposé dans le passé à l'austérité, à la suppression de lits, aux mesures d'austérité dans les hôpitaux et aux tendances à la privatisation, et nous continuerons à faire tout ce qui est en notre pouvoir pour empêcher aujourd'hui une telle évolution. Ce sont toutes les conséquences d'une politique néo-libérale qui s'est avérée être un désastre, y compris au Luxembourg.
Il était et reste erroné de faire des économies sur la santé. Malheureusement, il ne semble pas y avoir à ce jour de prise de conscience dans certains milieux, ainsi qu’au sein du gouvernement, que des erreurs ont été commises. En tout état de cause, l'OGBL reste d'avis que des investissements massifs dans le système de santé publique s’imposent et qu'il continuera à le proclamer.
L'évolution dans de nombreux domaines du secteur privé reste compliquée. Dans le secteur du nettoyage, par exemple, qui a été identifié comme étant d'importance systémique, les agent(e)s de nettoyage ne reçoivent aucune reconnaissance, malgré le fait qu'elles (ils) aient dû subir des conditions de travail difficiles et des bas salaires, dans le passé et encore actuellement. En tant que syndicat, nous attendons donc que les entreprises de nettoyage, qui font partie des gagnants de la crise, reconnaissent les efforts de leurs salarié(e)s en satisfaisant les revendications syndicales qui ont été formulées lors des négociations de la convention collective, ainsi que lors des actions de protestation menées avec succès par notre syndicat, afin que le conflit social puisse être réglé aussitôt que possible. Il est vrai que le commerce a également beaucoup souffert sur le plan économique, et il n'est pas exclu que le pire soit encore à venir. Cependant, il y a aussi des gagnants de la crise dans le secteur, notamment le commerce sur internet et les supermarchés.
L'OGBL Commerce a présenté toute une série de propositions qui vont dans le sens de l'intérêt du commerce et des salarié(e)s, notamment une convention collective sectorielle pour les magasins de moins de 50 salarié(e)s, un «plan de maintien dans l'emploi» pour le secteur du textile et de la mode, et un gel des loyers des locaux commerciaux pour les trois prochaines années.
En effet, nous savons nous défendre lorsqu'il s'agit d'attaques contre les intérêts des salarié(e)s, même lorsque l'on tente d'étendre le travail du dimanche au-delà de la limite légale, et que le patronat refuse catégoriquement d'apporter une contrepartie aux travailleuses et travailleurs.
Dans le secteur de l'Horeca, qui a beaucoup souffert de la crise de Corona, nous sommes favorables à ce que l'Etat apporte un soutien financier adéquat aux entreprises pour qu'elles puissent survivre, mais il doit aussi garantir parallèlement l'emploi des travailleuses et travailleurs. Il en va de même pour le secteur de l'événementiel.
L'évolution reste également compliquée dans le secteur industriel, où l'on constate que la crise de Corona est utilisée comme prétexte par certaines entreprises pour supprimer des emplois, restructurer, remettre en cause ou encore annuler les acquis des conventions collectives précédentes. C’est le cas notamment de l'entreprise Eurofoil où, l'OGBL, avec les représentants du personnel et les travailleurs, luttent pour empêcher le démantèlement de la convention collective précédente, et pour obtenir de meilleures conditions de travail et de rémunération.
Le Luxembourg est désormais le pays de l'Union européenne où la proportion de personnes qui travaillent mais restent pauvres (travailleurs pauvres) est la plus élevée par rapport au nombre total de salarié(e)s. Comment cette situation peut-elle ou doit-elle être améliorée ?
C'est un véritable scandale que, dans l'un des pays les plus riches, tant de personnes qui travaillent chaque jour dans des conditions difficiles soient encore menacées par la pauvreté. Le risque général de pauvreté continue également d'augmenter. La situation est en outre particulièrement critique pour de nombreux monoparents.
Le véritable scandale est que rien n'est fait du côté politique pour contrer ce phénomène, alors que la crise aggrave encore la situation, et que de plus en plus de travailleuses et de travailleurs font partie des grands perdants de la crise.
Le pouvoir d'achat doit être renforcé
Pour rendre la sortie de crise socialement acceptable, il faut renforcer le pouvoir d'achat. Et, pour renforcer la demande intérieure et stimuler l'économie, il faut augmenter le salaire minimum de 10% et procéder à des ajustements salariaux généraux, notamment par le biais de meilleures conventions collectives et de conventions collectives sectorielles. Par conséquent, une réforme de la loi sur les conventions collectives est elle aussi urgente.
Les allocations familiales, qui n'ont pas été adaptées à l'inflation depuis 2006 et ont perdu depuis 20% de leur valeur, doivent être augmentées de toute urgence, pour ne pas dire immédiatement, et à nouveau liées à l'index.
Le gouvernement avait signé un accord en ce sens avec les syndicats le 28 novembre 2014, mais il n’a pas respecté ses engagements.
Aujourd'hui, la ministre de la Famille a de nouveau évoqué la possibilité de réindexer les allocations familiales, mais pas avant le 1er janvier 2022. L'OGBL exige que les allocations familiales soient immédiatement ajustées de 7,7%, et calculées rétroactivement à partir de 2014.
Les réductions d'impôts et l'augmentation du crédit d'impôt, en particulier le crédit d'impôt pour les parents isolés, constituent un autre moyen d'alléger la charge des salarié(e)s.
Pour payer les conséquences de la crise, nous pensons aussi qu'il faut instituer un impôt de crise sur les gagnants de la crise, qui ne se trouvent pas parmi les salarié(e)s.
L'un des objectifs de l'OGBL est le plein emploi. Quelles mesures doivent être prises pour y parvenir ? Quelle réduction du temps de travail préconise le syndicat ?
La demande de réduction du temps de travail est le fil rouge qui traverse tous les programmes des congrès de l'OGBL. Nous nous y tenons encore aujourd'hui et demandons une réduction du temps de travail avec une compensation salariale complète, y compris une 6ème semaine de vacances ancrée dans la loi. Nous ne sommes pas satisfaits du succès partiel que nous avons obtenu en introduisant un jour férié supplémentaire.
Pour une réduction du temps de travail avec maintien du salaire complet
La réduction du temps de travail peut également être un moyen de sauver des emplois, d'éviter les licenciements massifs et de réduire le chômage de longue durée.
Pendant cette crise, grâce à l'OGBL, des suppressions d'emplois ont été évitées dans de nombreux secteurs C'est notre première tâche. Par exemple, les plans de maintien dans l'emploi et les mesures supplémentaires de formation et de développement sont des éléments utiles.
L'OGBL fait également pression pour obtenir des réformes législatives, par exemple, sur les plans sociaux, les plans de maintien dans l'emploi et les faillites. De telles réformes sont nécessaires de toute urgence pour donner aux salarié(e)s une meilleure protection et de meilleurs droits.
Il est également nécessaire d'investir davantage dans les nouveaux métiers qui peuvent être créés grâce à la numérisation et à la transition écologique. Dans le même temps, les professions artisanales doivent être rendues plus attrayantes grâce à de meilleurs salaires et conditions de travail.
Dans ce domaine, il est particulièrement important de lutter contre la précarité des jeunes et de veiller à leur garantir une bonne formation, des emplois permanents et des salaires décents. Sinon, nous risquons une catastrophe sociale car, avec de plus en plus de contrats temporaires, et des conditions de salaire et de travail précaires, leur avenir risque fort d'être compromis. C'est exactement ce que l'OGBL veut empêcher.
L'OGBL s'est récemment impliqué davantage dans la lutte contre la pénurie de logements. Quelles sont ses propositions pour améliorer cette situation catastrophique et surmonter la pénurie de logements ?
La crise du logement est devenue une crise sociale et les gouvernements successifs n'ont rien fait pour stopper les seigneurs du bâtiment et les spéculateurs d'une part, et pour créer suffisamment de logements abordables d'autre part.
Des mesures concrètes contre la pénurie de logements !
Il s'agit en fait d'une capitulation pure et simple, car les réformes du pacte le logement et du contrat de location, tant vantées par le gouvernement, sont des réformes cosmétiques qui ne résoudront aucun problème, raison pour laquelle l'OGBL avait demandé à la coalition de retirer les projets de loi et de les réviser.
Parmi les demandes du syndicat, qui sont également présentées par de nombreuses autres organisations dans le cadre d'une coalition, figurent l'introduction d'un impôt foncier progressif et d'une taxe nationale de rétention foncière pour lutter contre la spéculation, un plafonnement des prix de l'immobilier, un frein efficace à la hausse des loyers, une réforme de l'aide au loyer, une augmentation des subventions pour l'efficacité énergétique, une augmentation significative de l'offre de logements sociaux en propriété publique.
Après de nombreuses années, l'OGBL manifestera à nouveau dans les rues ce 1er mai. Quels sont les mots d'ordre sous lesquels le syndicat manifestera à Esch-sur-Alzette lors de la journée de lutte traditionnelle du mouvement ouvrier ?
Le 1er mai a toujours été une date importante pour le syndicat. Une manifestation à Neumünster, comme ce fut le cas ces dernières années, n'était pas possible. Un 1er mai numérique, comme ce fut le cas l'année dernière, n'est pas satisfaisant. De sorte qu'il ne restait en fait que la possibilité de poursuivre la longue tradition du mouvement syndical de descendre dans la rue, en respectant les exigences de santé et de sécurité nécessaires qui s’imposent.
Nos slogans incluent une sortie sociale de la crise, la préservation de l'emploi, plus de pouvoir d'achat et de logements abordables, une bonne sécurité sociale pour tous, la cogestion, la démocratie et la paix.