Pop Art : la soixantaine sempervirente !
Et voilà que j’enfreins une des règles fondamentales de la présentation d’expositions, c'est-à-dire de ne pas commenter ou critiquer ce que l’on n’a pas vu. Mais vu les circonstances, les expos sont moins nombreuses. Les galeries ont du mal à amener à des dates convenues ces artistes étrangers qui contribuent à la renommée cosmopolite du pays plus favorablement que les dollars à blanchir, dates à la merci de restrictions frontalières imprévisibles. Ainsi la Galerie Schortgen (1) peut nous inviter suffisamment tôt au vernissage de l’expo de Paul Thierry et de Gilbert Retsin, pour que je puisse vous la présenter dès à présent. Entre nous, si je me permets cette exception à la règle, c’est que 1°, je connais déjà les deux artistes et que 2°, la galerie m’a fait parvenir une riche documentation photographique que je visionne et étudie sur l’extra-grand écran de mon PC. Commençons donc par découvrir les dernières créations de
Paul THierry.
Il est vrai que cet «artiste allemand du Pop art», comme il se définit lui-même et que je considère, moi, un peu comme un extraterrestre du genre, ne fréquente pas immodérément notre petit pays. C’est en effet la première fois depuis 2013 que la galerie Schortgen nous présente une expo de ses artéfacts; rareté regrettable, car il y a toujours du nouveau à découvrir chez cet artiste aux tableaux où même le vintage se moque des années et qui narguent les deux dimensions censées les contenir. Attention: ne croyez surtout pas qu’il s’agisse de bas-reliefs, même si certains effets 3-d plus ou moins apparents dans ses oeuvres accrochées aux cimaises de la galerie vous y feront accéder, à la 3ème dimension. Celle-ci n’est qu’optique et vous ne vous ouvre au volume, à l’espace, que pour mieux plonger dans la 4ème dimension, le temps, et retrouver notamment des personnages mythiques comme Maria Callas ou Marilyn Monroe (hélas masquée au (dé)goût du jour.
De Paul Thierry – Peter Bednorz de son véritable nom – Schortgen nous dit qu’il est né en 1960, à Dramatal près de Gliwice (Haute Silésie), qu’il a fréquenté le Gymnase de Katowice et poursuivi ses études artistiques à Bytom avec le Professeur Lorenz. Il a commencé à exposer très tôt dans toute l’Allemagne et n’a pas tardé à s’ouvrir au monde entier à travers ses voyages culturels. Ses œuvres sont constituées de divers matériaux tels que le métal, le verre, le bois et la peinture acrylique. Afin de composer ses tableaux, Paul Thierry aborde tous les domaines et puise dans les sujets les plus divers: métropoles, personnalités célèbres à travers l’histoire, ainsi que objets de mode joints à des photographies, des morceaux de journal assemblés en collages pleins de fantaisie.
En fait, le charme si particulier de ses tableaux, qu’il faut voir de près pour vraiment en apprécier le mystère, résulte en bonne part de ses techniques mixtes reposant sur une superposition de plans bidimensionnels. C’est ainsi que Thierry tente de saisir également la troisième dimension et de se projeter dans la quatrième, l’espace-temps, grâce à sa philosophie de l’histoire et de l’art. (2) Aussi, les incursions dans le temps de l’artiste, ne relèvent pas vraiment d’une esthétique superficielle due à ses brillants artifices techniques flirtant avec la 3-d. Elles naissent plutôt de la juxtaposition, valorisée par un procédé original, de représentations de personnes, choses, espaces et évènements ayant en commun l’histoire générale et celle de l’artiste, donc leur présence simultanée dans sa mémoire. Mais voilà qui nous mène, mémoire parlant, après un clin d’œil à leur confrère Banksy, vers son co-exposant, cet autre maître du Pop, mais aussi du Street art, qu’est
Gilbert Retsin.
Né en 1951, Retsin vit et travaille à Bruges, participe à de nombreuses expositions de groupe ou individuelles et voit ses oeuvres exposées dans de nombreuses collections privées, notamment en Belgique, en France, en Allemagne, aux Pays-Bas, au Luxembourg et aux États-Unis. C’est principalement par l’étude et la pratique des arts graphiques, qu’il acquiert les différentes techniques qui lui permettront de se lancer à partir de 1980 dans la réalisation d’affiches publicitaires, du design, du graphisme et de la pub pour les entreprises de mode. Vers la fin des années quatre-vingt qu’il commence à s’orienter principalement vers l’art. À partir de 1992, il parvient enfin à s’y consacrer entièrement et s’y épanouira tant par de nouvelles recherches qu’en une adroite, voire géniale symbiose entre des techniques contemporaines et des formes plus traditionnelles de peinture, photo, dessin, surcharge picturale et autres.
Dans ses tableaux, Retsin obtient une forte densité de l’imagerie et des sujets, notamment grâce à la création d’un mélange de scènes et d’images souvent inspirées des médias, ainsi que par des collages à partir de bandes dessinées, coupures de magazines, spots publicitaires, chiffres, lettres et textes divers. Ajoutez-y son propre imaginaire, tout comme ses projections subliminales, ses souvenirs et vous obtenez les éléments fondamentaux d’ensembles pleins de poésie graphique et picturale. L’artiste ne s’en contente toutefois pas, bien sûr et, tout en poursuivant dans cette voie, développe sans trêve ses recherches techniques comme dans la peinture elle-même, puis artistiques dans les collages et les éléments décoratifs qu’ils lui apportent, lui permettant de compléter l’oeuvre.
À partir de 1998, il réalise également des peintures partiellement calquées sur des posters, ainsi que sur des modèles photographiques de stars du cinéma et de pinups passe-partout. Il puise ses thèmes de prédilection dans la culture médiatique et la publicité de cinéma en mettant l’accent sur l’influence toujours croissante de l’américanisme de l’époque et de sa culture populaire, mais aussi du roi US-dollar avec ses dérives. Ses mises en scène se font alors plus insistantes, plus affichées, pouvant aller jusqu’à la satire comme dans «Marlboro kid» ou «Brookland Grand Prix». Progressivement sa technique deviendra celle de la «double peinture», C'est-à-dire qu’une fois la toile terminée, il la gratte jusqu’à pouvoir réaliser des effets précis de composition et de retouche, obtenant ainsi un résultat rongé, effrité, qu’il appellera le «distressed».
L’artiste s’oriente à présent principalement vers l’exhibition des différents aspects de l’iconographie américaine populaire, du capitalisme consumériste et du star-system. L’œuvre de notre Brugeois affiche plein d’ironie sans doute, d’l’indulgence surement et – je peux me tromper – peut-être une certaine nostalgie. Quoiqu’il en soit, de son point de vue, la peinture d’affiche ne se dissocie pas de l’art. Aussi écrit-il: «Ce qui m’attire dans l’iconographie américaine et son caractère typique, c’est le pluralisme de sa culture, sa liberté, son optimisme. La fascination exercée par les médias et la publicité, les affiches, la peinture de cinéma, les plaisirs de la trivialité, le sens à la fois de la réalité et de la simplicité et par-dessus tout son côté entertainment».
Giulio-Enrico Pisani
***
1) Galerie Schortgen Artworks, 24, rue Beaumont, Luxembourg centre. Exposition du mardi au samedi, de 10h30 à 12h30 et de 13h30 à 18h. Du 27 février (vernissage à 15h) au 3 avril
2) La quatrième dimension, donc l’espace-temps, doit être comprise ici comme comparant, voire comme allégorie, donc de manière historique et philosophique et non purement physique.