Jörg Döring : Mixed Media chez Schortgen
En fait, cette exposition de Jörg Döring est intitulée « Huile sur toile – Mixed media », mais nous retiendrons surtout la seconde dénomination, car si la première est tout aussi globale que la deuxième, elle prête en outre à confusion, lorsque « Mixed media » englobe avec plus de justesse le grand nombre de techniques mises en oeuvre par Jörg Döring. Cet artiste est d’ailleurs loin d’être un inconnu au Grand-duché. Il a en effet déjà exposé ses gravures aussi originales que joyeuses en novembre/décembre 2007 à la galerie Schortgen, ce qui m’a permis de vous présenter l’artiste et son travail dans notre bonne vieille Zeitung du 15.11.2007.
Il n’est bien entendu pas question, de vous obliger à aller farfouiller dans les archives du journal, aussi vais-je vous présenter une fois de plus cet artiste exceptionnel, et ce avec d’autant plus de plaisir, qu’à l’instar de tout créateur authentique, Jörg Döring sait se renouveler. Certes, son style reste inchangé et ses sujets de prédilection – l’imagerie populaire cinématographique des années 1950-1980 – est omniprésente. Cependant ses techniques, la présentation des personnages qui ont marqué sa jeunesse et la mise en scène de ses sujets se renouvelle constamment pour s’épanouir en une quasi-infinité de variations. Mais voici tout d’abord un extrait de mon précédent article, texte qui est toujours d’actualité et que je compléterai ensuite par un aperçu de cette évolution que l’on pouvait déjà y pressentir, tellement est évidente l’énergie créative que développe cet artiste :
« Jörg Döring est facile à découvrir sur Internet. Outre son propre site www.joerg-doering.de/, des centaines d’autres « parlent » de lui en long et en large. Prenez par exemple le blog « Végétal Coriace », où un certain Johnny Jungle (un pseudo, sans doute) écrit que « Jörg Döring est passionné par les Etats-Unis, berceau du Pop Art, et par ses figures célèbres dans le monde entier comme Roy Lichtenstein et Andy Warhol ». C’est tellement juste, que la première question qui m’est montée à l’esprit en rencontrant l’artiste lors du vernissage, ne fut pas pour connaître le pays où il vivait et travaillait, mais le quartier de New York où il demeurait. Et, voulant faire encore plus le malin, je précisai : ... « à Greenwich Village sans doute ? ». Éclat de rire de l’artiste : « Mais non, à Düsseldorf-Meerbusch. Venez donc me voir, si vous passez par là ! » (…) En attendant, Jörg Döring me raconte son travail. J’essaie de retenir ses mots pour vous, amis lecteurs. Mais les mots volent... Je les retrouve pourtant dans l’interview apocryphe que Döring donne à J.D., à lui-même en fait : « ... J’ai un nouvel atelier. 800 m2, deux étages. Ciel et Enfer. Les séries sont faites au rez-de-chaussée. Elles nécessitent beaucoup de technique (...) Laver les cadres, préparer les couleurs (...) à côté, c’est là que tout est construit, tendu sur cadre, emballé (...) Au 1er étage, c’est un peu mieux. Rien que de la peinture pour chaque mettre carré. Un nombre incroyable de toiles en cours de production. Commencées, à moitié terminées, jamais finies. 500 pinceaux, peut-être plus de couleurs. Un champ de bataille… »
En fait, Jörg ne travaille pas en solitaire comme la majorité des artistes contemporains. Il emploie toute une équipe, qui le décharge du travail basique et technique... Je pense aux grands ateliers de la Renaissance, où des maîtres confirmés comme le Ghirlandaio faisaient travailler des dizaines d’ouvriers et d’apprentis : à la fois rudes et fertiles pépinières où poussaient les Granacci et les Michel-ange. Contrairement à Michel-ange, individualiste et solitaire jusqu’au bout, Jörg a dû partager, déléguer, céder le non-essentiel aux assistants. Tout comme les Bellini, le Ghirlandaio, ou Rubens dont le succès fit de véritables entrepreneurs obligés de faire face à une demande énorme, Jörg a du mal à la suivre, la demande. Plus de soixante galeries se disputent ses toiles, sans parler des invitations à des concours ou expositions officielles, alors, sommes-nous en présence d’art industriel. Certainement pas ! »
Je détaillais également dans cet article sa technique de gravure sérigraphique ; mais ce ne sera pas nécessaire cette fois, car sa technique a changé. Et voilà que l’artiste me confirme le terme « Mixed » de son titre car, oui, il s’agit bien tout à la fois de peinture à l’huile sur toile et de techniques mixtes. Nous retrouvons bien sûr ses principaux sujets et motifs de prédilection, souvent répétés, probablement à concurrence de leur indélébilité dans l’esprit de l’artiste dont ils ont marqué l’enfance et l’adolescence. Né en 1965 dans ce bassin de la Ruhr dont la renaissance fut caractérisée par les trente glorieuses et par l’influence des américains à qui de nombreux Rhénans en attribuaient à tort ou à raison le mérite, il a grandi d’abord dans la culture pop du dessin animé puis du grand cinéma hollywoodien et de son star-system, sans que l’un ne chasse l’autre.
Ainsi retrouvons nous dans l’iconographie de Jörg Döring aussi bien la Betty Boop des studios Fleischer que Mickey, Donald et consorts qui, nés dans les années 1928/30 aux USA, occupèrent graphiquement l’Europe dans les années cinquante à soixante-dix. Autres icônes du même cru : l’empereur du pop art Andy Warhol, l’ensorcelante et tragique Marilyn Monroe, l’inimitable Steve McQueen, Mohamed Ali, Sammy Davis jr., Marlon Brando, Frank Sinatra, Elvis Presley, mais aussi Romy Schneider, Sofia Loren, Brigitte Bardot, Audrey Hepburn et autres Ursula Andress. Et n’oublions pas les « accessoires » d’époque du système, comme les voitures de sport, la Vespa, la cigarette « dans le vent » et bien d’autres symboles des – justement – trente glorieuses.
Maître contemporain d’un art aussi jouissif que vaguement nostalgique, héritier du Pop Art new-yorkais en général et de ses monstres sacrés que furent Roy Lichtenstein, Andy Warhol et Tom Wesselmann en particulier, Döring s’exprime dans ses créations au sens le plus large du terme, mais sans servitude aucune vis-à-vis de ses prestigieux prédécesseurs. Ainsi que je l’ai écrit plus haut, il vit et travaille toujours dans sa région natale, où il expérimente constamment de nouvelles techniques dans son immense atelier. Et si la base de ses tableaux est généralement constituée de photos, dans la présente exposition celles-ci sont la plupart du temps retravaillées sur ordinateur, projetées sur toile, enrichies, voire recomposées par des collages et peintes à l’huile. L’extraordinaire harmonie et la gaieté de ses compositions constituent sans doute l’un de ses atouts majeurs et en même temps la clef de son succès. Mais ce qui est particulièrement, je dirais presque historiquement intéressant chez Jörg Döring, c’est le grand nombre de facettes et la manière jubilatoire sous lesquelles ils nous présente et fait redécouvrir le milieu et les personnages mythiques de ces années là. Et voilà donc, amis lecteurs, une exposition qui mérite d’être vue et revue sans modération !
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1) Galerie Schortgen Artworks, 24, rue Beaumont (tel. 5464.8744), Luxembourg centre. Exposition Jörg Döring, mardi à samedi de 10,30 à 12,30 et de 13,30 à 18 h. jusqu’au 10 février.
Giulio-Enrico Pisani