Kultur

Expo « Maux Intimes * Mots cachés » à La Galerie :

Mots tus, mots dits et mots peints de Catherine Klein

« Passionné par la typographie », nous dit Claude Truchi, le directeur de La Galerie (1), « j’ai été conquis par l’impact visuel ressenti face aux oeuvres de Catherine Klein. Point de calligraphie pompeuse destinée à camoufler la pauvreté d’un texte, mais un caractère simple et bien choisi, sans fioritures, aussi efficace que celui utilisé sur une caisse pour indiquer « Haut » ou « Bas ». Découvrir la profondeur de l’intimité des confidences faites au travers de ces lignes demande un effort, mais il est indispensable à la compréhension de l’œuvre … », une oeuvre dans laquelle on se perd et on se découvre soi même. Car, l’autre, c’est encore moi et, ainsi que l’écrivit Montaigne dans ses « Essais », « Le secret que j’ai juré ne déceler à nul autre, je le puis, sans parjure, communiquer à celui qui n’est pas autre : c’est moi ».

J’ai aimé les mots d’introduction de Truchi à une artiste qui pour être néophyte et autodidacte n’en fait pas moins preuve d’un goût raffiné, d’une grande force d’expression et d’une boulimie de découverte exceptionnelles. Et ça, je l’ai senti dès mon entrée à La Galerie, ce qui m’a amené à demander à Catherine Klein toute une documentation sur ses précédents travaux… question de mettre ses « Maux Intimes * Mots cachés » en perspective. C’est qu’il y a de quoi être intrigué par cette expression de sa poésie subliminale étrangement ordonnée compte tenu de ses substrats oniriques. Certes, dans l’école Pop on a déjà beaucoup écrit sur toile et le grand Jacques Villéglé y a transposé avec bonheur et infiniment de poésie la culture graffiti. Mais rien de ce que j’ai vu à ce jour ne martèle son expression avec une telle force : peinture où l’on retrouve un peu de l’obsédante répétition (mais jamais identique) des Dits du Meunier. (2) En effet, la vingtaine de toiles saturées de lettres, paroles et phrases quasiment sculptées en bas-reliefs de poudre de marbre, sable et huile sur toile de lin puis peintes à l’acrylique méritent plein de qualificatifs, en résumé : superbes !

Prenez donc les mots dits en Mot 4 : « je feutre de vapeur mon malheur / bien trop peur / cache tes pleurs » ou « sans aucun soupir / elle effleure ses souvenirs / sueurs froides en mémoire »... Mais aussi mots tus en Mot 14 : « il ressemble à un facteur de fable / C’est un roméo en couch’culotte / un craqueur d’allumettes » ou « c’est un bouffons à l’humour grinçant / un écorché vif impudent / tu colles, tu pièges, tu baises, tu blesses... » Peinture monochrome et écriture automatique, de quoi s’y perdre et s’y abreuver jusqu’à plus soif de mots d’elle qui, m’avoue-t-elle, « aime les mots : leur nuance, leur impact, leur jeu... Je n’aime pas la ponctuation, c’est comme si on vous demandait de respirer au rythme d’autrui. J’aime dire que le mot suffit, l’espace suffit… ».

Un moment… ou mot de réflexion devant cette collection de tableaux tout de mots, puis elle ajoute : « À aucun moment je n’ai voulu réaliser quoi que ce soit, la peinture est pour moi avant tout un exutoire, c’est viscéral ; elle est intuitive et sensitive. Rebelle à l’apprentissage, je ne veux pas être guidée (…) je dois ressentir. C’est comme avancer dans un endroit très obscur ; deviner les objets, les sentir, les toucher, les entendre, quel plaisir ! Découvrir soulager respirer ! (…) Quelques expositions « confidentielles » et privées, parfois dans des sites merveilleux comme l’Arsenal à Metz, ou l’église St Pierre aux Nonnains à Metz… » par ci, un premier prix par là, mais chez Claude Truchi, à La Galerie, c’est sa première grande exposition. Un aboutissement ? Certainement pas. Un passage plutôt. « Cette rencontre avec l’autre est un hasard… ». Elle ne l’a pas vraiment cherchée. « … L’essentiel est dans (…) mon instinct, ma sensation… ».

Catherine Klein, c’est primordialement l’architecture qu’elle aime et où elle baigne depuis toujours : espace, volumes, lignes, habitat. Habitée elle-même, elle voudrait nous le faire partager : « Ces textes ou plutôt ces mots mis bout à bout sont en partie mon vécu, je n’invente rien (…) banal mais tellement vrai. Incompréhensible sans doute, mais avec la résonance d’un mot à la lecture on peut suivre sa déduction, puis son idée et chacun compose son émotion, comme en peinture, ou en architecture avec l’espace et la lumière ». Née en 1960 en France, Catherine Klein vit à Metz « depuis toujours » ? Donc à un saut de puce de chez nous. Il y a fort à parier que nous aurons encore de ses nouvelles. Mais pourquoi attendre d’autres occasions pour venir admirer son expression talentueuse tous azimuts ? Carpe diem. Le tiens ne vaut-il pas mieux que le tu l’auras ?

À l’instar de la majorité des galeristes, notre ami Truchi aime cultiver une certaine homogénéité dans les oeuvres exposées par ses artistes. Ceux-ci se voient dès lors limités à une partie d’eux-mêmes. Partie homogène, achevée, accomplie, aboutie d’une recherche qui, s’il elle a quelque part un commencement, ne connaît toutefois pas de fin, du moins du vivant de l’artiste. Alors, où est l’autrement ? Où sont les abstractions, les nus, les couples, la prison, l’enfance, les visages fragmentés, les regards désenchantés, le torso brisé, le sacre du printemps ? Par où mène le chemin la libérant des monstres sacrés du passé, des Pablo Picasso, Salvador Dali ou autres René Iché ? Via André Breton ? Sûrement pas, mais, très simplement, par l’écoute de soi. C’est pourquoi, au-delà de cette peinture toute de poésie à la fois naïve et surréaliste, m’efforcé-je de découvrir le cheminement créatif de la poétesse, de la sculptrice, de l’artiste peintre vers son propre style, vers son propre accomplissement.

Mais comment le critique, que je ne suis pas, ou le présentateur d’artistes, ce qui me convient mieux, pourrait-il y parvenir au vu de quelques tableaux ? Tout au plus ose-t-il présumer, deviner, esquisser. Mais je suis au moins certain d’une chose : que, si les mots peints de Catherine Klein constituent aujourd’hui un aboutissement d’une rare perfection, l’artiste, pas plus qu’elle n’en est à son coup d’essai, n’a pas dit son dernier mot. Qu’attends-tu donc, ami lecteur, pour faire savoir à cette créatrice trop discrète, que sa fenêtre enfin ouverte au Luxembourg sur le mystère de ses créations t’enchante ? Qu’elle te fera peut-être t’exclamer in petto, à l’instar du poète Mahmoud Darwich : « Et je m’en suis allé chercher mon espace / Plus haut et plus loin / Encore plus haut, encore plus loin / Que mon temps… » ?

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1) La Galerie, 10-16 place de la Gare, L-1616 Luxembourg, tel 269 570 70, (Passage Alfa, en face de la gare), expo Catherine Klein jusqu’au 26 février – lundi à vendredi 14-18,30 h, samedi 14-18 h.

2) Recueil de poèmes du journaliste, historien et poète Alain Guérin. Présentation dans Zeitung vum Lëtzebuerger Vollek du 23.5.2006.

Giulio-Enrico Pisani