Kultur

Bienvenu, Tawfiq Zayyad, au cercle des poètes disparus ! Ai-je dit disparus ?

Pas tout à fait exact, ce terme, malgré le charmant souvenir que nous a laissé certain film de Peter Weir tourné d’après le scénario de Tom Schulman et rehaussé par l’étonnante performance de Robin Williams en professeur de lettres anticonformiste ! Un seul problème, une contradiction en fait, qui ne m’apparut d’ailleurs pas d’emblée : les poètes disparus, ça n’existe pas vraiment. Les hommes ou les femmes peuvent disparaître, mais non leurs poésies. Et c’est bien ce qu’exprimait Charles Trenet bien avant Schulman et Weir dans sa chanson « L’âme Des Poètes ». Vous vous souvenez tout de même de son « Longtemps, longtemps, longtemps /Après que les poètes ont disparu /Leurs chansons courent encore dans les rues... », n’est-ce pas ? Et vous aurez sans doute également remarqué, amis lecteurs, que certains des écrivains et des poètes que je vous ai présentés et conseillé de lire ne sont plus en mesure de répondre à vos lettres, mails ou sms.

Qu’il s’agisse de Pablo Neruda et Antonio Machado ou, plus récemment, de José Ensch ou Nic Klecker, nous ne les croiserons plus dans les librairies, les bibliothèques ou les centres culturels, mais leurs poèmes, oui. Car l’âme des poètes, donc leur poésie, vit aussi longtemps qu’il y a des femmes et des hommes pour la lire ou la chanter. Mais qu’en est-il, si malgré son excellence, sa grandeur d’âme, la force de son rayonnement local, l’amour des petites gens et une poésie toute harmonie avec son existence, le poète est ostracisé, ignoré, repoussé dans l’anonymat par les garants mêmes du patrimoine lyrique de son pays ? Que se passe-t-il quand le poète a été maire communiste d’une ville « sainte » dans une zone de manoeuvres militaires du pays qui n’est autre que le plus grand porte-avion nucléaire des USA au Proche Orient ?

Il se passe, par exemple, que vous chercherez en vain le poète arabo-israélien Tawfiq Zayyad sur les étalages de votre librairie, amis lecteurs. Vous n’y trouverez donc pas l’auteur des vers émouvants que je vous ai cités dans mon article du 5 février sur Abdellatif Laâbi.(1) Et même sur Internet, vous ne trouverez qu’au bout de laborieuses recherches quelques-uns de ses poèmes en arabe, l’un ou l’autre à la rigueur traduit en anglais. Même le prestigieux Khalil Sakakini Cultural Centre de Ramallah l’ignore.(2) Une exception pourtant : ses poésies que Jalel El Gharbi vient de traduire en français et de mettre en ligne sur http://jalelelgharbipoesie.blogspot.com/. Par la même occasion, Jalel nous confirme que Zayyad a publié de nombreux recueils aussi bien à Nazareth qu’à Ramallah, son oeuvre complète n’étant disponible pour l’heure qu’en arabe.

Né en 1929 en Galilée, Zayyad a été étudier la littérature en URSS. De retour chez lui, il est élu en 1973 à la Knesset sur la liste du parti communiste Rakah. Également tête de liste du Rakah à Nazareth, il en devient maire la même année. Non violent, mais doué d’un verbe et d’une plume acérés, il a notamment largement contribué par ses rapports et écrits à la condamnation de la politique israélienne par l’ultra-grande majorité des pays membres de l’ONU. Bête noire du gouvernement israélien et particulièrement des autorités d’occupation en Palestine, il meurt en 1994 dans un accident de voiture dans des circonstances troubles, qui rappellent étrangement celles qui coûtèrent la vie à notre ministre communiste Charles Marx.(3)

Si sa prose écrite et ses discours virulents furent ses principaux vecteurs d’arguments vers le monde politique local et international, sa principale arme populaire, celle par laquelle il entra dans le coeur des gens au point que même de nombreux israéliens lui rendirent hommage, fut sa poésie. Lue, portée par des chanteurs populaires et publiée en arabe dans la région elle ne laissait personne indifférent et faisait de lui pour les sionistes l’homme à abattre, à faire disparaître. Leur problème, comme je l’ai dit plus haut, étant que l’on peut, sans doute, faire disparaître un homme, mais pas un poète et, encore moins sa voix. Alors, en attendant qu’un éditeur francophone ne se décide à éditer son oeuvre, j’ajoute ici aux poèmes traduits en français par Jalel El Gharbi sur son site, deux autre poésies que j’ai moi-même traduites tant bien que mal de l’anglais :

Ici nous resterons
(a été chanté par Karem Mahmoud)

À Lydda, à Ramla, en Galilée
nous resterons
comme un mur sur votre poitrine
et dans votre gorge
comme un tesson de verre
une épine de cactus
et dans vos yeux
une tempête de sable
nous resterons,
mur sur votre poitrine,
assiettes propres dans vos restaurants,
à servir à boire dans vos bars
laver les sols de vos cuisines
arracher une bouchée pour nos enfants
à vos ongles bleus.
Ici nous resterons,
à chanter nos chansons,
emprunter les rues de la colère,
remplir les prisons avec dignité.
À Lydda, à Ramla, en Galilee,
nous resterons
à garder l’ombre des
figuiers et des oliviers,
et fermenter la rébellion chez nos enfants
comme le levain dans la pâte.

*

Tout ce que j’ai
Je n’ai jamais porté un fusil
sur mon épaule
ou armé une détente.
Tout ce que j’ai,
est mélodie de flûte
pinceaux pour mes rêves,
un encrier.
Tout ce que j’ai
est une foi inébranlable
et un amour infini
pour mon peuple en peine.

***

1) « Et je donnerai la moitié de ma vie / À celui qui ferait rire un enfant en larmes / Et je donnerai l’autre moitié pour protéger / Une fleur fraîche du péril. » (www.zlv.lu > Kultur)

2) www.sakakini.org/ qui recense pourtant Ahmed Dahbour , Ali El Khalili, Hussein Barghouti, Ibrahim Nasrallah, Mahmoud Darwish, Mohammed Reesha, Mureed Barghouti, Samer Abu-Hawwash, Taha Mohammed, Youssef Abd Al-Aziz, Zuheir Abu Shayeb, Fadwa Tuqan, Ghassan Zaqtan, Izzidin Al-Manasra, May Sayigh, Mohammed Al-Qaissi, Nathalie Handal, Samih El Qasim, Taher Riyad, Walid Khazindar et Zakaria Mohammed.

3) cf. « Charles Marx, un héros luxembourgeois », Éditions Zeitung vum Lëtzebuerger Vollek. Et en anglais, article du 20 Janvier 2010 sur http://palestinian.ning.com/profiles/blogs/here-we-stay-palestinian

Giulio-Enrico Pisani