Kultur

Tung-Wen Margue & Michael Najjar à la Galerie Clairefontaine

Place Clairefontaine samedi matin. 11.30 h. Une petite pluie plus hivernale que printanière. Pas de manif. La tripartite fait sa pause week-end. J’ai rendez-vous avec ma femme vers 12.30 h à la brasserie Guillaume. Encore une heure à tirer. Pour la Grande-duchesse Charlotte pas un problème. Elle est en bronze, moi en chair de poule. Bref lèche-vitrine puis...

Et pourquoi pas un moment au Musée d’Histoire de la Ville de Luxembourg ? Je me dirige vers la rue du St-Esprit lorsqu’une vive clarté me frappe au coin de l’oeil gauche. « Mais voilà ! », a l’air de me dire Son Altesse en m’indiquant l’autre côté de la place : « Pourquoi chercher midi à quatorze heures ? ». Intrigué je m’approche de la lueur et découvre toute la lumière du monde (pas tout à fait, mais presque). En fait, c’est un paysage abstrait, où l’éclat diffus d’un soleil tout à la fois absent et omniprésent s’emmêle les rayons et fusionne avec des prairies oniriques sur une vaste toile signée

Tung-Wen Margue,

qui se découvre à moi dans la vitrine de l’espace 1 de la Galerie Clairefontaine.(1) Je me rappelle alors avoir déjà fait la connaissance de ce peintre, sculpteur et graveur, à l’occasion de l’exposition collective « Blue Stag Hipe » (La promotion du cerf bleu) en avril 2007. Hélas, notre rencontre fut beaucoup trop brève et le nombre de ses oeuvres y était trop limité, pour que j’aie pu à l’époque vraiment apprécier l’artiste a sa juste valeur. Le moment est donc venu de rattraper le temps perdu. De plus, lumière = chaleur, me dis-je, et entre vite fait dans la galerie, où m’attend, outre le charmant sourire de Marita Ruiter, la galeriste, un éventail enchanteur de tableaux plus impressionnants les uns que les autres.

Bon, tous ne se valent pas, bien sûr. Aucun créateur ne saurait être tout le temps égal à lui-même. De plus, à cette diversité se superposent les appréciations, toujours subjectives et parfois divergentes, des visiteurs. À vrai dire, aucun parmi les deux douzaines de tableaux exposés ne me déçoit. (2) Chez Margue, l’abstraction me semble avoir désormais franchement pris son envol et même les éléments figuratifs que vous pourriez penser découvrir dans ses paysages sont surtout dus à l’interprétation ou aux résurgences de votre imaginaire. De même la Chine éternelle, qui a longtemps marqué ce peintre occiriental (3), à la fois fruit et vecteur de multiples cultures, se fait plus discrète et ne se rappelle plus que par intermittences et fines touches dans les rêvasseries picturales de l’artiste.

Il est vrai que Fu Baoshi et Zao Wou Ki ne sont pas bien loin, mais il s’agit davantage de parenté historique et spirituelle que d’inspiration directe. Né au Luxembourg de mère chinoise et de père luxembourgeois, Tung-Wen Margue a réussi plus encore que d’autres peintres puisant aux deux cultures, la symbiose des deux mondes. Aussi, à sa naissance luxembourgeoise, à ses études à l’Ecole Nationale des Beaux-arts de Paris et à sa maîtrise d’Arts plastiques de l’Université du Panthéon Sorbonne – Paris I, l’influence maternelle ainsi que de nombreux voyages en Chine apportent un souffle de poésie qui vient de loin. Que cette poésie chante les plaines du Shandong, les montagnes du Shanxi ou d’autres contrées, quelle importance ? Sans explication rationnelle aucune elle vous touche, amis lecteurs, autant sinon plus que ne le pourraient des mots élaborés ou d’exquises musiques.

Mes tableaux préférés ? Difficile à dire. Mettons que je considère son « soleil ardent », ses « Vibrations », son « Aube 2 », son « Souffle » et surtout son petit triptyque en noir et blanc « Shan Shui » comme le nec plus ultra. Il y aurait encore tant à en dire, mais un autre artiste hors norme, le photographe

Michael Najjar,

m’attend à deux pas de là dans l’espace 2 de la galerie, rue du Saint-Esprit. Autre espace, autre monde, bien sûr. Finance et haute montagne : étrange cohabitation dans l’exposition de Najjar, que celle des pics et des gouffres de ce colosse des Andes qu’est l’Aconcagua avec les hauts et les bas de la bourse ! Car c’est ainsi que naquit sa somptueuse série de photographies « High Altitude » (Haute altitude) qui rappellent, par le biais des splendides paysages défiant le ciel de leurs crocs rocheux et de leurs pentes abruptes, les démentes ascensions et les chutes vertigineuses du monde boursier. Najjar intitule ses photos avec humour « hang seng » (étrange parenté avec « Orage » ou « Vibrations » de Margue), « dow jones », « rts », « lehman », « nasdaq », « sensex », « bovespa », « nikkei » ou « dax ».

« La réalité de la nature et le rythme de vie de la montagne », précise l’artiste sur le site de ArtCatalyse, (4) « ne peut se mesurer sur une échelle humaine et devient de ce fait une expérience virtuelle. Une expérience similaire de la virtualité peut aussi être abordée sur les marchés économiques et financiers internationaux où des montants incroyablement importants d’argent circulant dans le monde en temps réel défient nos pouvoirs de compréhension. »

Et pour mieux nous faire sentir combien les forces de la nature, tout comme celles que créent les apprentis sorciers de la finance, dépassent les moucherons humains qui voudraient les dominer, Najjar ajoute à la cruelle et glaciale beauté du réel une touche de surréalisme. Sa démarche n’est en fait pas très éloignée du romantisme onirique d’un Caspar David Friedrich, sauf que la peinture de ce dernier se nourrissait essentiellement d’apparemment réel imaginé, lorsque Najjar part de la réalité qu’il transfigure. Car notre photographe a tiré ses effets autant des statistiques des marchés boursiers en folie, reflets euphoriques ou tragiques de la crise, que de son escalade de l’Aconcagua. Et si les paysages qu’il photographie sont à priori bien réels, il ne se contente pas de les reproduire fidèlement, mais les transfigure, les affine et en dramatise les extrêmes, en retravaillant artistement ses prises de vue. Un spectacle à ne pas manquer !

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1) Galerie Clairefontaine, espace 1, 7 place Clairefontaine et espace 2, 21, rue du St-Esprit, Luxembourg centre. Ouverture mardi à vendredi de 14,30 à 18,30 h et samedi de 10 à 12 et de 14 à 17 h. Expo Margue & Najjar jusqu’au 30 avril.

2) Quelques-unes de ses toiles peuvent être également admirées dans le vitrines de la Commerzbank/Dresdner Bank, rue de l’Eau.

3) Contraction/symbiose des mots « occidental » et « oriental » du poète Jalel El Gharbi – voir notamment notre essai collectif « Nous Sommes Tous des migrants », Édit. Schortgen 2009.

4) www.international-artcatalyse.net/plandusite_michaelnajjar,hautesspheres.htm

Giulio-Enrico Pisani