Kultur

Covid-19 : humour noir, prés verts et poésie

Bien vrai que l’on commence pian piano à en avoir marre de ces masques censés nous protéger du souffle des autres et, parait-il, les autres du nôtre. Plus de sourires, plus de grimaces entendues, dépitées, satisfaites ou boudeuses, plus de langues tirées ni – seul avantage – de postillons, bactéries ou virus non plus et j’en passe. C’est pénible à devoir porter et absolument ridicule à le voir porter. Nous protéger contre quoi, au fait ? Ben oui, des haleines... Après avoir supporté toute notre vie durant sans broncher et sans masque dans les transports publics bondés, des haleines à l’ail, aux acidités gastriques et à un zoo bactério-parasito-viral ? Eh bien, c’est que cette haleine sert justement de transport en commun à toutes sortes de saloperies avec lesquelles nous avons toujours vécu et de vilaines bestioles que nous avons toujours ingéré sans faire la fine bouche, à condition de ne pas les voir, ni sentir frétiller sur la langue ou crisser sous les dents. Rien que les fameuses microparticules causent, paraît-il, dans les 8 millions de morts par an, même que dans les mégapoles chinoises et nippones on se masque déjà depuis des années...

Pas nous, bien sûr, mais ça, c’était hier. Tempi passati ! Aujourd’hui, notre belle nonchalance est un souvenir En effet, surgi d’on ne sait quel studio à séries de science-fiction catégorie C ou d’un labo pas trop officiel, mais en tous cas – selon des chercheurs italiens – bien plus tôt en Italie qu’en Chine, l e fameux virus Corona-Covid-19 a commencé, à peine démasqué, à se multiplier. Par conséquent, branle-bas de combat contre cette bestiole anthropophage qui, contrairement aux vieux satyres, ne préfère pas la chair fraîche, mais celle bien défraîchie des petits vieux et, de préférence, non fumeurs. Il est vrai qu’à défaut il peut moissonner aussi chez les jeunots. Mais, jeunes c. de la dernière averse ou vieux c. des neiges d’antan (merci Georges !), à part quelques romantiques vengeurs de BD, personne n’aime porter le masque, et le Covid-19 lui-même (ou elle-même ?) non plus.

Première conséquence, ce méchant ectoplasme viral évite les porteurs de masque comme tout virus ou autre micro-salopard qui se respecte. Cependant, si vous êtes parvenus à l’attraper, ce virus, le masque vous permet de le garder bien au chaud dans votre organisme et de ne pas le distribuer tous azimuts. Voilà pourquoi, en bon vieillard obéissant aux règles de prudence censées nous éviter le pire proclamées urbi et orbi par nos dirigeants et autres spécialistes et, je m’incline. Je parle – vous l’aurez compris – du danger d’un confinement total ou d’une hécatombe annoncée ; alors je le porte, ce fichu masque en tout lieu fermé excepté mon chez-moi, mais aussi – voilà qu’à mon âge je fais encore du zèle –, en croisant d’autres êtres humains lors de mes promenades solitaires.

Ne serait-ce pas pour moi (comme d‘ailleurs pour toute personne dite « à risque ») une bonne raison de rester tranquillement chez moi et de me consacrer essentiellement à des occupations casanières, à la lecture ou à regarder cette télé où l’on montre les méfaits des dirigeants du monde, dont 90% fait à peu près n’importe quoi ? Bien sûr, mais que faire lorsque votre médecin vous recommande (mens sana un corpore sano) minimum trois quarts d’heure de promenade quotidienne au bon air ? Ah, le bon air ! C’est comme le bonheur ; il ne suffit pas le chercher. Et que faire lorsque je reçois des invitations à des expositions de peinture ou autres arts plastiques en plein centre-ville ? Difficile de les ignorer, surtout celles à mon goût et qui me permettent d’écrire dans ces colonnes des critiques que d’aucuns parmi vous m’ont confié beaucoup apprécier. Alors, de temps en temps, je fais de mon mieux pour visiter l’une ou l’autre de ces expos en musée ou en galerie, même si l’air que j’y respire n’est pas celui du Bambësch.

Cependant, il ne faut pas rêver, même en galerie, on est obligé de retenir son souffle possiblement infecté. Tenez, parmi mes photos d’exposition récentes, mais non publiées dans nos pages faute d’espace rédactionnel, j’ai celle d’un galeriste et de ses deux exposants posant dument masqués devant leurs oeuvres. Ils sont vraiment mignons, les trois, l’air de nouveaux Neville Brand, Alan Hale Jr et Bruce Bennett posant pour le générique du film « The Three Outlaws » (les 3 hors-la-loi). Et pourquoi ne pas poursuivre dans cette veine quasi-historique d’une collection souvenir Covid-19 pour laquelle je demanderais à nos galeristes de bien vouloir poser avec leurs artistes pour notre bonne vieille Zeitung en Clide Barrow, Billy the kid, Calamity Jane ou autres Bonnie Parker... J’y réfléchirai.

Et autant pour cette brève parenthèse city-center-culturelle ! Mais revenons à nos moutons, ou plutôt au quartier où j’habite en périphérie de la la ville et dont les moutons ont disparu depuis belle lurette. Sans parler des champs qui cèdent à vitesse V aux immeubles, ni de la disparition du dernier âne du pré où il paissait près de l’école fondamentale de Merl, avec qui j’aimais bavarder de temps à autre. Oui, allez-y, marrez-vous en pensant « qui se ressemble s’assemble ». Je ne vous en voudrai pas. Et je ne polémiquerai pas non plus sur le sacrifice des nombreux taillis et bosquets près des jadis dernières maisons du coin, où mes enfants jouaient avec ceux des voisins aux gendarmes et voleurs ou autres cache-cache, en faveur de nouveaux quartiers. Non, je me contente de constater que le seul lieu encore joliment boisé près de chez moi, véritable parc clôturé et oasis de verdure tout à la fois luxuriante et soigneusement entretenue au milieu de la fureur immobilière, où suivre au bon air les conseils de mon médecin, n’est autre que le cimetière de Merl.

Et voilà que, avec un admirable bien que purement casuel à-propos, l’écrivain Jean Perrin évoque sur sa page Face Book un aphorisme extrait des « Caractères » de Jean de La Bruyère : « Otez les passions, l’intérêt, l’injustice, quel calme dans les grandes villes ! Les besoins et la subsistance n’y font pas le tiers de l’embarras. ». Et Perrin d’ajouter, pour qu’on ne s’y méprenne pas : « Un côté positif au confinement, si on veut bien le concevoir... ». Allusion à priori peu applicable à notre bonne ville de Luxembourg qui, échelle contemporaine oblige, n’est à coup sûr pas une grande ville ! Elle n’en est cependant pas moins bruyante et frénétique pour autant, d’autant plus que chez nous, il n’y a que nos bouches et nos nez qui se voient confinés... du moins en lieu clos.

Conclusion : c’est le long des allées bordées de prés verts, d’arbres, d’arbustes, de charmilles, de buissons de toutes sortes d’essences, de prés et parterres fleuris à la n belle saison du cimetière, que se déroulent mes promenades solitaires. Ah, oui, j’allais oublier les nymphéas, assez maigrichons est-il vrai ; rien à voir avec ceux de Monet. Mais le proverbe quelque peu adapté, ne pourrait-il dire : « Faute de Giverny on flâne à Merl » ? Au moins, nos défunts, eux, come ma femme chérie, deux de mes bons amis, une camarade et aussi tant d’autres, étant déjà mieux que vaccinés n’exigent pas de moi que je me promène masqué. Et même si les douces saisons appartiennent en cette fin novembre au passé reste, du moins là où tout n’est que souvenir, reste donc que sans trêve, me murmure Charles Baudelaire, « Mainte fleur épanche à regret / Son parfum doux comme un secret / Dans les solitudes profondes. ».

Giulio Pisani