Kultur

La mer au Luxembourg avec Caroline Wehrmann et Ellen van der Woude

Et autant vous le préciser tout de suite, amis lecteurs : c’est à Luxembourg ville, à la Galerie Schortgen Artworks (1), que vous pourrez accéder aujourd’hui à de ravissants panoramas sur la magie de la mer, grâce aux lumineux tableaux de Caroline Wehrmann et aux quasi-frémissantes sculptures d’Ellen van der Woude. C’est en effet des immensités symphoniques et des pépites précieuses de cet univers qui recouvre la majeure partie du globe, que nos deux artistes viennent extraire pour nous nombre de merveilles mises en péril par l’indifférence et la négligence de l’être humain.

Caroline Wehrmann,

qui nous a déjà présenté il y a trois ans ses splendides paysages de berges, sables, pierres, rochers, vagues, brisants, rouleaux, ciels et horizons marins, remet ça avec une alternance, justement, symphonique de profondeur et vastité chargées de salinité iodée plus vibrante et émouvante que jamais. Et voici, complétés par la présentation de l’artiste et de son travail par la galerie, tels que je les traduisis déjà à l’époque de l’allemand, quelques extraits (seulement, faute d’espace rédactionnel) de mes impressions retrouvées ce samedi 16 septembre face aux Eaux de Caroline Wehrmann. Elles sont aussi bien calmes que sauvages, ici vert émeraude, là turquoise, ailleurs glauques ou grises, bleu de Prusse, outremer, d’orient ou d’azur, cobalt ou céruléennes selon le bon plaisir du ciel, du soleil, des nuages, du vent et des abysses marins. Et c’est encore ces eaux qui offrent leur réflexion sur les fonds sablonneux travaillés par la houle en une kyrielle de fines dunes sinueuses, qui leur prêtent leur ocre en faisant danser la lumière dont elles se jouent, mutines, au rythme de leur respiration océanique. Là haut elles envahissent le ciel d’un matelassage ouaté, de cumulus grondants, ou bien s’effilochent en caressants cirrus qui n’empêchent plus le ciel de bleuir l’océan ou d’en faire rosir les flots sous les caresses sensuelles du couchant.

« Carolin Wehrmann passe pour être la meilleure peintre contemporaine de l’eau et de la mer », nous dit-on à la galerie. « Née en Rhénanie en 1959, elle a peint son premier tableau à l’huile à l’âge de 12 ans. Après son bac, elle a étudié graphique et design chez le professeur Kurt Wolff. Active de profession dans la conception et l’illustration, elle n’en reste pas moins fascinée par la peinture à l’huile des maîtres des (17ème), 18ème et 19ème siècles, au point qu’elle décide de se consacrer entièrement à la peinture. L’étude approfondie des techniques picturales classiques, comme la lasure à l’huile de résine, sont à ses yeux des prémisses sine qua non pour obtenir la profondeur et la résolution essentielles à son élaboration de réfractions authentiques et d’une densité optimale des atmosphères et horizons. L’artiste ne travaille à ce fin que sur des toiles de lin de haute qualité, avec des pigments hollandais anciens, ainsi qu’avec les huiles et résines les plus pures, telles qu’elles furent déjà employées par Rembrandt, Le Titien et Rubens.
Peindre la mer et l’eau en général est considéré depuis toujours en peinture comme le défi majeur. La mer représente également pour l’artiste l’aspiration à un état idéal et, par là, à une transcription originale, intacte de la nature. Ses représentations de l’élément aquatique témoignent également de la recherche de profondeur qui guide son approche. Elle renverse et dépasse avec sa nouvelle série « Réflexions » (encore présente avec quelques tableaux dans l’actuelle expo) les conventions (du) genre et crée ainsi sa propre originalité, voire unicité, d’un cycle pictural du niveau artistique le plus élevé... ». Et le terme d’unicité, donc de la qualité de ce qui est unique, n’a rien d’exagéré face au spectacle impressionnant que nous présente aujourd’hui la galerie Schortgen avec les toiles de cette peintre incomparable. Plus sereine, moins tourmentée peut-être, mais tout aussi engagée et plus perfectionniste encore que le pré-impressionniste J.M.W.Turner ou le romantique Ivan Aïvazovski, elle ne leur cède en rien, même si sa force d’expression se nourrit davantage d’observation passionnée que de passions ravageuses. Mais pour ce qui est de la force d’expression, voici à présent une autre artiste qui s’épanouit, elle, dans la troisième dimension : la sculptrice céramiste

Ellen van der Woude.

Et celle-ci nous dit d’emblée : « La beauté éblouissante de la nature est au coeur de mon travail : elle en constitue l’âme. Les formes graphiques, les structures, textures et couleurs sont une source d’inspiration extrêmement riche et sans limites ». Aujourd’hui, tout à la fois en contre-point aux paysages marins de sa consoeur et comme pour les valoriser, Ellen van der Woude plonge sous l’écume des vagues dont ses tableaux illustrent l’animation, pour s’inspirer de l’univers corallien, de la vie d’extraordinaires animaux qui le forment et de leurs étranges exosquelettes. Maîtrisant avec une adresse rare et un goût exquis cette troisième dimension de la sculpture avec ses volumes, formes, courbes, torsions et contorsions, elle vous fait accéder à une esthétique rare, qui, sans atteindre – reconnaît-elle – la beauté de la nature, en approche la magnificence autant qu’oeuvre de main humaine le peut.

Afin d’illustrer cet univers, notre artiste a choisi la céramique, ou terre cuite, qu’elle alterne, mais aussi accouple selon les exigences de son inspiration, avec la porcelaine, fille du kaolin, créant ainsi des objets dont la minéralité reste chargée de toute une mémoire de vie propre. « Chaque objet est créé à partir d’empreintes et de petits éléments faits à la main, un par un (...) Différentes techniques, comme changer la taille et la direction de ces éléments, l’utilisation de matériaux tels que les engobes, pigments et oxydes, rendent les oeuvres naturelles... », précise-t-elle. Extrêmement sobre, Ellen van der Woude peut même paraître parcimonieuse dans son choix de couleurs, qu’elle limite à une tout de même large gamme de blancs alternant ci et là avec du bleu turquoise pâle, des bruns ou des violets. Mais les sculptures exposées chez Schortgen (au péril de leur vie ; j’ai failli en renvoyer une à la terre-mère en la heurtant) ne constituent bien-entendu pas tout ce qu’elle réalise, et vous aurez une idée plus complète de ses possibilités en creusant un peu sur Internet. Il est toutefois évident, que rien ne pourra vous vous faire saisir l’épaisseur, la profondeur et la matérialité organique, quasi-vivante de ses sculptures, comme les voir de près, leur tourner autour et percevoir tout leur enchantement dans le cadre de cette étonnante exposition marine.

Néerlandaise, Ellen van der Woude a choisi de pratiquer son art de céramiste chez nous, au Luxembourg. Déjà enfant, elle vivait entourée de papier, crayons, peinture et argile à modeler qui lui permettaient de s’exprimer librement et de poser déjà inconsciemment les jalons de ce qui deviendra sa passion pour la céramique et la peinture. Après avoir travaillé un certain temps comme juriste, elle a fini par véritablement se lancer dans la carrière artistique il y a une douzaine d’années. Aussi a-t-elle régulièrement participé depuis 2006 à bien des expositions, notamment en France, aux Pays-Bas, en Belgique et en Allemagne, mais surtout au Luxembourg, où elle a déjà exposé plus d’une douzaine de fois.

Giulio-Enrico Pisani

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1) Galerie Schortgen Artworks, 24, rue Beaumont, Luxembourg centre. Exposition mardi à samedi de 10h30 à 12h30 et de 13h30 à 18h jusqu’au 12 octobre 2017.