Kultur02. Juli 2025

Pimpante et fringante, la Philharmonie met en scène les riches heures de sa jeunesse

«Avoir vingt ans»... et nostalgique de son passé

de Pierre Gerges

Contrairement aux autres arts définis comme un côte-à-côte dans l'espace, l'art musical se capte essentiellement comme une succession dans le temps... et ne laisse dès lors guère de traces, une fois les ultimes ondes sonores envolées. Voilà qui complique sensiblement toute ambition de prétendre saisir l'essence musicale puisque celle-ci résiste à toute analyse dans l'instant pour se volatiliser dans la fluidité de l'écoulement.

Est-ce une raison pour autant de renoncer à tout état des lieux, à toute mise en perspective dans la vie de cette institution qui, ex nihilo et au prix d'un élan ébouriffant, est parvenue en quelques années à tutoyer ses pairs des autres hauts lieux de l'excellence musicale? Ce ne fut bien sûr pas la réponse retenue par les responsables de la Philharmonie ni de la curatrice Inês Rebelo de Andrade, à qui incomba la mise en espace d'une «Exposition» évoquant un certain nombre d'événements qui ont jalonné l'enfance et l'adolescence de la Maison.

Les guillemets qui entourent cette exposition s'expliquent par l'absence de toute substance musicale, pour n'en garder que les supports visuels qui annonçaient ou accompagnaient (à l'exclusion de ceux qui faisaient écho à) l'événement proprement dit: affiches, photographies, fascicules programmatiques et... livres d'or à la discrétion des artistes invités, dont on se réjouit de révéler l'existence et, suprême indiscrétion, de lever le voile sur quelques-uns des commentaires inscrits.

Certains jugeront assez mince voire réductrice la solution retenue de piocher dans une réserve de plus de cent mille clichés avec, comme corollaire, une tendance non dissimulée à la starisation: aussi la déambulation à travers l'album suspendu à la passerelle du foyer se lit-elle comme autant de moments-phares et de complaisance d'avoir reconnu, peut-être même assisté aux événements incarnés par les grandeurs sous lesquelles vous défilez.

Lors de la cérémonie d'inauguration, un intérêt particulier et beaucoup de gratitude se portaient sur la personne de Madame Hennicot-Schoepges qui, plus que tout autre, s'est identifiée, corps et âme, avec le projet de planification et de réalisation de cet édifice et de l'insolent dynamisme dont il fait preuve aujourd'hui. C'est dire à quel point cet aboutissement, loin de relever de l'évidence, fut aussi un "accident", un concours unique de circonstances qu'une main inspirée a su agréger.

Mais cette fête fut aussi une occasion rêvée (et amplement méritée!) de mettre à l'honneur les nombreux services, souvent invisibles, qui s'emploient, loin des feux de la rampe le plus souvent, à rendre possible le spectacle dans sa pureté et dans son épanouissement. Et pourtant, les discours les plus huilés ne cachaient pas la portion d'incertitude, inséparable de toute célébration qui lorgne aussi vers l'avenir.

A ce propos et à des degrés divers, les trois organes de notre presse écrite ont épinglé, en réaction au récent concert Kaufmann-Damrau-Deutsch, la grossièreté d'une fraction des visiteurs qui ont recours à l'arme de la toux incontrôlée pour exprimer leur ennui. L'administration de la Philharmonie n'est certes pas responsable de l'éducation de son public mais le phénomène a pris une telle ampleur qu'il ne peut plus être ignoré ou simplement renvoyé au bon sens de ceux qui n'en ont pas. Il n'est pas admissible que, sous couvert de démocratisation, on tolère la balourdise, la goujaterie et l'irrévérence. Au même titre que les portables à éteindre, il conviendra de mettre expressément en garde contre les éclats de toux démonstratifs, les manteaux déposés sur les genoux du voisin, les départs précipités avant celle des artistes ou encore... cette société de classes qui sépare le foyer en invités et évités. Recommandations chaleureuses pour toutes et tous, même bien au-delà de vingt ans!