Si l'univers est un pétale ...
… et alors? Question dans le genre «si la est une aile?» ou «si l’humanité est un scherzo?» Non, pas du tout! Mais c’est par contre le titre du dernier recueil de Francesca Limoli, «Se l’universo è un petalo», sous-titré «antologia personale bilingue / anthologie personnelle bilingue» (1). Quant à la traduction de l’italien vers le français, elle a été assurée par l’écrivain, artiste et poète Ahmed ben Dhiab, dont je vous ai déjà à plusieurs reprises présenté les œuvres. Aussi ne me reste-t-il rien de plus sensé et clair pour vous, amis lecteurs, que d’introduire mon article par aa préface dans sa quasi-entièreté.
«Le présent recueil de Francesca Limoli, une composition de poèmes tirés de son dernier livre, est un voyage initiatique, le dialogue de l’amour avec l’amour. Sa poésie, un choix essentiel, qu’elle exprime avec l’œil du cœur et la nudité de l’âme, est un chant à la fois charnel et spirituel, intime et universel, profane et sacré, dont les visions célèbrent la vie, la lumière, le silence, la beauté, l’infini. Dans cette ode à l’amour elle explore l’identité du dedans et du dehors guidée par une parole singulière et plurielle. La poésie est l’expression du dévoilement et l’ouverture sur l’infini de Francesca Limoli est à la fois visionnaire, émouvante et sincère. Sa parole est tissée «dans la kiswa de l’amour», lavée et parfumée avec l’encens de l’aurore, le feu, les roses, elle est «la pensée de l’océan». Son appartenance à l’espace méditerranéen et sa profonde connaissance de l’histoire, des religions, de la philosophie et des littératures de l’occident et de l’orient nourrissent son imaginaire et sa création.»
L’aussi riche que subtile préface d’Ahmed Ben Dhiab, dont je n’eus en aucun cas voulu vous priver avant d’aborder cet ouvrage tout dédié à l’Amour, n’en dévoile toutefois pas toutes les facettes. Est-ce afin que vous découvriez les autres de par vous-mêmes et notamment cette liberté de ton qui ne saurait convenir aux bégueules? Ou encore pour que vous découvriez combien cette poésie est tout à la fois un appel au Divin et une ode à l’Amour humain, carnalité et plaisir des sens y inclus, sublimés, les deux ne faisant qu’un? Ce n’est pas impossible, mais pour ma part, je trouve indispensable que vous accédiez d’emblée à l’un de ses aspects essentiels: une profonde, quasi-omniprésente sensualité. Certes, celle-ci ne s’étale pas entre les pages comme nous y ont habitués maints auteurs occidentaux au vocabulaire amoureux gorgé de sexe brut. En effet Francesca Limoli a beau «appartenir à l’espace méditerranéen», elle n’en porte et fleure, à mon avis, pas moins surtout l’orient et cette délicatesse que l’on y retrouve depuis les vers de Rûmî, en passant par ceux d’Ibn Zamrak, jusqu’à l’«Art d’aimer» du récemment décédé Mahmoud Darwich.
De plus me semble-t-il deviner à travers le maillage de cette lyrique dépouillée et pourtant traversé d’une quasi-infinité (j’exagère, mais comment mieux dire?) de visages de l’Amour, de lointaines parentés avec le Cantique des cantiques de Salomon ou, mieux encore, avec la vision soufie d’un Rûmî. Celui-ci n’écrit-il pas dans son grand œuvre, le Mathnawi, qu’«En parlant de l'Amour, l'intellect gît impuissant (...): c'est l'Amour seul qui a donné l'explication de l'Amour et du sort des amoureux»? En effet, contrairement à l’islam traditionnel, voire intégriste, dans le soufisme, poésie, musique et danse sont toutes expression de l’Amour, tant charnel que divin. Aussi est-ce tout à fait dans ce sens que Francesca Limoli «chante» page 23 de son recueil:
«Tigres tes sourcils / et douces amandes tes yeux / mandarines tes joues et rare grenat / innombrables tes bouches gracieuses / le cœur les libère / elles du cœur au cœur / de l’état du nom / elles les agenouillées et les apôtres / elles le suffisant et l’insuffisant. / Qu’est-ce que ta bouche? / Comment est ta bouche / sinon le taudis du grenadier / du grain décomposé? / Qu’est-ce sinon le lieu / du sacrement et du firmament / pâturage de l’impossible / et taudis du paradis. / Qu’est-ce que son ombre / sinon la grotte de lumière? / et le saint des saints?».
De même, page 53, Francesca Limoli déclame autant l’embrassement spirituel que l’embrasement érotique du couple dans son étreinte passionnée et ce sans autre artifice que l’allusion, donc ni réserve ou autre voile que la pudeur des mots:
«Vertiges ardents / silencieux / te sentir agitée / comme des braises aspergées / sur le chemin de l’aimé, / et il n’y a ni race ni frisson / ni fatum ni circoncision / ni ablution / mais seulement t le chant du séisme et du feu / unis dans l’un / dans l’amour».
Et pour clore cette extraordinaire «anthologie», authentique concert d’amour pour deux poètes (2) et cinq instruments – tendresse, passion, délices, réciprocité, poésie – par son dernier chant, page 93...
«Voici le nom de l’aimée / se tremper dans le nom de l’aimé / et brise et calices exposés / et forces secrètes. / puisque l’aimé est l’aimée. / Et ne résonne que le chant composé / par le vertige céleste paradisiaque et terrestre, / la terre est une éponge qui boit les noms saints, / répétés intercalés de la coutume au don. / pas d’encre qui écrive, / mais la légèreté / de la légèreté et la sève de l’interposé amour, / sphérique suffisant pour vibrer / dans la révolution et l’absence. / Puisque tu es l’aimée / et ce que tu es / tu es et Je Suis, vibrant / sphère et sphères».
Poétesse, auteur de théâtre et réalisatrice de performances, Francesca Limoli est née à Crémone (Italie). Elle se consacrant depuis 1997 à la recherche linguistique et poétique sur les plans visuels, musicaux, gestuels et vocaux dans le théâtre et dans la performance et a publié de nombreux livres de poésie, de théâtre, d’art, ainsi que des CD et a participé à des spectacles, concerts et performances dans des festivals internationaux en Europe, au Maroc et aux USA. Francesca Limoli a également présenté en Italie, au Maroc et en Floride des expositions-photo de poésie visuelle et de scène de créations conçues et interprétées par elle, notamment dans le cadre du festival international «Celebrazione» qu’elle dirige depuis 1998 avec l’artiste Ahmed Ben Dhiab. Elle œuvre aussi à plusieurs éditions et collabore à nombre d’autres publications et réalisations, tout comme au film d’Ahmed Ben Dhiab, «Le Nomade», auquel a également participé le grand acteur Michaël Lonsdale. (3)
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1) Éditions L’Harmattan, Paris, 2921
2) Poètes est au pluriel, car Ahmed Ben Dhiab étant aussi le compagnon de vie de Francesca Limoli, l’esprit et le cœur de celle-ci se retrouvent largement dans l’œuvre du traducteur
3) En DVD chez L’Harmattan, Paris, en 2019