Kultur

Gino Ricca & Geneviève Biwer en bonne compagnie

Dans le cadre du Mois Européen de la Photographie 2011, la Galerie Nosbaum & Reding nous présente dans ses salles de la rue Wiltheim n°4 (1), quasiment sous l’oeil bienveillant d’Edward Steichen et de ses portraits exposés à deux pas de là au MNHA (2), en bonne compagnie donc, deux photographes émérites : Gino Ricca et Geneviève Biwer.
Notez, qu’il n’est absolument pas question ici d’établir une quelconque comparaison. La proximité est purement topographique, bien sûr. Reconnaissons de toute manière qu’il y a autant de différence entre l’art de l’immortel photographe américano-luxembourgeois et celui de Gino Ricca ou Geneviève Biwer, qu’entre les travaux de ces deux artistes entre eux. Les trois se valent, certes, mais chacun dans un genre bien particulier.

Gino Ricca,

lui, nous présente dans l’espace 1 de la galerie une époustouflante série de photos instantanées, ou ayant l’air de telles, sous le titre de « Underground models of the sixties ». Là-dessus la galerie nous apprend que, « Figure incontournable de la vie nocturne luxembourgeoise, Gino Ricca est d’abord connu des couche-tard pour son X-Non-Magazine, mensuel hétéroclite dans la plus pure tradition des fanzines photocopiés, publié entre 1984 et le milieu des années 2000. Or, avant de poser ses bagages à Luxembourg, cet artiste d’origine napolitaine a traîné ses baskets dans toutes les capitales de la subculture européenne, de Londres à Berlin en passant par Ibiza, Paris... », comme s’il n’avait eu d’autre but que de nous réjouir aujourd’hui d’un « best of » de ses archives tant diurnes que noctambulantes.

Dans cette expo, Gino Ricca, nous fait voir des lieux, des bistros, des ambiances, des boutiques, des super bagnoles, mais surtout des femmes « portraits de mannequins de rue (involontaires ?) dans le Saint-Germain-des-Prés des années beatnik, transies d’un esprit que leur auteur qualifie d’anglais victorien ».

C’est tout le bouillon de culture bobo suburbain glamour dont jaillira mai 68 avant d’y replonger sous les sourires ironiques des ouvriers et les certitudes du « grand » Charles. C’est les années Dali, Gainsbourg, Vadim, Greco, l’importation de Jane Birkin d’outre-Manche, l’accident mortel qui tuera Françoise Dorleac peu après son triomphe dans les Demoiselles de Rochefort avec sa soeur Catherine Deneuve. C’est Sally à Saint-Germain-des-prés, Christiane dans la Brocante Store rue du Bac, c’est Brigitte, Margit, Patricia, Nadia Pirate Woman, etc., etc.

Gino Ricca a quitté son Naples natal en 1957 suite à l’obtention du premier prix d’un concours d’affiche pour la “Fête Internationale de la Gymnastique à Paris”. Paris le happera, puis Londres, puis, puis... et enfin Luxembourg (cherchez la femme !), mais sans suite à l’époque. Encore trop conservateur, notre petit pays de Marie, pas encore vraiment ouvert à la musique rock et peu propice au Beat, aussi Gino ira vivre à Paris. Itou pour le Punk des années 70 qu’il continue à aimer, et ce ne sera qu’au début des années 80 qu’un Grand-duché commençant à s’ouvrir à l’air du temps, l’amènera à s’y établir. Il y fonde en 1984 l’X-Non-Magazine, fanzine reflet et carnet des nuits de Luxembourg. Mais aujourd’hui, chez Nosbaum & Reding, c’est le passage parisien des sixties aux seventies (3) qu’il met à l’honneur. Et voilà trois douzaines d’instantanées de mes jeunes années et peut-être des vôtres, amis lecteurs, frémissantes de vie et dont la densité place Gino Ricca dans la continuité des grands maîtres du noir et blanc que furent Cartier-Bresson, Doisneau ou Descharnes ! Quant à

Geneviève Biwer,

que nous retrouvons dans l’espace 2 de la galerie, salle située sur une vaste terrasse perchée sur la Corniche, elle nous entraîne avec son expo « Exil », dans un tout autre univers, celui de la photographie lente, étudiée, contemplative, chargée de mystère. Et ce seront les splendides paysages de sa série Oesling, où la nature est à l’honneur dans tous ses frémissements, ainsi que d’étranges décors d’intérieur chargés de passé et agrémentés ici ou là d’un mystérieux portrait (revenant ?), de sa série Exil. Ambiance feutrée, intériorisation, onirisme et réflexion après la frénésie Ricca ? Mais pourquoi Exil ? La galerie s’explique :
« Au printemps 2008, Geneviève Biwer, née en 1958 à Vannes, en France, mais vit et travaille à Basbellain (Kierchen) au Luxembourg, a réalisé une série photographique lors d’un voyage sur l’île de Guernesey. Intitulée Exil, cette séquence explore Hauteville House, la maison habitée pendant quatorze ans par Victor Hugo après son départ de France au lendemain du coup d’État du 2 décembre 1851. Cette ancienne demeure de corsaire avait la réputation d’être hantée par l’esprit d’une femme qui s’y était suicidée – une anecdote qui renvoie en creux aux expériences de spiritisme que l’écrivain, chagriné par la mort de sa fille Léopoldine, avait entrepris quelque temps auparavant et qu’il restitue dans Les Tables tournantes de Jersey. Plutôt qu’une reconstitution factuelle des lieux, les photographies de Geneviève Biwer créent une atmosphère ambiguë, proche du rêve, qui fait appel à l’imaginaire du spectateur ».

Nouvel aspect de cette remarquable photographe que l’on connaît peut-être davantage portée sur les espaces ouverts ? Il est vrai que ses prises de vue contiennent souvent un zeste de surréalisme formel, voire de mystère ; mais cela me semble dû davantage à son interprétation de la réalité et à sa technique photographique qu’au sujet proprement dit. C’est le cas dans nombre de ses récents travaux et notamment dans sa Série Bleue, mais également dans certains de ses paysages de la Série Oesling que nous pouvons admirer aujourd’hui. Vous avouerai-je que je les préfère même à la Série Exil, dont les mystérieux et caravagesques clairs-obscurs font à mon avis la part trop belle, justement, à l’obscur ? Et pourquoi pas ? Cet avis n’engage après tout que moi et, aussi bien techniquement qu’esthétiquement, toutes les photos de Geneviève Biwer – photographie analogue, C-print – sont parfaites. C’est en fin de compte, votre plaisir visuel qui compte et là, vous ne risquez vraiment pas d’être déçu par cette exposition.

***
1) Galerie Nosbaum & Reding Art Contemporain, 4 rue Wiltheim Luxembourg (vieille ville, près du Musée national d‘histoire et d‘art) mardi à samedi de 11 à 18 h ou sur rendez-vous. Exposition Ricca & Biwer jusqu’au 14 mai.
2) Exposition « Portraits » du photographe Edward Steichen au Musée National d’Histoire et d’Art, Marché-aux-Poissons, jusqu’au 28 août.
3) Années soixante – années soixante-dix.

Giulio-Enrico Pisani