Kultur

Les 33 portraits mécaniques de Fernand Roda

C’est par ouï-dire que j’ai eu vent de cette exposition à la Galerie L’Indépendance de la DEXIA/ BIL (1) et par curiosité que j’ai été la visiter, intrigué par cet artiste qui revient exposer régulièrement au pays natal après avoir acquis une solide renommée à l’étranger en général et en Allemagne en particulier.

Né en 1951 à Luxembourg, Fernand Roda fréquente de 1971 à 1977 l’école supérieure des beaux-arts et arts plastiques à la Staatliche Kunstakademie Düsseldorf. Maître étudiant en 1975, il parfait ses études avec le professeur Joseph Buys (2). Dès lors ses expositions se multiplient un peu partout en Europe, tout comme les reportages, les livres et les études sur ses créations, sans qu’il soit réellement possible de situer ce peintre extrêmement original au sein d’une école artistique ou d’un courant contemporain quelconque. Proche de la nature, dont il s’inspire fréquemment, mais attiré également par la mécanique et le travail humain en général, il crée ses tableaux et séries de tableaux sans se sentir nullement lié par ses précédentes travaux, ou par le style qui fut sien auparavant et qui n’aura que peu en commun avec ses réalisations présentes et ses projets.

Tour à tour figuratif, surréaliste, impressionniste, abstrait, sans être rien de tout cela précisément, Roda surprend toujours et fidélise difficilement. On ne retrouve pas nécessairement aujourd’hui – voir son site www.fernandroda.com – ce que l’on a aimé chez lui hier. Aussi me semble-t-il, que l’aptitude à se laisser surprendre doit être la première qualité de ses amateurs, quitte à ne pas être aussi enchanté aujourd’hui qu’on le fut hier, en attendant de l’être de nouveau demain.
Dans le vaste hall de réception de la banque – Galerie L’Indépendance – nous découvrons trente-trois grandes peintures à l’huile sur toile 110 x 170 ou 170 x 110 cm censées représenter autant de portraits de personnages du monde des lettres, comme Voltaire, Molière, Diderot, Boris Vian, Pierre Loti ou autres Peire Cardenal. Créés entre 2007 et 2009, ils montrent tous – c’est du moins ainsi que le perçoit le commun des mortels – des machines ou machineries imaginaires à la géométrie élaborée, peintes en bleu (mélange et/ou juxtaposition à dominante claire de bleu-gris, bleu électrique, azur, cobalt, etc.) sur fond uniforme noir.

Ici et là, quelques éléments disparates – petits poissons, granulés rouges, tomates, sphères, dentelures, fils ou rayons s’y insèrent avec plus ou moins de bonheur, mais toujours avec subtilité. Tout y est allusion, symbole, allégorie, métaphore, selon le principe pataphysique, que rien n’est ce qu’il paraît être d’emblée. Cependant, la question que se posera le spectateur émerveillé par une esthétique certaine, mais ébahi par l’apparente discrépance entre le titre et l’oeuvre sera par exemple : « Quelle relation l’artiste établit-il entre une sorte de pile voltaïque parallélépipédique et l’écrivain Alphonse Daudet que le tableau est censé représenter ? ».

Peut-être qu’un commencement d’explication peut être trouvé à la galerie Nosbaum & Reding, où est actuellement exposée une série d’une quarantaine de dessins, datant de 2006-2009 et intitulée « Kabinett-Stücke. Skizzen und Studien zu « 33 Portraits », « Cabinet d’objets d’art. Esquisses et études sur « 33 portraits » ». (3) La galerie écrit aussi dans sa présentation : « En général, le travail de Fernand Roda touche au plus profond les paradoxes inhérents à la peinture : présence physique ou dématérialisation, figuration ou abstraction, réalisme ou transcendance. Ainsi les paradoxes, et comme le définissent aussi certaines méthodes de la philosophie zen, permettent une approche des aspects essentiels du réel. »

Et enfin peut-on également lire dans le catalogue de l’exposition « 33 Portraits » sous le titre « Ich sehe was, was du nicht siehst », traduit par « Je vois des choses que tu ne vois pas » (4), l’explication du cheminement créatif (ou plutôt déductif) de l’artiste vers la création par le Dr. Johannes auf der Lake, libre curateur d’exposition et critique d’art, qui conclut « … Exactement comme Boris Vian, figure des canons littéraires de Roda et membre éminent du « Collège de pataphysique », a procédé, d’après la définition de son estimé collègue Jarry : « La pataphysique est la science des solutions imaginaires, qui accorde symboliquement aux linéaments les propriétés des objets décrits par leur virtualité ». Avec sa série de portraits littéraires, Fernand Roda a créé des tableaux qui accordent symboliquement à chaque protagoniste les propriétés des oeuvres littéraires décrites par leur virtualité ».

C’est-à-dire que, par exemple, dans le portrait de Proust selon Roda, vous ne trouverez aucune trace de son enveloppe charnelle, mais plutôt le reflet de sa perception de certains traits de l’oeuvre proustienne inscrits au bout d’une chaîne de dominos virtuelle dans le concert d’une culture millénaire. Le résultat est-il à la hauteur des ambitions du peintre ? Si personnellement je trouve ses tableaux picturalement à la fois trop simplistes et manquant de la profondeur à laquelle prétend leur créateur, je vous en laisse toutefois seuls juges, amis lecteurs. De quel droit présumerais-je en effet de votre goût et de votre capacité de perception des qualités de ces oeuvres fort intéressantes, qualités qui seront peut-être plus évidentes à vos yeux qu’aux miens ?

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(1) Hall d’entrée de la banque DEXIA/BIL, 69 route d’Esch, Luxembourg, jours ouvrables 8 – 18 h, jusqu’au 18.2.2011

(2) Grand artiste qui a formé nombre de talents qui embellissent aujourd’hui nos galeries et musées

(3) Galerie Nosbaum & Reding, Art Contemporain, 4 rue Wiltheim L-2733 Luxembourg, mardi à jeudi de 11 – 18 h jusqu’au 8.1.2011. Ces dessins pourront toutefois encore être vus encore quelques temps après cette date sur rendez-vous – tel. 2619 0555

(4) Phrase inspirée sans doute du test de Rorschach et de ses prédécesseurs dans le monde de l’art (http://fr.wikipedia.org/wiki/Test_de_Rorschach)

Giulio-Enrico Pisani