Kultur19. Januar 2024

«Saynètes» de Courteline au TNL

Jubilatoire et absurde, un beau moment au théâtre

de Michel Schroeder

Denis Jousselin et Raoul Schlechter, lorsque le public entre dans la salle, ont déjà pris possession de la scène du Théâtre National du Luxembourg. Une petite partie du décor est déjà présente, car au fil de la progression du spectacle vont s’ajouter, un grand canard, un gigantesque coquillage, de fort nombreux objets hétéroclites de toutes sortes, ainsi que deux (?) tonnes de vêtements de toutes sortes et pour tous usages.

Douze saynètes de Geor­ges Courteline occupent la soirée, ce beau moment de théâtre, comme j’ai déjà écrit plus haut. Douze saynètes jouées par deux acteurs qui ont le talent de sauter du coq à l’âne et de l’âne au coq, sans tressaillir. Denis Jousselin et Raoul Schlechter endossent un rôle après l’autre, sûr d’eux-mêmes, très à l’aise, particulièrement réels. On y croit! Et le public rit, éclate de rire souvent, mais finit aussi par se poser des questions. Avec cette production le TNL offre au public un grand moment jubilatoire et absurde.

Les répliques fusent, les moues aussi, oh qu’ils sont convaincants ces deux-là, sur scène. Sur scène, un peu comme dans la vie. Parce que Courteline raconte des événements de la vie, même si, évidemment, au final, jamais ils ne se déroulent ainsi.

La vie, la mienne, la vôtre, est-elle parfois aussi absurde que dans l’œuvre de Courteline, j’en doute, mais des situation cocasses, amusantes ou absurdes, nous en connaissons ou en avons connues. Des soucis, des tracasseries, des petites misères, je suppose que tout le monde en connaît!

A l’aide de ces saynètes, Courteline réussit à peindre d’un trait rapide et précis les esquisses des petites misères de la vie quotidienne. En observant les démêlés de ces personnages qui ne comprennent ni le monde, ni leurs semblables, ni eux-mêmes, nous sommes émus, étonnés, à la limite horrifiés.

Si aller voir toute une pièce de Courteline, de nos jours, au théâtre serait quelque peu vieillot comme initiative, c’est tout le contraire qui se passe avec ces saynètes. Ceci grâce à la mise en scène tapageuse de Jean Flammang, à la gestuelle, aux mimiques des acteurs et à leurs nombreuses autres qualités. Courteline revisité, un incontournable de l’actuelle saison théâtrale.

Georges Courteline (1858 – 1929) s’est essayé à plusieurs genres littéraires. Finalement, c’est en tant qu’auteur de petites comédies gaies qu’il a connu le plus grand succès et qu’il a dominé le théâtre comique des années 1900. Il doit peut-être à son père, le chroniqueur humoriste de «Gazette des Tribunaux», ses dons innés pour l’observation et la caricature.

On considère encore de nos jours, Courteline, comme un roi du vaudeville. Pourtant, de son temps, au Théâtre Libre Antoine, son œuvre côtoyait les Ibsen, Strindberg, Tolstoï, Zola et autres dans un mouvement révolutionnaire, le réalisme qui a donné naissance au théâtre moderne. Il est un précurseur du théâtre de l’absurde.

Je voudrais vous offrir, amies lectrices et amis lecteurs, un petit bouquet de citations de Courteline, ceci pour que vous accédiez plus aisément à son monde, petit ou grand, grand ou petit, mais toujours d’actualité: «L'alcool tue lentement, on s'en fout on est pas pressé!» - «Il est des gens trop haut placés par la dignité de leur vie, par la noblesse de leur caractère, par la nature même des fonctions qu'ils exercent, pour que la moindre éclaboussure atteigne seulement jusqu'à leurs semelles.» - «Passer pour un idiot aux yeux d'un imbécile est une volupté de fin gourmet.» - «Les femmes sont tellement menteuses qu'on ne peut même pas croire le contraire de ce qu'elles disent.»

«Saynètes» est une production du Théâtre National du Luxembourg. Sur scène, Denis Jousselin et Raoul Schlechter, au piano Jean Muller. Jean Flammang a assuré la mise en scène, le décor, ainsi que les costumes. Avec la complicité, le talent et le savoir-faire de Daniel Sestak (lumières), Piera Jovic (chorégraphie), Maximilien Ludovicy (assistant à la mise en scène), Britta Christine Lach (assistante à la scénographie), Denise Schumann (réalisation des costumes), Bernd Frorath et Radu Zaharia (construction du décor).

Les prochaines représentations de «Saynètes» auront lieu les 19 et 20 janvier à 20 heures.

Théâtre National de Luxembourg (TNL). 194, route de Longwy à Luxembourg