Luxemburg23. März 2024

Sans toit pas de droits ...

La face cachée de la misère au Luxembourg

de KP

S’il semble évident que le sujet de la mendicité accapare l’attention de la nation, il doit être permis de noter, que ces derniers ne sont que la partie immergée de l’iceberg. Il n’est d’ailleurs pas rare, que bon nombre de sans-abris font justement partie de cette population dont le gouvernement souhaiterait se débarrasser.

Et si les temps sont durs dans la capitale, il est regrettable qu’à Esch-sur-Alzette ils ne le soient pas moins, alors que le nouveau bourgmestre Christian Weis est dans le « civil » justement un travailleur social.

Rappelons dans ce contexte, que le 12 décembre (voir notre édition du 14 décembre) un petit groupe de sans-abris avait osé manifester sur le parvis de la mairie, pour exprimer leur mécontentement, quand à l’attention qui leur est reservée, et cela plus précisément de la part des « street workers », dont le bureau semble désormais fermé au public.

Ces travailleurs sociaux avoient pour bonne habitude, de distribuer des jetons pour un repas chaud à la « Stëmm vun der Strooss », voire une boisson chaude. Un service qui, pour des raisons que les responsables de la commune n’osent communiquer, a été stoppé net. Actuellement, et ce n’est pas faute d’être à la recherche de ses derniers, qui selon le site internet de la commune, feraient leurs rondes dans les quartiers, ces travailleurs sociaux ambulants sont de fait invisibles. Même les « concernés » ne savent pas ce qu’ils sont devenus …

Avec les moyens du bord

Lors de la dite manifestation, le bourgmestre accompagné de l’échevin en charge des affaires sociales, Bruno Cavaleiro, avait avoué que le travail des « street workers » n’était pas tel que l´avait souhaité la commune et qu’il avait été décidé de procéder à un remaniement. Ainsi par exemple, il serait prévu de relocaliser le local de ces agents. À ce jour, ils sont toujours logés à la même adresse, sauf que les bénéficiaires n’y trouvent que porte close.

Ces personnes sont donc écartées de toute aide sociale – du moins officielle – car sans adresse, l’office social de la ville se refuse à toute prise en charge, même s´il semble exister quelques rares exceptions. En fin de compte, ce sont des SDF qui ont commencé à s’organiser pour demander aux commerçants de la ville, s’ils pouvaient récupérer les aliments, pour les redistribuer à qui de droit.

Notons au passage, qu’un sans-abri n’a pas accès aux épiceries dites « sociales », car n’ayant pas droit au sésame, en forme de bon, à délivrer par l’office social. Pour obtenir ce papier, il faut avoir une adresse …

Dans près de trois semaines, les portes de la WAK (« Wanteraktioun ») au Findel vont se fermer et il y a fort à croire, que l’ancienne capitale du fer, n’aura rien à proposer aux pauvres bougres qui n’ont der refuge qu’une tente ou autre abri de fortune. Sauf bien-sûr de veiller à ce que la police se charge de les faire déguerpir s’ils deviennent trop voyants.

Ceci est par ailleurs déjà le cas dans les alentours du supermarché Cactus à Lallange ou l’entrée du site Arcelor-Mittal, pour citer les exemples ou nous avons pu documenter la situation. (Voir photos ci-après). Détruire leurs tentes, voire brûler leurs sacs de couchage ne va pas les disparaître et il est évident, qu’il y en a entre eux, qui n’auraient rien à objecter, si on leur offrait un passage par la case prison. Un toit est toit et dormir sans faim un luxe, sans oublier qu’en taule l’état a obligation de soins …

Les abîmes du capitalisme

Voulant admettre que trop généraliser peut brouiller l’image des faits réels, jetons donc un regard plus précis sur deux victimes d’une société, qui au final aura non seulement perdu tout sens de solidarité, mais semble se complaire dans la dénigration de ceux à qui la vie aura fait un sacré croche-pied.

Parlons donc de Frédéric, un français de 46 ans et de son partenaire d’infortune, Antonio, un luxembourgeois cinquantenaire. Au pied des banques et du centre commercial dudit quartier Belval, ces deux hommes ont passé deux hivers, dans une voiture laissée à l’abandon. Ils y ont passé tant les nuits glaciales de l’hiver, que les nuits caniculaires des étés. Un refuge recouvert de bâches et de sacs de couchage, qui offrait un peu de sécurité la nuit.

Il est vrai, qu’ils ont été abordés pas des travailleurs sociaux et la police, qui tour à tour les invitaient – du moins lors de la saison hivernale – à rejoindre la WAK. Pas le plus mauvais conseil, se dira le citoyen lambda, et pourtant il y a matière à réflexion. D’une part, leur état de santé n’est pas des meilleurs et il est vrai que les addictions diverses et variées ne sont pas à leur honneur. Se déplacer quand on est malade et comme dans ce cas précis, en mode de mobilité réduite, n’est pas à joie.

La « Wanteraktioun » n’était au final pas une solution viable. D’une part, parce que le bénéficiaire ne peut rester sur place de manière continue et que d’autre part, il est exposé tant aux violences qu’au vol de ses biens qu’il n’aura pas au préalable mis dans un casier. Et oui, ils ne sont pas rares les cas, ou le réveil laisse certains individus les pieds nus …

Ne nous voilons pas la face, et osons constater que pauvreté et désespoir engendrent la violence. Cela n’étant pas la vie de Frédéric et Antonio, nos deux compères ont préféré la froideur sociale des grandes tours, ou se réfugient la grande finance et les universitaires.

À qui la faute ?

Ce véhicule qui était donc le dernier point fixe des deux copains d’infortune, a récemment été enlevé par une grosse pelle mécanique, ceci de bien entendu dans la plus grande discrétion, enlevant aux pauvres bougres non seulement un refuge, mais aussi le peu de biens qu’une vie dans la misère avait daigné leur laisser.

Ainsi obligés d’errer dans les limites de leur mobilité, ils sont bien malgré-eux, tous les soirs à la recherche d’un squat, respectivement d’une entrée d’immeuble ou de cave pour trouver une sorte de réconfort, même si le terme est fortement abusé.

Et non, ni Frédéric ni Antonio ont choisi de vivre comme des miséreux dans un pays, ou selon le dire des gouvernants, tout le monde serait fortuné. Il serait aussi un peu trop facile, de leur attribuer tous les torts du monde, qui les auraient mis dans cette situation. La faute ici et comme dans la majorité des cas similaires, incombe clairement à la société toute entière. Une société qui aurait tous les moyens de remédier à ces problèmes, mais qui pour des raisons de rapport de forces, invite les individus à dénigrer les « moins chanceux que soi-même ».

Preuve en est, que dès lors que l’on contacte les services, dont le bourgmestre avait annoncé qu’ils seront contraints d’unir leurs forces et ainsi coordonner les actions pouvant apporter une vraie aide, ces derniers se taisent. Craignent-ils avoir mauvaise presse ? Sont-ils subjugués par l’aide qu’ils ne semblent, au final, pas allouer à ceux qui en auraient le plus grand besoin ? Comme souvent, ce sujet mène vers plus de questions que de réponses.