Kultur

Duerchsiichteg Kanner

C’est à dire Les enfants transparents.(1) Ah, bon ; vous croyez que ça n’existe pas, des enfants transparents ? Eh bien, détrompez-vous ! Ils peuvent parfaitement être transparents, les enfants, oui, comme n’importe qui d’ailleurs. Et, la preuve, c’est que Marielys Flammang, écrivaine très, très sérieuse de notre petit pays luxembourgeois (Lëtzebuerger Ländchen) (2), l’a écrit en luxembourgeois dans un livre pour les petits, publié aux Éditions Schortgen, qui n’ont pas vraiment la réputation de raconter et de publier n’importe quoi. De plus, comme disait l’autre, si c’est imprimé, c’est que c’est vrai.

C’est que nous la connaissons déjà, Marielys Flammang, enfin, du moins par ses bouquins, dont l’humour parfois pince sans rire, parfois hilarant, d’autres fois carrément déjanté (3), réjouit ses lecteurs à chaque nouvelle publication. Bon, je reconnais qu’il y a aussi de ma part un peu d’apriori favorable. Il me suffit en effet de la croiser, d’échanger quelques mots avec elle, comme ces 19 et 20 novembre aux Walfer Bicherdeeg (4), que j’ai tout de suite envie de partager sa joie communicative et de rire avec elle de presque tout et de n’importe quoi. Il est vrai que, cette fois, dans ce charmant livre pour enfants, très joliment illustré par l’artiste liégeoise Rebecca Demecheleer, l’humour se couvre de discrétion et se rattache même un peu au surréalisme de l’auteure dans certains contes de son recueil (pour ados et adultes) Bilder aus den Zwischenräumen. (5)

Dans Duerchsiichteg Kanner, l’humour est destiné aux enfants, ainsi que le côté magique de l’histoire, un conte de fée sans fées, dont la morale sous-jacente, plus dramatique que cocasse, échappera sans doute aux plus petits qui en saisiront plutôt les interrogations, cette morale donc, s’adressant davantage aux parents. Ceux-ci auront par ailleurs tout à gagner à en regardant les images et en lisant la trentaine de pages de ce livre ensemble avec leurs enfants, et ce, autant pour répondre aux questions que ne manquera de leur poser l’histoire, que pour les aider dans leur apprentissage de la lecture du luxembourgeois. Très utile grâce à ses illustrations simples et explicites également pour le lecteur adulte francophone, qui ne sait pas encore bien lire notre langue, ce petit livre tout à la fois amusant et sérieux ne lui posera pas de problème majeur. Je l’ai moi-même lu deux fois en moins de cinq minutes, c’est tout dire, et seul quelques mots moins courants m’ont posé problème, car n’ayant pas de correspondance française exacte ou courante. Les voilà :

Wuelplatz : lieu où les choses (p.ex. jouets) doivent être rangées ;

iewer : mais (awer est plus courant, ower également employé) ;

ausdéinkeg : sorti de la pensée, sorti de la mémoire, oublié ;

aman : enfiler une aiguille (mais aussi mettre en conserve) ;

däers : de ça, de cela.

Reconnaissons par ailleurs que, même si l’on ne connaît pas la traduction exacte du mot, son sens appert généralement du contexte, d’ailleurs efficacement appuyé par les illustrations. De toute manière, l’adulte tant soit peu lucide aura vite compris d’où souffle le vent. Ce n’est pas pour rien que Marielys Flammang, née à Koerich en 1942, a été 37 ans durant maîtresse d’école à Steinfort. La psychologie enfantine n’a pas beaucoup de secrets pour elle, et ce d’autant moins qu’elle a eu deux enfants elle-même et que, durant ses premières années d’enseignement, a défaut de jardin d’enfants à Steinfort, elle a aussi dû alphabétiser (en allemand) les touts petits (souvent des immigrés italiens).

Cela ne signifie naturellement pas que, lorsqu’elle commença à écrire il y a quatre lustres et à publier des histoires courtes dans la presse luxembourgeoise, ainsi que dans des revues culturelles, comme « Nos Cahiers » et les « Cahiers Luxembourgeois », notre auteure possédât le passe-partout de l’écrivain pour enfant. En effet, d’après ce que j’ai pu lire de ses contes et récits, rien ne m’a semblé la porter particulièrement vers la littérature enfantine et, si je ne me trompe pas, Duerchsiichteg Kanner est son premier ouvrage du genre. D’une finesse exquise, cette histoire courte, écrite à la première personne, illustre d’une manière à la fois pittoresque et très juste une situation familiale fort commune et pourtant pas toujours appréhendée avec justesse par les parents.

Une petite fille constate indirectement que dans la famille il y en a que pour elle, lorsque Madi, sa soeur aînée, qui pourtant s’occupe d’elle, porte son sac trop lourd et range ses affaires, ne compte pas vraiment, ou, plutôt, si elle compte, c’est de manière évidente, que personne ne réalise, ne voit. Cette dernière est donc comme transparente, quasi-invisible… sauf pour grand-mère qui, réellement aveugle, sait par expérience et sensibilité tout des rapports dans la famille et « voit » tout. Ce ne sera que lorsque Madi, la grande sœur, tombera malade, que les parents réaliseront sa présence, ou, plutôt, l’absence de sa présence active dans la vie familiale. Dès lors, tous s’occupent d’elle, et c’est la petite qui, soudain un peu délaissée, se rend compte qu’elle devient à son tour transparente.

La morale de cette histoire, placée dans l’esprit d’une petite fille et exprimée avec ses mots à la fois sages et naïfs, est, comme je l’ai suggéré plus haut, surtout destinée aux parents… qui sauront sans doute la découvrir eux-mêmes. Et là, je pense surtout au père, dont la petite affirme, sans être consciente de sa drôlerie, qu’il a même pris congé pour s’occuper de Madi, et qu’il faut se l’imaginer, lui dont le métier c’est d’être toujours occupé et jamais à la maison. Le texte original est : « Esouguer mäi Papp huet sech fräi geholl, fir eist Madi ze kucken. Dat muss e sech emol virstellen, mäi Papp, diem säi Beruff et as, ëmmer beschäftegt ze sinn a ni doheem... ». Bravo Marielys, continue comme ça ! Fuer esou weider !

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1) Marielys Flammang : Duerchsiichteg Kanner, Éditions Schorgen, Collection PassionJunior 2011, illustré par Rebecca Demecheleer, 16 €.

2) Aucun rapport avec « d’Ländchen » la célèbre « humoristesch-satiresch Säit vum Lëtzebuerger Land », que votre serviteur contribua à noircir dans une autre vie.

3) Deux sortes d’humour que l’on retrouve dans son livre Mat all Wäiwaaser geseent, paru aux Éditions Saint Paul et présenté dans la Zeitung vum Lëtzebuerger Vollek du 6.12. 2005, en ligne sub www.zlv.lu/spip/spip.php?article1779. Voir aussi, pour mieux connaître l’auteure, une interview sur www.kaerchermusek.com/Jum/ PDF/25.pdf.

4) Salon du livre de Walferdange.

5) R.G. Fischer Verlag, Frankfurt, présentation dans Zeitung vum Lëtzebuerger Vollek 6.12.2005.

Giulio-Enrico Pisani