Kultur

Now is forever – The art of Tattoo

On devrait tout pouvoir attendre d’une exposition dont le titre se traduit en français par « Maintenant c’est toujours », thème aussi vaste que prometteur, étrangement accolé à « L’art du tatouage », phénomène dont je me suis toujours physiquement distancé, tout en restant ouvert à sa magie esthétique ! Il s’agit en fait de deux manifestations distinctes, qui nous sont proposées à la Galerie d’art Konschthaus Beim Engel (1), jusqu’au 21 avril. Peinture, gravure et dessin s’y étalent sur des substrats aussi divers que skateboards, toile, papier ou autres, portés par un imaginaire la plupart du temps démoniaque, délirant, surréaliste, ou animalier. Il y a de la photo aussi, de l’excellente photo, mais dans « The art of Tattoo » et non – autant vous l’avouer d’emblée – dans l’exposition « Now is for-ever », qui ne tient pas vraiment, à quelques exceptions près, les promesses de son titre. Et même le fait de m’évoquer l’immortel It’s now or never d’Elvis Presley et le lumineux O sole mio, dont il est adapté, ne parviendra pas à me consoler de son ambiance mi-sépulcrale.

Aussi, suis-je-en à me demander, comment de remarquables artistes, dont il est évident qu’ils maîtrisent chacun son métier et ses techniques, puissent se prêter à une telle cacophonie de pseudo-manga, de kitsch satanique, de surréalisme brouillon et de chromos naïfs, où le travail bâclé des uns ne cède qu’à l’enfantillage des autres. Il est vrai que les gravures, lithographies et dessins de Kurt Wiscombe, le petites toiles Desperate measures (1-4) de Scott Irwin Aka Cool-aid et quelques autres tableaux animaliers parviennent à tirer leur épingle du jeu. Mais, dans cette exposition, tout le savoir faire de ces peintres, graphistes et illustrateurs, que l’on devine pourtant doués, ne parvient pas à vraiment convaincre. Et, à l’exception de Jusura, une splendide photographie de femme japonaise (?) au corps tatoué, oeuvre de la photographe Doralba Picerno, accrochée dans la première salle, face à l’entrée, tout ce gâchis s’étend sur l’ensemble du rez-de-chaussée, ainsi qu’aux premiers niveaux inférieurs qu’il envahit de peintures et graphismes au goût douteux et de trop nombreux cafouillages.

Soit, admettons encore que les travaux de Bexx et Scott Lukacs tiennent tant soit peu la route. Il m’a été cependant impossible de m’enthousiasmer devant ce que nous présentent aujourd’hui Richard Soerensen, Earl E. Bird, Yliana Paolini, Jesse Smith, Geörge Heartwork ou Jason Stephan. Si l’on part toutefois du principe que la plupart des peintures, gravures et dessins exposés sont du genre de ce que l’on grave sur les corps des amateurs de tatouages, l’on peut se poser la question, dans quelle mesure considérer le tatouage comme un art ne relève pas d’une généralisation hasardeuse. Car, si le corps en est l’élément artistique principal, où reste le rôle de l’artiste ? Le fait est, me semble-t-il, que cette discipline peut être, comme toute autre, pratiquée par ses dilettantes, amateurs, maîtres, génies, mais aussi par ses adeptes brouillons et médiocrement doués. Art, artisanat ou n’importe quoi, une réalisation n’est jamais que ce qu’en font ses réalisateurs.
Et, effectivement, surtout grâce à Kurt Wiscombe et à Doralba Picerno l’espoir reste permis, amis lecteurs, et votre temps n’est, par conséquent, pas perdu. Profitez donc de votre présence à la galerie pour découvrir le reste au pas de charge – qui sait ; après tout, l’un ou l’autre tableau ne vous déplaira peut-être pas, affaire de goût – ; mais dites-vous bien, que le nec plus ultra de votre visite, le top du top, vous le trouverez tout à fait en bas, sous les voûtes du deuxième dessous. C’est là, en effet, que sont exposées les excellents tirages de femmes et d’hommes tatoués de la photographe Doralba Picerno, collection dont fait partie Jusura, ce pur chef-d’oeuvre qui vous aura enchanté au rez-de-chaussée, et qui a dû vous donner envie d’en découvrir davantage.

Il est vrai qu’en dépit de leur qualité exceptionnelle aucune des oeuvres du dernier sous-sol ne me semble atteindre la perfection de Jusura. Cependant, je ne m’avance guère en prétendant qu’elles contribuent au moins autant que les performances de tatouage sur le vif ayant lieu occasionnellement à l’étage au-dessus, à démontrer combien cette discipline peut dépasser entre les mains de certains créateurs le statut artisanal, pour s’élever au rang d’art à part entière. C’est en effet dans un but aussi légitime que le faire-valoir qu’il vise, que les professionnels de « One More Tattoo » veulent attirer l’attention du public, tout au long de cette exposition, donc jusqu’au 21 avril, aussi bien sur les aspects théoriques et pratiques du tatouage, que sur le professionnalisme, la passion et le potentiel de certains de ses meilleurs artistes.

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1) Galerie Konschthaus Beim Engel, coin Rue de l’Eau – Marché aux poissons, Luxembourg ville, expo jusqu’au 21 avril, de mardi à Dimanche 10 - 12 et 13.30 - 18.30 h.

Giulio-Enrico Pisani