L’âge du symbolisme en Lettonie
Il y a un siècle et... aujourd’hui au M.N.H.A.
Dans sa présentation, le Musée national d’histoire et d’art nous apprend que « ... à la fin du 19e siècle, la jeune intelligentsia en Lettonie prend conscience des nouveaux courants de pensée qui vont influencer la création artistique de manière déterminante. Les peintres symbolistes lettons se battent pour que souffle à Riga le vent du modernisme qui secoue les arts visuels européens. Dans le contexte germanique de Riga de l’époque, les Lettons commencent à prendre conscience de leur réveil, de leurs aptitudes et talents créatifs, tout en cherchant dans le même temps des sources d’inspiration dans l’art de l’Europe de l’Ouest. Dès lors, il n’est pas surprenant que ces explorations stylistiques coïncident avec la floraison du Symbolisme et de l’Art Nouveau... »
Mais permettez-moi d’abord, amis lecteurs, une brève parenthèse. Ce Dimanche 8 décembre, premier jour où je pus savourer un repos bien mérité après la corrida de fin et début d’année, était aussi le dernier jour de l’exposition Raoul Dufy, également au MNHA. Il était moins un. Dire que j’avais failli rater ça ! De ce peintre, dessinateur, graveur, illustrateur de livres, créateur de tissus, céramiste, créateur de tapisseries et de mobilier, décorateur d’intérieur, d’espaces publics et de théâtre, je connaissais nombre de dessins, aquarelles et huiles, ainsi que le célèbre « La fée électricité »(1), mais non son travail sur les tissus, la mode, l’émancipation féminine et l’importance des couleurs.
Quelle découverte ! Et pourtant, cette surprise céda bientôt à l’enchantement, lorsque, passant à une autre série de salles au 4ème étage du MNHA, je remontai le temps de quelques années et l’espace de 8 degrés de latitude nord pour plonger dans la luminosité nacrée d’un art qui, né sur les rives de la Baltique et plus précisément en Lettonie au milieu d’un 19ème siècle martyr, se préparait déjà à affronter romantisme en tête les premiers massacres du suivant. Fermons donc la parenthèse Dufy et revenons au sujet de notre article ! Ici la frivolité et l’optimisme du peintre français disparaissent et l’on plonge de plain pied dans le spleen nordique, le mystère, les féeries nostalgiques et fatalistes inspirés de l’esprit des Baudelaire, Mallarmé, Edgar Poe, Segantini, Munch, Grieg et autres Sibelius qui ont soufflé sur la jeune peinture lettone.(2)
Pas l’ombre d’un caractère uniforme, homogène, linéaire dans cette cinquantaine de peintures, gravures et dessins rassemblés au MNHA, qui nous entraînent au sein d’un monde boréal tout de brumes, lumière tangente, mystères et allégories, où les contradictions foisonnent. Fruit d’un jeune art qui se cherche, ces créations sont à la fois de toutes les écoles de leur temps et d’aucune en particulier. Au chatoyant tableau « La Princesse au singe » de Janis Rozentāls, à cheval entre Belle époque et Art nouveau, s’oppose le dramatique pastel « Souffrances » de Pēteris Krastiņš qui, moins connu (à tort) que « Le Cri » d’Edward Munch, est tout aussi bouleversant. Et comment inscrire entre Rozentāls et Krastiņš les campagnes tout à la fois envoûtantes, paisibles et lumineuses de Vilhelms Purvītis et Johann Walter ? Quant aux oeuvres de Jēkabs Belzēns, Rūdolfs Pērle, Aleksandrs Romans, Ãdams Alksnis, Alice Dmitrijew, seule artiste féminine de l’exposition, Teodors Ūders et Rihards Zarinš, elles réserveront aussi bien à l’amateur qu’au profane autant de ravissement que de surprises.
Quoique l’on ne puisse pas inclure tous les tableaux exposés dans ce que l’on entend communément sous symbolisme, il est certain que tous ces artistes ont sacrifié au moins occasionnellement sur l’autel de la symbolique et de l’allégorie. Aussi, le titre de l’exposition est-il adroitement choisi, qui spécifie « L’âge du symbolisme en Lettonie » et non, par exemple, « Peintres symbolistes lettons ». D’autre part, si le symbolisme est un mouvement né en Europe occidentale vers la fin du 19ème siècle, il a pris une vigueur et une magie toute particulières parmi les forêts de bouleaux, les brouillards du nord, le soleil de minuit et les aurores boréales. Comme dans les peintures du finlandais Hugo Simberg ou dans les concerts du norvégien Edward Grieg, l’être humain y marie plus aisément, qu’à la lumière crue du sud, les fantasmes et les mystères de l’âme aux esprits de la nature, et cela depuis les temps préhistoriques.
Mais ce qui caractérise surtout le symbolisme dans l’art letton de cette période, c’est sa fusion avec les nombreux courants artistiques qui l’influencent : réalisme, impressionnisme, romantisme, pointillisme, fauvisme, art nouveau et j’en passe. À quoi il faut ajouter les multiples influences des artistes allemands, autrichiens, français, russes et scandinaves. Par ci par là s’y glissent des touches de folklore et de mythologie nordique, mais non seulement. Quelques demi-dieux gréco-romains, ainsi que le cortège de sentiments, passions et idées qu’ils symbolisent, n’ont en effet pas attendu l’Union Européenne pour survoler le continent et atteindre les rivages de la Baltique.
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1) L’exposition de Raoul Dufy au MNHA s’étant close ce 8 janvier, les amateurs pourront le retrouver exposé avec son frère Jean au Musée Marmottan Monet, 2 rue Louis Boilly, Paris 16e, du 14 avril au 26 juin 2011. Quant à « La fée électricité », avec ses 10 m x 6,24 m le plus grand tableau existant, elle est exposée au Musée d’art moderne de la ville de Paris, Palais de Tokyo, 13 ave. Président Wilson, également Paris 16e.
2) L’âge du symbolisme en Lettonie au Musée national d’histoire et d’art (Marché-aux-Poissons, Luxembourg ville) peut être visité Du mardi au dimanche : 10.00 - 18.00 (jeudi : nocturne de 17.00 - 20.00, entrée gratuite) jusqu’au dimanche 27 mars 2011.
Giulio-Enrico Pisani