Esti Levy nous revient… à Esch-sur-Alzette
Enfin ! C’est que ça fait plus d’un bail, que cette étincelante peintre parisienne au style inimitable et aux compositions chatoyantes qu’est Esti Levy a commencé à s’ouvrir au public luxembourgeois. En 1994, l’artiste française Nicole Castan, qui s’était établie à Echternach, où elle a ouvrit une galerie d’art (1), expose déjà « notre » artiste peintre. Mais ce n’est qu’en avril 2006 que nous la retrouvons à Luxembourg ville, où elle fait un tabac à la Galerie Schortgen Artworks, rue Beaumont. Enchanté par son style, ses compositions et ses couleurs sans pareil, je lui consacre un article enthousiaste, qui paraît dans notre Zeitung vum Lëtzebuerger Vollek. Suit une apparition plus discrète en 2008 dans le cadre d’une exposition collective, toujours chez Schortgen à Luxembourg. Mais aujour-d’hui la voilà enfin dans le sud, à Esch sur Alzette, où elle illumine la galerie d’art Schortgen au 108, rue de l’Alzette, coin rue Dicks. (2)
Née en 1944 à Sofia en Bulgarie, Esti Levy suit des études de peinture à l’Université de Haïfa en Israël puis à l’Ecole des Beaux-Arts de Paris – Ateliers Yankel et Antonio Ségui. Après ses études de peinture, elle participe à de très nombreux salons artistiques et expositions collectives, a présenté depuis 1989 un grand nombre d’expositions individuelles, obtenu une bonne douzaine de prix et j’en passe. Mais j’abrège, car je sais bien que ce qui vous intéresse pour l’heure, amis lecteurs, ce n’est pas tellement ce qu’Esti Levy a exposé à Honfleur, Commentry, Orly Ouest, Tel-Aviv, Tours, Troyes, Marcq-en-Barœul, Amiens et autres lieux, ou qu’elle expose en permanence à la Galerie Astarte 18, rue des Saints-pères à Paris, mais bien ce qu’elle nous montre aujour- d’hui, chez Schortgen, à deux pas de notre rédaction.
En 2006 j’écrivis : « Remontons donc le temps et le Danube, retrouvons Gustav Klimt, et imaginons-le un peu avoir poussé la décomposition de la lumière au-delà de l’impressionnisme et du pointillisme, et, au-delà même du cubisme, jusqu’à l’abstrait, au patchwork et à la figuration libre. Eût-il vécu 100 ans au lieu de 56, Klimt y fût sans doute parvenu. Voyons-le donc recréer de nos jours des oeuvres comme « Le jardin aux tournesols », « Le silence », « Le baiser » ou « L’accomplissement » ! Vous me suivez ? Allez voir de par vous-mêmes, et vous ferez peut- être le même rapprochement ». Non, je ne pensais alors même pas à une véritable filiation, école ou influence, mais plutôt à un héritage de lumière et du « savoir oser » transmis par les ondines du Danube aux mythes de la Méditerranée via la Mer Noire et le Proche-Orient. Quatre ans plus tard c’est confirmé. « Klimt est mon dieu », revendique en effet Esti Levy en juin 2010, citée dans un article de « L’est éclair » à l’occasion de son exposition à la Galerie Éric-Dumont de Troyes.
Mais encore deux ans plus tard j’allais légèrement revoir ma copie. Tout en me voyant confirmé en 2008 dans l’envoûtement euro-oriental d’un oeuvre chargé tout à la fois de sortilèges levantins, hébraïques, austro-danubiens, voire arméno-géorgiens, auquel me soumettent ses abstractions qui n’en sont pas vraiment, je détectai un élargissement de ses sources. Ou, plutôt, je la découvris enfin, cette riche affluence ; car elle n’était selon toute vraisemblance pas neuve. Peut-être avais-je simplement été obnubilé par l’influence klimtienne. « Aujourd’hui », écrivis-je encore dans ces colonnes, « elle m’a tout l’air d’encadrer la richesse de ses chromatismes orientalisants dans des mises en scène orientées davantage vers le Cavalier Bleu de Chagall, voire le Cubisme d’un Braque. Mais il ne s’agit là que de très lointaines parentés, à peine plus proches que celles qui apparentent tout grand artiste peintre à l’ensemble de l’histoire de l’art ». J’ai d’ailleurs bien dit : tendrait, au conditionnel, simple hypothèse visuelle donc ; car qui connaît l’âme, ces profondeurs abyssales où se forme le magma en fusion des rêves et des projets d’un artiste ? Esti Levy sait-elle seulement elle-même, d’où les patchworks féeriques de sa peinture – véritables toiles des mille et une nuits – sont issus et où ils la conduiront ?
C’est ma vision, certes, mais j’aime également beaucoup la définition que donne du travail d’Esti Levy Pierre Souchaud dans sa revue Artension, citée par les galeries Astarte et Spolnik : « Elle ne représente pas le monde tel qu’il est mais le recrée par la peinture. Pas d’image, ni d’idée préconçues avant d’aborder la toile, qui commence à s’organiser de façon abstraite, au gré du geste, au plus près de l’intuition immédiate. Puis apparaissent des personnages, des paysages, des morceaux de ciel, des scènes de la vie quotidienne : la vie réinventée en une sorte de joyeuse farandole pleine de ruptures de formes et de syncopes colorées (...) Une peinture où le dynamisme a pris le pas résolument sur la difficulté d’être, où les angoisses sont sublimées en de merveilleux carnavals ». Et c’est toujours aussi vrai en 2011.
À y voir de près, ses abstractions me semblent en effet de moins en moins abstraites. Si elle a glissé au fur et à mesure de son évolution d’un processus de création et de facture quasi-abstrait vers une, ou plutôt une infinité de figurations mystérieuses, quasiment à clef, elle se recompose, suivant en cela le chemin inverse des impressionnistes, mais sans pour autant revenir au réalisme. Saturée de formes humaines ébauchées, stylisées, mais néanmoins finement ciselées, traversée d’écritures mystérieuses et explosant en un univers polychrome aux somptueuses rutilances, la peinture d’Esti Levy a de plus un côté solennel, quasi-hiératique, à la fois tempéré et magnifié par une festivité permanente. Au spectateur de saisir sa baguette en Y de sourcier-découvreur et de suivre un chemin analogue lui permettant de se retrouver en terrain connu, puis de découvrir, explorer, comprendre et aimer la peinture d’Esti Levy, à nulle autre pareille.
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1) Galerie Castan, 22 Rue des Iris, L-6451 Echternach.
2) Galerie Schortgen Artworks, 108, rue de l’Alzette, Esch/Alzette. Exposition 2011 d’Esti Levy : mardi à vendredi de 10 à 12 et de 14 à 18 h. et samedi de 10 à 12 et de 14 à 17,30 jusqu’au 5 octobre.
Giulio-Enrico Pisani