Luxemburg

Il n’y a pas de pire sourd...

...que celui qui ne veut pas entendre, affirme le proverbe, merveilleusement confirmé par le désolant spectacle de nos dirigeants européens et nationaux, pire, de pratiquement tous nos prétendus représentants parlementaires. Notez, que présentement ces derniers ne représentent pas grand monde, ou tout au plus eux-mêmes et leur inféodation au capitalisme. Comment expliquer en effet l’appui qu’ils continuent à apporter à nos dirigeants qui, trop insignifiants pour être directement responsables d’une crise mondiale, ont cependant toujours appuyé sans réserve ceux qui nous y ont précipités.

C’est qu’ils n’ont décidemment rien appris, n’apprennent rien et n’apprendront jamais rien. Aussi, depuis quelques semaines, en fait depuis le commencement de cette pâle campagne électorale, n’étaient les communistes, on n’entendrait et ne lirait que du remâché. Unique parti sur la scène politique luxembourgeoise à s’être véritablement remis en question et à avoir tiré dans son programme les conséquences de ses erreurs passées, le KPL s’est retrouvé bien isolé au cours des derniers débats publics.

Ni les chrétiens sociaux, ni les socialistes, ni les verts ni à fortiori les tenants de la droite n’ont en effet émis le moindre doute, ni parlé d’apporter le moindre changement de fond à un système qui a précipité le monde dans la pire crise qu’il ait connu depuis 1929. Cette fidélité pourrait d’ailleurs paraître touchante et admirable si elle s’appliquait à bon escient. Mais être fidèle à un fruit visiblement pourri ne peut que rappeler le célèbre dicton de l’homme d’état et philosophe Sénèque : « Errare humanum est, perseverare diabolicum ». Il est tout de même étonnant que cette phrase latine signifiant qu’il est humain de se tromper, mais diabolique de persévérer dans l’erreur, soit ignorée de ces politiciens puisant leur force dans une Mater Ecclésia qui l’a pourtant largement diffusée. Au lycée, notre professeur de religion nous la rabâchait pour l’exemple, arguant que même des païens comme Sénèque, Plutarque ou Platon pouvaient inspirer les bons chrétiens.

Le plus marrant lors de certaines tables rondes, c’est que des représentants de ces partis qui n’avaient rien à dire ou qui, au mieux, répétaient les mêmes sempiternels axiomes et lieux communs libéraux, ne se privaient pas de lancer des piques en passant aux représentants du KPL sur les erreurs passées de l’URSS. Preuve qu’ils n’avaient rien, mais vraiment rien de mieux à proposer que des « nous ne sommes pas comme vous ». Quant à savoir ce qu’ils sont en réalité et ce qu’ils veulent, ces partis actuellement au parlement, c’est mystère et boule de gomme.

Et ce n’étaient certainement pas leurs apparentes controverses, pauvres duels d’opérette à fleurets mouchetés, qui pouvaient faire apparaître la moindre volonté de changement en profondeur ou les moindres différences d’approche des graves problèmes sociaux qui se posent. Rien que du chou vert contre du vert chou. Et pas non plus la moindre tentative d’extinction d’un incendie que nos lampistes, Primus en tête, ignorent totalement comment circonscrire… et je ne parle même pas d’éteindre. Même l’arrosage du feu des flambeurs boursiers dans le monde entier à coups d’argent public ne l’a pas empêché de se communiquer à l’économie réelle. « Merci pour vos milliards d’argent public, tonton président, merci beaucoup parrain ministre », disent les banquiers et ajoutent : « Allez maintenant, allez jouer ailleurs... aux politiciens, il n’y a plus rien à voir. » À quoi s’attendait-on ? Comme s’il suffisait d’engraisser et de sauver des loups de la mort pour en faire des saint-Bernards !(1)

Ah oui, il y en a qui réclament aujourd’hui la tête de monsieur Barroso ou celle de Pascal Lamy, après avoir joué des années durant les groupies de Dick Cheney et Georges W. Bush qu’ils se sont empressés de renier devant le nouveau messie Obama. Mais que sont les Barroso, les Lamy, les Bush ou autres Cheney sinon des minuscules saillies, pointes du vaste iceberg néolibéral piloté par le complexe militaro-industriel états-unien et les multinationales ? Que sont-ils face à ce Moloch néolibéral critiqué et pourtant adoré par tous, y compris par les groupes parlementaires européens au grand complet.

Mais la plus grande déception – en fait la seule, car pour le reste on ne s’attendait guère à mieux – fut d’entendre un représentant de « notre » Gauche luxembourgeoise, Déi Lënk, ce petit parti que tant de valeurs communes apparentaient naguère au KPL et qui, tout comme le KPL, a été écarté de la Chambre, prêcher pour un réformisme des institutions européennes. Ah, les rêveurs ! Nous voilà donc vraiment seuls. Seuls à savoir qu’aucune réforme ne transforme un destroyer pirate en chalutier de pêche. De même ne change-t-on pas une Union à but lucratif de capitalistes et de leurs valets politiques, en une Union à caractère humain de solidarité citoyenne. Je veux dire qu’on n’en fait pas à coups de bonnes intentions une Union européenne qui place l’être humain avant le profit et qui arbore donc fièrement sur son drapeau « De Mënsch virum Profit »(2) dans toutes les langues d’une Union à reconstruire de fond en comble.

Aussi serait-il largement temps que les électeurs luxembourgeois et européens cessent de se faire marcher sur les pieds, voire sur la tête, par ceux qu’ils élisent. Ne me faites pas dire qu’ils agissent par méchanceté, ces élus. Ce n’est pas méchant, un mouton. Non, juste par jemenfoutisme total vis-à-vis de l’électorat une fois les élections passées. Et il serait également temps d’élire quelques députés, qui savent écouter et faire entendre la voix des électeurs au lieu de se pâmer d’admiration devant les stars des partis dominants et gagner leur faveur par des oui, ouii, oh ouiiii ! à répétition.

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1) Malgré les fabuleuses sommes d’argent public injectées dans le système bancaire et en dépit des encouragements politiques, des baisses des taux directeurs, donc mise à disposition de liquidités à faible taux par les banques centrales aux banques privées, bien des petites et moyennes entreprises ayant la possibilité de contrer la crise par des investissements leur permettant de sauvegarder, voire même de créer des emplois, ne reçoivent pas les crédits nécessaires. Donc accélération possible de la spirale descendante avec ses corollaires : chômage, baisse de la consommation, diminution des recettes fiscales, accroissement des dépenses sociales, accroissement de la récession et enfin faillites en chaîne d’un majorité des PME et ensuite des États surendettés. Ce que l’on risque à ce jeu là n’est pas de retarder une sortie de crise, mais s’y enfoncer toujours davantage et d’atteindre le niveau « Feuersturm », celui où l’incendie s’autoalimente.

2) Mot d’ordre du KPL ( »Les gens d’abord, pas le profit !« ).

Giulio-Enrico Pisani