»diptyk« : art au Maroc et vu du Maroc
Voilà de quoi jeter nos aimables préjugés exotiques par-dessus bord et en finir une fois pour toutes avec deux siècles de clichés et poncifs. Ramenés par les soldats, savants et artistes accompagnant Napoléon en Egypte, puis par les orientalistes(1) venus dans le sillage des colonisateurs(2), les trésors de l’art et de la culture nord-africains provoquèrent en Europe un véritable engouement, mais aussi une fossilisation de l’image qu’on s’en faisait. Comme si l’histoire s’était figée au 19e siècle, l’art maghrébin se vit privé aux yeux de l’occident de son caractère dynamique, évolutif et parcouru de mouvements de renouveau. En 2009, c’est encore et toujours l’architecture à coupoles et ogives mauresques, les décors de faïences, la calligraphique arabe, ainsi qu’objets en cuivre martelé et guilloché ou en bois marqueté que le touriste réclame. Qu’à cela ne tienne ! Moyennant une honnête distribution de dirhams, dollars ou euros, on va leur en donner de la médina, de l’argent ciselé et des fantasias aux aventuriers du demi-pension-tout- inclus-sauf-les-extras.
Mais que le Maghreb ne se limite pas au folklore pour tourisme de masse ou pour orientalistes nostalgiques, je suis bien placé pour le savoir, puisque outre les amis que j’y ai, j’y fréquente plusieurs blogs artistiques et littéraires. Tout comme l’Italie, la Grèce, l’Égypte ou la Syrie et autres berceaux de notre culture, le Maroc est fier de son histoire et de son art multimillénaire, mais ses muses sont loin de se limiter aux grandeurs d’antan. L’art contemporain s’y épanouit comme partout ailleurs et des artistes comme Ahmed Cherkaoui, Gharbaoui, Mohamed Ben Allal, Mohamed Bennani, Karim Bennani, Farid Belkahia, Chaïbia Talal, Ousman Gassem, Abdelali Bouidi, Abderramahne Latrache, Abdelhay Mellakh, Tibari Kantour et tant d’autres n’ont rien à envier à leurs confrères européens ou américains.
Et voilà que, justement, »diptyk, l’art vu du Maroc« , une nouvelle revue d’art marocaine dirigée par Meryem Sebti et Chehrazade Rahal-Cerda, nous permet de jeter un regard nouveau sur ce qui se passe au sud de Gibraltar. Mais »diptyk« n’hésite pas à franchir les frontières marocaines, embrasse l’art du Maghreb, d’Europe et du monde : peinture, sculpture, photographie, tout y passe. Justement, le numéro deux, que je viens de recevoir, fait la par belle à la photographie : Photoquai Paris, Paris Photo, Biennale de Venise, mais aussi à l’actualité dans l’art du Maroc, au Maroc et de par le monde. Une revue splendide ! Et voici, extraits de son sommaire, quelques titres dont vous pourrez lire les textes et admirer les illustrations sur Internet, qui vous ouvriront l’esprit sur une certaine perception de la création et de la critique d’art à la fois différente et tellement proche de la nôtre :
Hassan Darsi, Sous le signe de l’or.- Hassan Darsi, artiste fondateur de la Source du Lion, dévoile ses oeuvres récentes à la galerie l’Atelier 21. »Mutations ordinaires« , son exposition, signe un tournant dans son itinéraire : jamais l’artiste n’a été aussi proche de la peinture.
Medin’Marrakech à la Galerie 127.- La Galerie 127 expose du 15 octobre au 30 novembre 2009 les travaux de trois photographes, la Belge Soo, la française Marie Docher et l’anglais Jonathan Prime sous le thème de Medin’Marrakech.
Kamel Mennour : Le galeriste, un sherpa pour l’artiste.- Séduisant, charismatique, et un sourire à faire rougir le monde. Son audace a été sa meilleure arme pour se hisser, en dix ans à peine, au rang des galeristes d’art contemporain les plus en vogue de Paris.
Diego Moya, dialogues avec la roche.- En bordure d’Asilah, entre océan et terre ferme, l’artiste a installé un chantier pour calquer une mémoire millénaire et l’enrichir de sa propre peinture.
Shirin Neshat, »L’être persane« .(3) - Dix ans après son Lion d’Or, Shirin Neshat était en septembre à Venise pour la Mostra avec Women without men pour lequel elle a reçu le Lion d’argent du meilleur réalisateur. L’occasion d’évoquer son talent.
L’atelier de Djamel Tatah, le peintre des âmes errantes.- Son regard est enveloppant. Tout comme son rire. Entre l’homme joyeux et les personnages fantomatiques de sa peinture, le contraste est inattendu.
L’exposition Abouelouakar, Le plus russe des peintres marocains.- Deux galeries, à Rabat et Casablanca, exposent Mohamed Abouelouakar. Un grand événement en perspective et un bel hommage rendu à l’un des artistes les plus marquants de la scène plastique contemporaine marocaine.
Guy Limone, Jeux contemporains d’images et de couleurs.- Représenté par la galerie Emmanuel Perrotin à Paris et à Miami, l’artiste présente sa première exposition personnelle au Maroc à la galerie FJ. L’occasion de découvrir toutes les facettes de ce peintre qui réinterprète les couleurs du monde.
Mounir Fatmi, entre envie de construire et envie de détruire.- Mounir Fatmi, le plus international des artistes modernes marocains, participe jusqu’au 3 janvier 2010 à la 10ème biennale de Lyon. Rencontre avec un »artiste voyageur« qui puise ses œuvres et son art dans sa rage de vivre.
Entretien avec Guillaume Piens sur Paris Photo : Directeur du salon Paris Photo, Guillaume Piens en fut d’abord le responsable de communication. Rigoureux et inspiré, il est l’homme clé de l’événement qui se déroule au Carrousel du Louvre et met à l’honneur cette année la photo arabe et iranienne.
Ajoutez-y les articles de Brahim Alaoui sur la photo dans le monde arabe, de Katia Feltrin sur Youssef Nabil et sur le collectionneur Rüdiger Weng, mais aussi de Julie Estève, Renaud Siegmann, Mohamed Rachidi, Maurice Arama , Afaf Zourgani et j’en passe. Oui, cette dernière est bien la journaliste et poétesse Afaf Zourgani qui a coécrit avec Jalel El Gharbi, Laurent Mignon, Anita Ahunon et moi-même, tous issus du village euro-méditerranéen, l’essai »Nous tous des migrants« . Raison de plus, non ? d’aller vite découvrir cette nouvelle publication splendidement illustrée sur www.diptykmag.com/, en attendant – elle n’est malheureusement pas encore distribuée hors Maroc, mais cela ne saurait tarder – de pouvoir s’y abonner.(4)
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1) Parmi les orientalistes célèbres citons notamment en littérature Schlegel, Lamartine, Nerval, Flaubert, ou Loti et en peinture Benjamin-Constant, Chassériau, Delacroix, Fromentin ou Ingres,
2) 1830 invasion de l’Algérie, puis protectorat français en 1981 sur la Tunisie, et franco-espagnol sur le Maroc en 1912.
3) charmante allusion par homophonie aux »Lettres persanes« de Montesquieu
4) »diptyk« n’intéresse pas seulement les amateurs d’art, pour lesquels la création ne se cantonne pas à Paris, Londres, Munich ou New York, mais aussi nos galeristes luxembourgeois, que ce riche vivier d’artistes qu’est le Maghreb en général et le Maroc en particulier, devrait encourager à y découvrir des talents… donc sur www.diptykmag.com/
Giulio-Enrico Pisani