Fatima Rougi, Tullio Forgiarini et Olivier Junkar à la Kufa
«Je reviens de loin, je viens d’ailleurs...»
Si habituellement les soirées «World in Progress» ont lieu au «Ratelach», à la Kulturfabrik (Kufa), cette fois elle a eu lieu dans la grande salle. Et le public fut relativement nombreux, de quoi clouer le bec à celles et ceux qui osent prétendre que la littérature ne fait pas bouger les foules.
Le principe d’une telle soirée est intéressant, innovant même. Trois auteurs, et leur bourreau d’auteur respectif. Fatima Rougi a eu droit au directeur à la retraite de la Kufa, Serge Basso de March, également auteur. Tullio Forgiarini bénéficia des services particuliers de Jeanne Glesener, éminente spécialiste des arts et des lettres (et c’est peu dire !). Florent Tonielo, lui-même romancier, poète, traducteur, correcteur, Premier Prix du Concours littéraire national en 2015, était pour sa part le bourreau d’Olivier Junkar.
«Je viens du triomphe du mâle et de la soumission des femmes !»
Je m’attendais sincèrement à tout, sauf à ça ! Une qualité d’écriture époustouflante, un texte bouleversant à bien des égards.
Son nom apparaît sur ma boîte mail, sans exagérer, plusieurs fois par mois, en dehors bien-sûr des règles particulières de confinement dues au Coronavirus. Actuellement elle est chargée de communication et presse à la Kufa. Et son travail, elle l’accomplit très bien.
Pendant huit ans, elle a exercé le métier de journaliste et, «Cette écriture-là», a-t-elle dit, sans hésiter, «en règle générale n’est pas de bien grande qualité». Il faut écrire vite, car les rédactions sont exigeantes.
Celle que je vais vous présenter est très engagée pour le droit des femmes.
Son nom, je vais bien devoir vous le donner à un moment ou à un autre. Alors, le voici... Fatima Rougi !
Elle n’a pas eu à rougir lors de la soirée «World in Progress» à laquelle nous avons eu le plaisir d’assister, parce que sa littérature, à la petite d’origine berbère, eh bien, c’est du solide ! Raison pour laquelle, dans cet article, je me focalise sur Fatima Rougi. L’ami Tullio Forgiarini, je l’ai déjà mis plusieurs fois à l’honneur, et Olivier Junkar, est également un artiste multiple confirmé, même si son roman de science-fiction est lassant.
Je voudrais répondre à la question de Fatima Rougi : «Oui, votre texte possède toutes les qualités pour être édité, lu, joué».
Fatima Rougi, peut-on lire, dans sa biographie, est une féministe têtue, amoureuse de vêtements «vintage (qui lui vont à merveille d’ailleurs). Née au Maroc, elle a grandi en Corse, et a fait ses études d’histoire et de journalisme en France. Depuis 2011, elle vit au Luxembourg.
A l’adolescence, écrire a été sa thérapie, sa façon de se reconstruire et de se trouver. Depuis, elle continue à écrire. Des textes personnels qui parlent d’immigration et de quête identitaire.
Serge Basso de March a introduit la lecture de Fatima Rougi en disant : «Il s’agit d’une autofiction avec des mots inventés».
Mais une autofiction qui colle à la réalité. Fatima Rougi écrit, et son amie Lucille, comédienne d’origine camerounaise, écrit de son côté. Il est prévu que les textes vont être réunis afin de former un tout. Ce tout sera homogène, car dans les veines des deux auteures palpitent les mêmes revendications, craintes, dénonciations... Elles nous offrent finalement d’intimes et profondes révélations. Solide, le texte de Fatima Rougi est bouleversant.
Elle m’a envoyé des extraits choisis de «A Part Tenir» afin de les partager avec vous, amies lectrices et amis lecteurs :
«Les couches identitaires successives qui me composent ont fait de moi un être flou. Un amas. C’est ça d’être beaucoup de choses à la fois. On est tellement de choses qu’au final, on n’est plus rien. Ni d’ici, ni d’ailleurs. Nulle part à l’aise.
Je reviens de loin. Je viens d’ailleurs. Je viens du bruit et des odeurs. Je viens de l’hospitalité et de l’intolérance. Je viens de la convivialité et de l’inconfort. Je viens des odeurs qui embaument et du silence qui pue. Je viens du triomphe du mâle et de la soumission des femmes. Je viens du culte de la beauté et du fardeau du corps.
Je viens de la parole et du manque de dialogue. Je viens du père. Je viens de la hshouma. Je viens de la famille. Celle qui ne veut rien dire mais qui est censée être tout. Je viens des cris et des non-dits. Je viens de là où ça fait mal.
Désormais je suis fâchée contre moi. Fâchée de ne pas pouvoir pardonner. Fâchée de ne pas «appartenir». Fâchée d’être bloquée. Fâchée de ne pouvoir tout écrire mais de ne jamais vouloir dire. Les insultes hurlées par mon père car j’étais sortie une fois au-delà de 20 heures. Le débardeur rose fuchsia et jaune que j’adorais mais que ma mère a jeté car j’avais eu mes règles et qu’une femme ne montre plus ses bras. Le mariage arrangé qu’on a essayé d’imposer à mes sœurs. Ma virginité qu’ils espèrent encore sauvegarder. Mon honneur qu’ils estiment bafoué car à 43 ans, je ne suis toujours pas mariée.
Le drap blanc posé sur le lit de ma belle-sœur le soir de sa nuit de noce pour y recueillir son sang. Les larmes de la mère car mon père lui interdit d’aller voir son père mourant. Le regard noir rempli de haine de mon oncle quand il apprend que je pars m’installer seule pour aller faire des études».
Voyez-vous, tout cela c’est de la littérature de hautes envolées. Fatima Rougi, une auteure à suivre.
Tullio Forgiarini et Olivier Junkar
Grand merci à ces deux auteurs de me pardonner d’avoir consacré quasiment tout le présent article à une auteure émergente.
Tullio Forgiarini, j’ai fort apprécié ton nouveau projet d’écriture dont tu nous as lus quelques extraits à la Kufa. Comme toujours, tu n’hésites pas à secouer le cocotier et à surprendre !
Lydia, ton héroïne, est cette fois une tueuse à gages. Elle tue des mecs, à leur demande, des mecs qui veulent se suicider mais n’ont pas le courage de passer, eux-mêmes, à l’acte ! Les uns sont terriblement malades, les autres souffrent de dépression...
Tullio Forgiarini, tu possèdes l’art de mettre en scène des situations très existentielles. Avec tes écrits, à tes lectrices et lecteurs, tu offres des connaissances, des points de vue, des opinions sur des choses essentielles de la vie. Merci pour cela.
Tullio Forgiarini est enseignant, prof d’histoire plus précisément. Ses textes sont noirs, noirs comme la vie, terriblement vrais. Tullio Forgiarini est l’auteur de «Amok» et «Lizardqueen», publiés aux Editions Guy Binsfeld, ainsi que «De Ritter an der Kartonsrüstung» chez Kremart Editions. Et, plus récemment, de «Céruse, ma vie. Entretiens avec Saturnino Bian», chez Hydre Editions.
Olivier Junkar écrit la nuit, est-ce cela qui nuit à son écriture ? Olivier Junkar est un touche-à-tout. Mais le roman de science-fiction auquel il travaille actuellement est pire que le plus mauvais roman de gare. Et je suis gentil !