Kultur

Morisson : pop art et jouets « critiques » au 24 rue Beaumont

Étonnant Morisson, surprenante galerie Schortgen (1), perspicace Lydia Moens, qui la dirige avec charme et fermeté à travers l’aire de battage fertile des arts contemporains ! Je dirais même ultra-fertile, mais où la sélection entre le grain, la paille et l’ivraie n’est pas toujours aisée, ce qui place notre charmante galeriste devant des choix parfois cornéliens. Pour ce qui est de l’artiste, nous apprenons par la galerie, mas aussi sur Internet et particulièrement sur ses sites www.morisson-art.com/ et www.mo risson-pay-cash.com/, que Morisson est né en 1954 à Thionville sous le nom de Jean Luc Gutt. Depuis 2006, en parfait autodidacte et influencé par ses amis artistes, il décide d’exposer ses travaux, puis, à partir de 2010, de ne plus se consacrer qu’à cette seule activité. Touché par le phénomène de banalisation des privations de liberté, il entreprend en 2007 un portrait géant de la journaliste russe Anna Politkovskaïa, assassinée pour avoir dénoncé les violations régulières des Droits de l’Homme dans son pays.

Morisson tend à provoquer des réactions et à favoriser la participation active du public. Il veut élaborer un art interactif dans lequel le spectateur est amené à dépasser la visualisation passive de l’oeuvre pour en devenir partie prenante. Aussi invente-t-il un nouveau concept intitulé « Pay-Cash » (2), où l’artiste engage une bonne part de ses compétences. Peut-être inspiré par les anciens théâtres d’automates, il met en scène dans ses tableaux « Pay-Cash » une véritable représentation théâtrale avec sa scénographie, ses personnages, montages, collages et décors. Présentée dans des caissons de plexiglas plats, format tableau, cette dramaturgie la plupart du temps comique, mais à fond grave, voire tragique, se met à « vivre » lorsque le spectateur insère une pièce de monnaie dans le compartiment à fente prévu à cet effet. Oeuvre d’art pop ou jouet « critique » ? En fait les deux. Mais à vous de jouer... et de juger, amis lecteurs !

« En se lançant dans la réalisation de la série « Pay-Cash », écrivait en décembre 2011 l’historienne d’art et critique Nathalie Becker, « l’artiste lorrain Morisson se place directement dans la lignée de la désacralisation de l’oeuvre d’art en mettant sa production à la portée de tous dans la mesure où quelques menues pièces de monnaie traînent dans nos poches... » et elle précise plus loin : « Les dioramas nous relatent des histoires qui mettent en son, lumière et mouvement l’oppression humaine, l’injustice, la destruction de l’environnement, le gaspillage effréné, un ordre mondial incontrôlable et déliquescent, la confusion des morales et des valeurs, le tout visualisé avec esprit, humour et ironie... »

L’artiste lui-même explique ce besoin d’interaction et d’encouragement d’une participation des spectateurs par son état de sophrologue. (3) Or, je ne pense pas que sa pulsion première vienne de là. Le moteur de ses choix artistiques ne serait-il pas plutôt du même ordre que ces traits de caractère qui l’ont poussé vers la sophrologie, c’est-à-dire son extroversion, sa sollicitude pour son prochain, voire son altruisme, sa générosité et son intérêt pour les grandes causes ? Certes, la connaissance des méthodes sophrologiques lui permet d’affiner, de rendre ses travaux plus efficaces, spectaculaires (au sens de spectacle et non d’exagéré), plus aptes somme toute à susciter intérêt, solidarité et participation. Mais là n’est certes pas son mobile premier. Quoique non dit, il est évident que la création morissonienne se développe autour de son engagement, qui s’exprime notamment par sa condamnation des atteintes à la liberté, mais aussi de ses déviations et perversions. C’est par exemple, le cas pour le néo-eugénisme états-unien, où des apprentis sorciers médicastres proposent, à des futurs parents racistes, du « bébé beau, grand, blond, aux yeux bleus, intelligent, etc. » à la carte, par sélection génétique, phénomène qu’il stigmatise dans son tableau « PayCash poker baby ». C’est en fait une aussi cocasse que virulente critique de cette version moderne du sinistre programme « Lebensborn » nazi des années 1936-45. Un autre travail remarquable dans cette série Pay-Cash, et du même coup mon tableau préféré, disons, esthétiquement, reste « Paycash Hollywood » dont la force allégorique, la composition et l’harmonie chromatique font une brillante réussite.

Ceci étant dit, Morisson a bien d’autres cordes à son arc. Artiste polyvalent s’il en est, la photographie, les collages, la peinture et les installations n’ont plus beaucoup de secrets pour lui. Et partout apparaît dans ses réalisations ce besoin de contact avec le public, d’interactivité ! Citons notamment une installation en plein air dans le parc du casino de Mondorf-les-Bains et dans les rues du village de Rodemack, ou bien sa participation à « St-Art », Foire Européenne d’Art Contemporain de Strasbourg. Aussi, ne se limite-t-il pas chez Schortgen à ses « Pay-Cash », mais nous surprend également avec bon nombre de tableaux plus traditionnels à technique mixte, dont certains sont absolument remarquables. Parmi les meilleures je peux citer « The Blue-Fairy-Tec », pot-pourri de collages dominé par la statue de la liberté, ou « Happy Baby Serie USA 2012 », une satire du drapeau états-unien. Mais mon tableau préféré – et l’un de ses rares qui ne flirte pas avec le kitch, est à coup sûr « Sculptured Legend », où George Washington, Thomas Jefferson, Theodore Roosevelt et Abraham Lincoln sont remplacés au Mont Rushmore par les quatre légendes du rock-pop que sont Jim Morrisson, Jimmy Hendrickx, Patty Smith et Elvis Presley.

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1) Galerie Schortgen Artworks, 24, rue Beaumont, Luxembourg centre. Exposition Morisson, mardi à samedi de 10h30 à 12h30 et de 13h30 à 18 h. Jusqu’au 28 avril.

2) Marque déposée.

3) Sophrologie : étude de la conscience en harmonie (Wiki-pedia) ; science qui étudie la conscience humaine et ensemble de techniques et méthodes à médiation corporelle (www.sophrologie-info.com). Lire aussi mon article dans Zeitung vum Lëtzebuerger Vollek « Voyage aux sources de la douleur, ou mieux connaître ses causes pour mieux la vaincre » sub www.zlv.lu/spip/spip.php?arti cle6626.

Giulio-Enrico Pisani