Kultur

Chez Beaumontpublic

Kosyo Minchev et... l’agneau

Mon premier aperçu, encore très superficiel, du talent de l’extraordinaire artiste bulgare Kosyo Minchev, je le dois à la galerie Beaumontpublic (1), qui organisa l’exposition « Watch out » (2) durant l’été 2006. Mon désir d’en savoir davantage sur lui fut cependant déjà satisfait cinq mois plus tard, la galerie lui consacrant une expo personnelle (3), dont certains d’entre vous se souviennent peut-être. Cependant, l’eussiez-vous même manquée ou oubliée, amis lecteurs, ce ne serait pas excessivement grave, car le Kosyo d’aujourd’hui n’a pas trop en commun avec celui d’il y a quatre ans. Enfin, disons, excepté l’emploi de ses matériaux de prédilection pour ses sculptures : silicone et aquarésine appliquées entre autres sur la résine de polyuréthane rigide ou le caoutchouc. Exception dans l’exception : dix superbes dessins – à mon avis le clou de l’expo – que la présentation de la galerie mentionne pourtant à peine, lorsque ses peintures et ses sculptures y sont largement commentées. Voici quelques brefs extraits de ce texte :

« Kosyo Minchev a longuement élaboré l’évolution de son travail jusqu’à parvenir à des objets/sculptures où l’énergie de l’air et le mouvement de distorsion imposait la forme… » et au sujet de ses peintures : « ... Avec une technique unique en son genre, cette peinture est incrustée dans la silicone et exécutée d’une manière magistrale par l’artiste. En fait, ces peintures sont aussi des paysages en trois dimensions. Elles n’obéissent pas aux règles de la perspective classique, mais sont bien des perspectives de la perception de l’image... »

Né en 1969, l’artiste bulgare Kosyo Minchev a commencé à exposer à Sofia dès 1995. En 1996 il étudie à la MFA, l’Académie Nationale des Beaux-arts à Sofia. En 1997 le voilà interne dans plusieurs instituts américains comme le département des arts visuels de l’Université de Californie à San Diego. La même année il participe à la 4ème biennale « orientale » (Nouveaux Espaces) à St. Petersbourg en Russie. Assistant de Jeff Koons pendant ses premières années aux Etats-Unis, il n’oublie pourtant pas la Bulgarie, où il expose régulièrement, en collectif ou en solo, aussi bien à Sofia, qu’à Plovdiv, mais aussi à Zlatograd, Gabrovo et Arkoutino.

Kosyo Minchev participe aussi à de nombreuses expositions collectives et individuelles dans d’autres pays d’Europe : à Berlin et à Herringen en Allemagne, à Riga en Lituanie, à Drechtsteden aux Pays Bas, ainsi qu’à Vienne. Mais c’est en 2002 que l’Amérique ouvre vraiment ses portes aux créations de Kosyo. C’est Montréal, San Francisco (notamment à la Noma Gallery) et c’est surtout New York, où il s’établit (Brooklyn) et expose entre autres à la fameuse Stefan Stux Gallery, sise à Manhattan, dans Greenwich Village.

Notre artiste est, comme tout véritable créateur, un touche-à-tout, qui surprend souvent, dérange parfois et a peut-être pour cela du mal à susciter des adhésions inconditionnelles. Mais c’est en premier lieu, voire par-dessus tout, un formidable dessinateur animalier. Et le fait qu’il passe avec une aisance souveraine née de ses multiples dons, magnifiée par l’expérimentation avec des matériaux modernes et l’expérience, passe donc du dessin à la peinture, puis à la peinture « tridimensionnelle » et à la sculpture, n’y change rien. Car, dans un cheminement parfaitement classique, son dessin précède sa peinture qui s’en nourrit. Ses oiseaux frémissants d’âme et de vie, ses montagnes d’une sau-vagerie inouïe et ses orages dignes des tempêtes de William Turner sont magistralement dessinés avant de se déployer dans ses peintures en une palette de teintes d’autant plus poignantes qu’elles transmettent leur richesse dans une quasi-monochromie.

La collection qui nous est présentée aujourd’hui, intitulée « The magnitude of the lamb » (la grandeur de l’agneau), serait placée selon les galeristes sous le signe de l’image de « L’Agneau Mystique », où elle puiserait son énergie. Qu’on me permette toutefois d’émettre quelques réserves quant au prétendu mysticisme des agneaux de Kosyo, dont l’émouvante mais forte matérialité ne me semble avoir de transcendant ou de symbolique que sa propre poésie. Et c’est en vertu de ce prodige de vitalité que je reste bouche béée devant la vibrante beauté de ces têtes animales dessinées à l’encre ou au charbon. Plus originales sans doute, plus vivantes même dans leur tentative d’exploser la bidimensionnalité intrinsèque du dessin, les têtes d’agneaux peintes dans l’épaisseur de la silicone n’atteignent cependant pas, à mon avis, l’exquise finesse artistique des dessins.

Ce n’est bien sûr que mon point de vue à moi, qui ne suis pas vraiment convaincu non plus par les sculptures de têtes d’agneaux en aquarésine. Fort bien exécutées, mais privées de leur poésie naturelle, elles renvoient trop l’agneau à sa destination anthropocentrique–utilitaire : la boucherie. De superbe sujet dans ses dessins, l’agneau de Kosyo devient pitoyable objet dans ses sculptures. Quant à sa peinture, qui n’avilit pourtant point l’animal comme sa sculpture, c’est ailleurs qu’elle brille, donc où le talent de l’artiste s’épanouit pleinement. Je pense, ainsi que je l’ai esquissé plus haut, à ses fabuleux paysages, le plus souvent de montagne, qui allient une harmonie sauvage à une présence époustouflante. Enfin je mentionnerai trois portraits d’homme qui s’insèrent assez étrangement dans l’ensemble. D’une puissance tragique, telle que ni Vladimir Velickovic ni Francis Bacon n’en renieraient la parenté, ils semblent crier le silence et la fureur à pleins poumons : époustouflants ! Conclusion en quatre petits mots, qui s’imposent à nous devant ces splendides dessins et cette somptueuse dramaturgie picturale : « À ne pas manquer » !

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1) Voir aussi sur Internet : www.beaumontpublic.com/. Adresse 21.A, avenue Gaston Diderich, Luxembourg (à deux pas de notre ancienne rédaction). Ouverture mardi à samedi de 12 à 18 h, Kosyo Minchev est exposé jusqu’au 26 juin 2010.

2) présentation dans Zeitung vum Lëtzebuerger Vollek du 19.7.2006.

3) présentation dans Zeitung vum Lëtzebuerger Vollek du 22.12.2006.

Giulio-Enrico Pisani