Kultur

Duo magique à la Galerie Célina

Reconnaissons que pour nous réchauffer au moins le coeur et l’esprit au seuil d’un hiver qui, après avoir permis à l’été indien de jouer les prolongations, s’annonce peu commode, la très charmante Célina Costa y a mis le paquet ! Notez, que par « paquet » j’entends deux formidables expositions... et découvertes du même coup. Côté gauche de la Galerie Célina(1), en entrant, c’est l’extraordinaire photographe luxembourgeois Joel Nepper, qui expose un florilège photographique aussi rare qu’exceptionnel. Quant au côté droit, nous y retrouvons en multiple les magnifiques peintures de Doïna de Watazzi dont je découvris les « premières perles » il y a près de douze ans. Née dans les années soixante à Timisoara, en Roumanie,

Doïna de Watazzi

expose déjà fillette à l’Ecole des Beaux-Arts d’Arad. En 1972, elle rejoint, avec soeur et mère, son père au Maroc. En 1974, elle va étudier en France avec sa soeur. En 1977 elle retourne au Maroc, expose à l’Espace El Mansour à Casa, au Centre Astaldi à Conakry (Guinée) et au Centre Culturel Français à Nouakchot (Mauritanie). Mariée à Alexis de Watazzi, elle s’établit à Luxembourg en 1984. Fin de l’errance ! Tout en enseignant art et dessin à l’Académie d’été, en secondant son mari dans la photographie, la cartographie et l’édition et en élevant ses enfants, elle expose sa peinture – surtout huile sur soie ou sur toile – à tour de bras. Notamment en 1988 à Breistroff la Grande et à Hagondange, où elle obtient le premier prix du salon d’automne, en 1992 à Metz, en 1996 de nouveau à Nouakchott, en 2003 à Golf de Preisch (France). Mais c’est au Luxembourg qu’elle donne toute sa mesure : expos au Cercle Munster (2x), au Centre de mode « Poem », au Théâtre d’Esch sur Alzette, aux Centres Culturels de Larochette, Rumelange et Steinfort, à l’Espace Couleurs Culturelles, au Konschthaus beim Engel (3x), à la Galerie Goerz, au Centre de Conférences de l’Office Infrastructures et Logistique, ainsi qu’à l’Ambassade de Roumanie. L’ambassadeur de Roumanie lui a d’ailleurs décerné une distinction pour les icônes réalisées en l’Eglise St. Mathieu (Pfaffenthal).

C’est à la Galerie Goertz, sise à l’époque rue des Bains(2), que m’apparut pour la première fois la peinture incomparable de Doïna de Watazzi. Incomparable ne signifie pas que je la situe au-dessus de tout, plutôt qu’elle n’appartient à aucune école, ne s’inscrit dans aucun courant et ne se réclame d’aucune tendance. Mais elle cherche et expérimente constamment avec de nouveaux sujets, motifs, cadres, scénographies... C’est à chaque rencontre toujours elle et pourtant quasiment une tout-autre artiste. Et la voilà enfin revenue à ce style de peinture que je découvris en 2008 et qu’elle négligea un peu, faute, m’a-t-elle avoué, de reconnaissance générale. Aussi, sa présente expo constitue-t-elle l’apothéose de ce style superbe qui lui est propre. Flirtant, sans jamais s’y soumettre, avec le surréalisme romantique, les fééries architecturales, le folklore byzantin ou sanskrit, l’onirisme, la féérie, l’architecture réelle ou imaginaire, tout comme avec l’abstraction à divers niveaux, ses créations fondamentalement figuratives explosent ses toiles. Véritables prodiges que ses riches compositions chromatiques délicates et d’un goût exquis contenant des villes entières, voire des microcosmes libérés du temps, rendus dans des tableaux de format réduit (entre 50x40 et 130x100cm) ! Des scénographies comme celles de « New World », « Le maître d’orchestre » ou « Luxembourg » (imagerie tête-bêche comme dans une carte de jeu) ne vous lâcheront plus. Magique ! Et, presque aussi magique, mais dans l’art de la photographie cette fois, nous découvrons, côté droit,

Joël Nepper,

né au Grand-duché en 1975, dont la galerie nous apprend qu’il est diplômé de l’Académie des Beaux-arts de Bruxelles. Personnage singulier dans l’univers photographique, cet artiste atypique conjugue avec une élégance rare une technique intemporelle et un univers onirique. Profondément attaché à la liberté de création, ce « nomade », comme il se définit lui-même, est un créateur dans l’âme. Cette dynamique créatrice et sa recherche incessante de la singularité l’ont justement amené à créer en 1999 le collectif de photographes « Octobre rouge », cercle d’artistes photographes gardiens d’une certaine idée de l’art photographique. Artiste engagé, Joël Nepper décide avec son ami Christophe Ollinger de créer l’espace Argentik, entreprenant de remplir ainsi une mission qu’aucune autre institution du pays n’a su accomplir à ce jour : donner enfin un forum aux jeunes photographes. En 2013, il ouvre un studio, dédié aux portraits, qu’il équipe spécialement pour le procédé de collodion humide(3), technique qu’il a adopté après avoir essayé la plupart des procédés classiques.

Mais l’éventail créatif de Joël va bien au-delà du portrait. Après avoir rencontré un franc succès au Casino de Luxembourg ainsi qu’au Cercle Munster, Joël Nepper illumine aujourd’hui la Celina Gallery avec ses nouvelles collections ou séries. « À travers mes créations », nous dit-il, « je cherche et travaille l’intégration de l’humain dans son environnement naturel. Mes compositions sont à l’image de notre société : morcelées, fragmentées et recomposées. Sans véritables racines, ni culture à laquelle me raccrocher, je suis devenu une sorte de nomade. Toujours en mouvement, à la recherche de mon identité, et une seule raison d’être : créer ! »

À quoi on peut ajouter ce qu’il confia à Béatrice Dissi (Lëtzebuerger Land 22.2.13) : « Je ne photographie pas les gens pour les rendre parfaits. Ce qui m’intéresse, c’est de capter les personnes comme elles sont, happer des moments de leur quotidien, avec un brin de poésie (...) J’ai envie de diffuser une photographie alternative, où les censeurs ne sont pas les mêmes (...) Je veux entraîner les gens dans une perception différente. On est si formaté aujourd’hui, si empêtré dans les clichés qu’on nous apprend à trouver beaux, qu’on n’arrive plus à appréhender l’image de façon personnelle ».

Largement abandonnée à cause de sa complexité, la technique du collodion humide, inventée au XIXe siècle avec celle du daguerréotype, permet de créer des oeuvres d’art incomparables, mais elle est extrêmement exigeante. Encore faudrait-il parler de techniques, au pluriel donc, tant ce procédé peut déboucher sur différentes formes de réalisation : ici, par exemple, « film argentique brûlé au chalumeau », là « tirages argentiques uniques sur papier baryté », ou ailleurs « tirages uniques sur plaque de verre au collodion humide ».

Mais quelque soit la technique, la liberté de Joël quant à la réalisation reste totale. D’une quasi-abstraction onirique envoutante, ses tableaux photographiques de la série « Fall » nous font découvrir la nature – amas de feuilles mortes, arbres décharnés, paysages – sous des aspects inconnus. Également des aspects inédits, quoique en plus figuratif, dans ses séries « Pleitringerhaff » (habitat humain), « Tantra » (corps féminin), ou dans le michelangelesque triptyque « Ecce Homo » (corps masculin). À ne manquer en aucun cas, amis lecteurs !

Giulio-Enrico Pisani

***
1) Celina gallery, 14, Avenue de la Liberté, Luxembourg-ville, ouvert du mardi au vendredi de 10h à 19h et le samedi de 10h à 18h. Exposition jusqu’au 5 janvier 2016.

2) La Goerz Gallery of Fine Art ne se trouve plus Rue des Bains, mais bien au 48 A, Rue Michel Rodange L-2430 Lux­em­bourg.

3) Pour l’historique et une description détaillée de ce procédé assez complexe, lire notamment https://fr.wikipedia.­org/wiki/Collodion_humide, www.galerie-photo.com/collodion-humide.html, mais surtout l’excellent article de Béatrice Dissi sur Joël Nepper dans d’Lëtzebuerger Land du 22.2.13 sur www.land.lu/­2013/02/22/le-collodioniste, dont j’ai extrait quelques phrases de l’artiste