Kultur

Le poète espagnol Marcos Ana au Festival du Livre et des Cultures

Marcos Ana, fils de la Solidarité

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Marcos Ana, de son vrai nom, Fernando Macarro Castillo, son pseudonyme étant composé des prénoms de ses parents, est né en 1920 au sein d’une famille pauvre.

Sa vie, marquée par un engagement constant en faveur des opprimés et des déshérités, il l’a entièrement consacrée à son idéal communiste. Militant de la Jeunesse socialiste unifiée (JSU), il lutte, durant la guerre civile, aux côtés des républicains et, à la fin de celle-ci, est fait prisonnier et condamné à mort. Marcos Ana passera 23 ans dans les geôles franquistes, où il commencera à écrire ses poèmes plus connus qui, grâce aux camarades antifranquistes, sortiront clandestinement au grand jour et parcourront le monde entier, se convertissant en un manifeste de liberté pour tous les prisonniers politiques du franquisme.
Ses poèmes déclenchèrent aussi une campagne de solidarité en sa faveur, qui aboutira, en 1961, à sa libération. Depuis l’exil, il lutte et organise le soutien aux prisonniers politiques et à leurs familles, ce qui l’amena à voyager de par le monde et à rencontrer des écrivains et des personnalités politiques tels que Pablo Neruda, Che Guevara, Salvador Allende, etc.

En 2007, il publie un livre « Dites-moi à quoi ressemble un arbre », dans lequel il relate ses années d’incarcération, et les difficultés qu’il a connues, à sa sortie de prison, pour se réadapter à la liberté.
Lorsqu’on lui demande si, étant en prison, il avait imaginé qu’il aurait un jour une vie si animée, il répond qu’en prison, bien que sa situation était très difficile, il toujours nourri des espoirs de futur. Il avait été condamné à mort durant plus de deux ans, condamnation qui a finalement été convertie en deux condamnations, une pour activités durant la guerre civile et l’autre pour une revue clandestine, condamnations pour lesquelles il avait écopé d’une peine de 60 ans de prison. Il n’avait cependant pas imaginé, qu’après sa libération, la vie aurait été « aussi généreuse » avec lui, et qu’elle lui aurait offert tant de satisfactions. La seule certitude qu’il avait, était que si un jour il était libéré, il poursuivrait sa lutte.

Il déclare que de ces 23 ans d’emprisonnement le plus difficile a été sa libération. « Revenir à la vie a été dur, surtout par rapport aux femmes et même au niveau de la vue. J’avais fini par m’habituer aux distances courtes et verticales et, à de nombreuses reprises, lorsque je sortais dans un espace ouvert, je ressentais un malaise, qui des fois me faisait même vomir. Mais cette dure réadaptation a été compensée par la générosité de la vie, qui m’a ouvert ses bras et m’a permis de mener une activité intense dans de nombreux pays. Je me considère comme un privilégié. J’ai rencontré les personnalités les plus importantes de notre époque, j’ai également été reçu dans des parlements, des sénats, des universités... du monde entier. J’ai eu la chance que n’ont pas eu beaucoup d’autres camarades. C’est pourquoi, lorsque l’on me rend hommage, je ne me sens pas à l’aise, parce que je pense à ceux que j’appelle les « gens de l’ombre », les camarades anonymes sans lesquels l’engrenage de notre lutte n’aurait pas fonctionné. Il m’arrive d’éprouver de la gêne lorsque tout se centre sur moi ».

Il explique qu’en prison ses idées non fait que se réaffirmer. Et lorsque, comme l’année dernière à la Fête de L’Humanité, quelqu’un lui demande pourquoi il continue à être communiste, il rétorque : « Vous avez mieux à m’offrir ? Si oui, j’y penserai ! ». Il se veut un communiste ouvert, de notre temps, car pour lui, « il ne faut pas rester “ancré“ dans le passé, car cela empêche d’établir le contact avec la jeunesse et de déchiffrer avec eux les signes du futur. Et la majorité des communistes sont comme moi, cependant, on a une idée préconçue des communistes qui a été soutenue durant des années. On continue encore de parler de “rouges“ comme si l’on était des extraterrestres ».

Et quand on lui demande ce qu’il pense de la situation politique actuelle, il affirme que « le système a réussi à nous individualiser. Ce qu’il faut aujourd’hui c’est sortir avec les idées à la rue, et ne pas se limiter à discuter uniquement dans les assemblées des organisations et des syndicats. Non seulement il faut des leaders politiques, mais il faut que ces leaders se convertissent en leaders citoyens qui se préoccupent directement des problèmes des gens, et qui soient à l’écoute des gens ». Et il ajoute : « Nous aimerions que, dans l’espace d’une vie, notre vie, se produisent des changements révolutionnaires profonds, mais ceci n’est pas possible parce que l’Histoire doit encore murir un peu plus. Le monde d’aujourd’hui est un chaos, et j’ai confiance en vous, les nouvelles générations ».

A la question de savoir comment une personne telle que lui, qui a souffert de la terrible répression de la dictature franquiste, arrive à éliminer tout sentiment de rancœur ou de vengeance, il affirme : « La seule chose qui peut être en mesure de compenser mes années de prison et la souffrance endurée c’est de voir un jour triompher les idéaux pour lesquels j’ai lutté, et pour lesquels beaucoup de femmes et d’hommes ont donné leur liberté et leur vie. La vengeance n’est ni un idéal politique ni un objectif révolutionnaire Il ne faut pas confondre la vengeance avec la justice, nous qui avons lutté pour la Démocratie devons obtenir la reconnaissance et la réparation des dommages. Moi j’ai obtenu la reconnaissance, mais il y a des milliers de personnes qui n’ont rien obtenu. Je suis un grand ami de la veuve de Julián Grimau*, et chaque fois qu’elle me voit, elle se met à pleurer en disant : « Il y a 30 ans que nous sommes en démocratie, combien d’années faudra-t-il encore attendre avant que l’on revendique la mémoire de mon mari ? ».
On dit que si les peuples oublient leur histoire ils peuvent commettre l’erreur de la répéter. Nous ne voulons pas retourner au passé, nous ne voulons pas d’une autre guerre civile. Mais ce que nous ne voulons pas non plus c’est que l’on ferme les blessures sur des mensonges. Il faut que l’on sache ce qui s’est véritablement passé et qu’on l’écrive, même s’il faut le faire avec l’alphabet de l’horreur, pour que personne ne puisse l’oublier ».

A propos de la jeunesse d’aujourd’hui et de son rôle au niveau politique et social il dit : « Je n’aurai pas l’opportunité de voir le triomphe complet de nos idéaux, mais je confie dans les nouvelles générations pour assurer notre relève, parce que c’est en elles que nous avons semé notre histoire. On ne peut pas s’adresser aux jeunes uniquement avec des consignes, des communiqués et autres choses dans le genre. Ce qu’il faut faire c’est communiquer avec eux, leur parler et apprendre d’eux. Il faut réussir à créer une espèce de symbiose entre l’expérience des plus âgés et l’initiative de la jeunesse. On ne peut plus aller avec des vieilles formules, il faut vivre avec notre temps ».

Et quand on dit que des poètes célèbres tels que Pablo Neruda, Rafael Alberti et d’autres parlent très bien de sa poésie, sa réponse est « Ma poésie était quelque chose de nécessaire pour appeler aux portes du monde, pour réveiller ceux qui dormaient. Les matériaux dont je disposais pour construire mes poèmes étaient, d’une part, la douleur de mes camarades, et de l’autre, leur dignité, qui était le plus important pour moi ».

Sa devise : « Vivre pour les autres est la meilleure manière de vivre pour soi-même » reflète toute la personnalité de Marcos Ana
Un bon conseil donc, ne manquez surtout pas cette opportunité qui vous est offerte par le Parti communiste d’Espagne/Izquierda Unida (Luxembourg), avec le soutien d’ABIL et AREL, de rencontrer Marcos Ana, aujourd’hui au Salon du Livre et des Cultures, à LuxEpo, Luxembourg-Kirchberg. Au programme il y a, à 15h30, la rencontre de Marcos Ana avec le public (premier étage) avec interprétation simultanée ES-FR-ES et, à 17h15, Marcos Ana dédicacera son livre dans le stand latino, du Salon du Livre et des Cultures.

(*) Julián Grimau, né à Madrid en 1911, adhère au PCE au début de la guerre civile. Après la défaite, il s’exile en Amérique latine. De retour en Espagne, où il vit dans la clandestinité, il devient en 1959 responsable du PCE « à l’intérieur. En 1962, après son arrestation par la Brigade politico-sociale, il est torturé et défenestré. Ayant échappé à la mort, un procès a lieu à l’issue duquel il est condamné à mort. Malgré le fait que son cas ait fait l’objet d’une grande attention de la part de la presse internationale, malgré que de nombreuses manifestations aient eu lieu dans différentes capitales d’Europe et d’Amérique latine et que plus de 800.000 télégrammes, demandant l’arrêt de ce qui était considéré comme une « farce judiciaire », soient parvenus à Madrid, il a été fusillé par le régime franquiste.

Ivano Iogma Prat