Maryse Linster, Serge Koch, et Jutta Mewes
hantent jusqu’au 29 janvier 2012 le château de Bourglinster
Enfin, hanter, c’est une façon de parler, et si l’on peut qualifier Bourglinster de château hanté, ce n’est certes pas par un fantôme, mais par l’esprit, l’esprit de l’art, bien sûr, qui y plane bien au-dessus du restaurant La Distillerie et de la brasserie Côté Cour, qui occupent les étages inférieurs et tout le site Internet du château. Nous nous intéressons aujourd’hui en fait au deuxième étage de la vénérable bâtisse, où je découvris déjà en décembre 2007 les salles « Zitzwitz », « du milieu » et « Metzenhausen ». Investi à l’époque par les toiles de Michèle Frank et les sculptures de René Wiroth, cet espace féerique m’apparut comme rêvé pour enchanter le visiteur et permettre à l’amateur d’art de contempler les oeuvres exposées. Rebelote quatre ans plus tard. Sauf que cette fois, les artistes sont au nombre de trois et que j’eus la chance de les rencontrer en personne ce samedi 10 décembre 2011.
Intitulée « Trois dimensions », cette expo qui réunit la peinture de Jutta Mewes, les sculptures de Maryse Linster et les impressions digitales de Serge Koch, associe trois artistes dont la créativité prend des formes tellement différentes que les individualités dominent et que les genres ne s’y harmonisent pas vraiment. Par contre, aucun risque de s’y ennuyer. Les découvertes y sont nombreuses et les surprises assurées. N’est-ce pas pour cela que Serge s’est sagement cantonné à la salle « Zitzwitz », qu’il occupe quasi-entièrement, sans trop mélanger les effets de ses travaux à la joyeuse cacophonie organisée par Jutta et Maryse ? En effet, même ce qui est individuellement très valable ne s’assemble pas nécessairement avec bonheur ; là est le problème… qui me donne d’ailleurs une bonne raison d’examiner individuellement le travail de nos trois exposants. Et c’est les tableaux de
Jutta Mewes,
qui nous frappent dès notre accès à l’expo. Sa peinture en général abstraite, ponctuée de rares éléments figuratifs stylisés qui peuvent rappeler ci ou là les silhouettes de Raymond Weiland, se disperse aujourd’hui en un chatoyant feu d’artifice polychrome sans véritable fil conducteur. Notez, bon nombre d’oeuvres de qualité émergent de cette sarabande ; sauf qu’elles ne parviennent pas à certifier seules du talent de cette excellente artiste, dont la galerie virtuelle du site www.jutta-mewes.de/ illustre mieux les capacités. Je pense – ce n’est que mon avis, et le vôtre sera peut-être différent – que le grand nombre d’oeuvres exposées (25) la dessert. Une sélection plus rigoureuse lui eût mieux permis de faire valoir ses indiscutables qualités de coloriste et son remarquable talent de juxtaposition eurythmique des plans et aplats, dont l’interaction développe dans plusieurs de ses tableaux des harmonies quasi-musicales.
Jutta Mewes dirige depuis 1993 un atelier d’étudiants et de jeunes à Dortmund, sa ville natale. En outre, après 4 années d’études (1991-95) à l’École de peinture Assenza auprès de l’Association universitaire Novalis à Dortmund et Kamp-Lintfort chez Andreas Durrer und Greet Helsen, elle a été diplômée en peinture et pédagogie de la peinture. À ce jour elle a déjà exposé deux douzaines de fois, surtout en Allemagne, mais était aussi déjà présente en 2010 au Musée européen Schengen, ce qui lui a sans doute permis de remarquer que le Luxembourg n’est pas très éloigné de Dortmund. Espérons donc que le public luxembourgeois lui fera bon accueil à Bourglinster, et qu’elle aura envie de revenir souvent au Grand-duché nous faire profiter du meilleur de son art. De son côté, sa co-exposante
Maryse Linster
a fait aujourd’hui le choix de la sobriété. Sobriété chromatique d’abord : ses sculptures s’en tiennent en général aux blancs et aux gris ; formelle ensuite : à l’exception de trois minces colonnes blanches en porcelaine et paperclay (1), une pléthore de petites sculptures anthropomorphes hyperstylisées. Il est hélas impossible de se faire une idée de ce dont est capable cette sculptrice émérite au seul vu de ces statuettes pouvant rappeler à des moaïs revus par Brancusi. Prises une par une, leur élégance, leur finesse et l’admirable harmonie de leurs proportions ne peuvent qu’enchanter l’amateur de sculpture contemporaine que je suis, mais leur multiplication quasi-répétitive ne favorise guère la mise en valeur de l’artefact en soi. Il faudrait donc, ami lecteur, que vous vous concentriez exclusivement sur l’une ou l’autre de ces oeuvres d’art pour être en mesure d’en saisir toute la beauté et le parfait équilibre de ses formes.
Née au Luxembourg, Maryse Linster, sculptrice, surtout céramiste, mais travaillant aussi d’autres matériaux, a étudié de 1983 à 1993 en Italie, en Suisse, en Autriche, en Australie et en France. Artiste indépendante jusqu’en 2001, elle prend alors la direction de l’Atelier de poterie céramique pour handicapés, Ligue HMC, à Capellen et vit depuis 2007 à Perl-Hellendorf en Sarre. Maryse est déjà bien connue pour de splendides installations comme « La beauté du silence » au T.E.M. de Goviller, ou des sculptures d’extérieur comme « On Visit Back Home » en chêne sur fer et tapis laqué rouge à l’occasion du projet « Gipfelkunst am Schaumberg » à Tholey (Sarre). Et que dire de sa géniale série de récipients aux caractéristiques sonores particulières, ouvertes à l’exploration musicale des musiciens Guy Frisch et Roby Steinmetzer et unissant la musique à la poterie en une performance originale ? De plus, elle a déjà exposé dans de nombreuses galeries en France, en Allemagne et au Luxembourg. Une artiste à découvrir !
Serge Koch,
lui, nous présente douze tirages monochromes du plus bel effet, dont le procédé de composition aussi complexe que mystérieux ne nécessite d’autre justification que la perfection du résultat. (2) L’artiste parvient en effet à nous présenter des féeries graphiques, où l’abstraction laisse parfois la place à des notes surréalistes, mais surtout à l’imagination du spectateur qui en devient nécessairement le coauteur. Aussi est-ce grâce à cette fascinante complicité que naissent de chaque tableau autant d’oeuvres qu’il y aura d’yeux pour les contempler et tenter de pénétrer leur mystère… Et autant d’oreilles, intérieures, bien sûr, car, autant les six créations de sa série Jungle, que les six de sa série Sound of nature, ne manqueront pas d’évoquer au visiteur sensible des mélodies qui remonteront, irrésistibles, du fin fond de sa mémoire musicale. La mienne m’a évoqué le Peer Gynt de Grieg et le Clair de lune de Debussy. Qu’en sera-t-il de la vôtre, amis lecteurs ?
Que dire de plus sur Serge Koch, ce talentueux autodidacte, que je n’aie déjà écrit et que les fidèles de notre Zeitung n’aient déjà lu ? Touche-à-tout – peinture, photo, gravure, dessin, poésie et j’en passe – c’est surtout à la création sur ordinateur qu’il s’est consacré ces derniers temps. Comme il m’est impossible de reprendre dans cet article sur une expo collective ne fût ce que l’essentiel de son parcours d’une richesse inouïe, je vous suggère instamment de visiter sont très beau site richement détaillé www.sergekoch.com/. De plus, mes trois derniers articles parus dans ces colonnes sur cet artiste, dont je suis depuis trois lustres l’éruptivité créative et quelques-unes de ses innombrables expositions, peuvent également être lus sur Internet. (3) Une fois de plus : à ne manquer sous aucun prétexte !
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1) Le paperclay (terre-papier ou argile cellulosique) est obtenu en préparant une argile à modeler avec des fibres de cellulose provenant des végétaux défibrés d’une pâte à papier.
2) On peut esquisser en gros son présent travail comme basé sur ses propres photos, gravures, dessins et collages. Toutes ces créations peuvent être ensuite juxtaposées, superposées, mélangées et retouchées par divers procédés et enfin par ordinateur.
3) www.zlv.lu/spip/spip.php?article788 ; www.zlv.lu/spip/spip.php?article3411, www.zlv.lu/spip/spip.php?article4704.
Giulio-Enrico Pisani