Kultur

Des auteurs de chez nous

Leurs livres méritent notre attention

A travers l’absence et malgré sa présence je me sens seule, arrachée aux racines de ma propre vie.

Dans ces quelques vers de Danielle Hoffelt est exprimée toute l’essence du livre Mots à Maux, publié aux Editions Phi (Villa Hadir L-4620 Differdange/ www.phi.lu). L’absence déchire, invite la solitude, accueille la déchirure. Quand l’être aimé est présent, que malgré tout l’on ressent une absence qui dévore, alors l’amour n’est-il pas en fuite, en latence, en calvaire aussi ? Plus loin Danielle Hoffelt lance vers un ciel rempli d’un feuillage d’automne : Dans les affres de mon cœur / s’ouvre chaque jour / la brèche de ton nom // Il m’obsède / et son parfum m’oblige / à revenir ? La poétesse Danielle Hoffelt nous ouvre ainsi le silex de son âme, nous invite à voguer au gré de ses larmes, de ses sentiments, de ses ivresses aussi. L’amour est douleur, la vie est deuil. Le livre Mots à Maux est un merveilleux duo féminin : les poèmes sont de la plume de Danielle Hoffelt, tandis que les œuvres graphiques sont de Dany Dickes. Dany Dickes, professeur d’éducation artistique dans plusieurs lycées, met en scène des femmes, la femme, des aisselles, des seins, des cuisses, de la tendresse, sans doute aussi de la détresse. Professeur de langue française, Danielle Hoffelt s’occupe également d’animation théâtrale au Lycée où elle enseigne. Comme un espoir inutile / mais sa voix devient celle du passé / il ne suffit plus / d’accueillir / le souvenir / à bras ouverts.

Le parcours professionnel de Petra Marion Kunschert, née en 1961 à Frankfurt/Main, est émaillé de diverses activités, liées à l’art (photographe publicitaire) et aux lettres (enseignante de langue allemande en entreprises), pour finalement aboutir dans un secteur nettement moins créatif, celui de la finance. Le sujet du nouveau roman de Petra Marion Kunschert est à la fois délicat, sensible, difficile, tabou. Da sein est le titre de ce roman fort, publié aux Editions Guy Binsfeld (www. editionsguybinsfeld.lu). Etre là pour l’être aimé qui s’en va, être là pour que la souffrance soit moins omniprésente, pour que la séparation définitive se transforme en quelque chose de naturel. La mort est l’aboutissement final de toute vie. Eva Simon accompagne sa maman, victime d’une maladie dont elle ne se relèvera plus. Confrontée à cette chose innommable, elle apprend à lâcher prise, elle apprend à survivre aux angoisses qui la poursuivent nuit et jour, elle devient un soutien pour sa maman, afin que celle-ci supporte mieux ses angoisses et ses peurs. Dans son roman Da sein, Petra Marion Kun-schert rend également un vibrant hommage à ceux et à celles qui travaillent, avec dévouement, dans ces établissements où rôdent en permanence la mort, la séparation, le deuil.

André Hausmann, né en 1920, est l’auteur d’un très émouvant roman qu’il a dédié à sa regrettée épouse Catherine Bouchard, publié aux Editions Revue (www.revue.lu) sous le titre Krieg… Liebe… Untergrund. La vie d’André Hausmann a été mouvementée. Après avoir fréquenté l’école primaire à Olingen, il a poursuivi ses études à l’athénée pour finalement débuter sa carrière d’instituteur à Dillingen. En 1941 il fut contraint au Reichsarbeitsdienst à Brahnau, en Pologne. Dès après la fin de la guerre et jusqu’en 1981, il a enseigné à Eischen. Membre fondateur de l’Amipéras, durant des années président de la Seniorenakademie RBS d’Itzig, l’auteur est encore aujourd’hui impliqué dans les questions concernant le bien-être des personnes âgées. Son roman Krieg… Liebe… Untergrund nous invite à nous pencher sur une relation amoureuse durant l’éprouvante période de l’occupation allemande. Ce roman est d’autant plus fascinant que l’auteur a connu et vécu bien des tragédies pendant ces tristes années. La première partie du texte a été rédigée il y a maintenant soixante-dix ans, plus exactement de décembre 1943 à septembre 1944, période durant laquelle André Hausmann vécut comme réfractaire à Noerdange. Voici un roman qui devrait figurer au programme des lectures de nos lycées.

Moi-même fils d’enrôlé de force, j’ai été interpellé par le formidable livre de Nathalie Ronvaux, publié aux Editions Phi (www.phi.lu) sous le titre La liberté meurt chaque jour au bout d’une corde. Cette intelligente publication contient des œuvres d’artistes qui rehaussent le livre de sortes de dires et de cris picturaux : Chantal Baldauff, Jean-Marie Biwer, Robert Brandy, Simone Dietz, Serge Ecker, Jean-Jacques Laigre, Sandrine Rongvaux, Rico Sequeira. Les peintures, les œuvres picturales, utilisant diverses techniques, qui émaillent la publication, sont d’authentiques souffles, des dénonciations, des appels à la tolérance aussi. Cet ouvrage de mémoire, en plus de texte, de poèmes, propose des contributions disant les contextes historiques de l’enrôlement forcé, rédigés par Steve Kayser, directeur du Centre de documentation et de recherche sur l’enrôlement forcé (Ancienne gare de Hollerich 3a, rue de la Déportation L-1415 Luxembourg Tél. 247.88.191/ Fax : 248.73.043 info@secondeguerremondia le.public.lu/ www.seconde guerremondiale.public.lu). Steve Kayser exprime l’enrôlement forcé comme suit :

Enrôlés de force, morts pour la patrie et courage civil : Dès le 30 août 1942, les Luxembourgeois, hommes et femmes, nés entre 1920 et 1924, et puis successivement 1925, 1926 et 1927 sont astreints au service militaire obligatoire dans les armées allemandes. Pour 13.825 jeunes gens, c’est le début de l’enrôlement forcé. En même temps les nazis leur octroient la nationalité allemande. 2.906 ne revoient pas leur patrie : tués dans les combats, disparus dans les champs de bataille, assassinés ou exécutés. Plus de 3.000 enrôlés de force subissent des dommages corporels. 3.500 hommes, réfractaires ou déserteurs, choisissent de se dérober au service militaire. Pour se cacher, ils sont aidés par des citoyens courageux. Certains rejoignent les maquisards français ou belges, d’autres s’engagent dans les rangs des forces armées alliées. Leurs familles risquent la transplantation vers l’Est sur Reich (Umsiedlung). En tout 4.200 personnes sont ainsi expropriées et déplacées contre leur gré.

Cédons maintenant la voix à Nathalie Ronvaux, avec 3 poèmes Villa Pauly : Dans les bureaux / et les caves / la torture / et les cris. // Les larmes / ne quittent plus / les mémoires.

Ecorchure de l’humanité : Ecorchure de l’humanité née dans une flamme éternelle de l’enfer, reconcentration. Juché sur un mirador, l’abomination est un maître d’armes alléché par la chair noire et les veines froides. Tandis que les barbelés observent les danses macabres, les sentiers sont les témoins impassibles des cris furtifs assommés par la terreur. La chambre funéraire décompose les insignes, le silence et les numéros.
Evasion aux portes de l’enfer : Aux portes / de l’enfer / chacune / de vos lettres / est une évasion réussie. // Friandises / cigarettes / et savons / sont un / trésor d’humanité. Aujourd’hui est un autre jour, mais d’année en année, de décennie en décennie, l’humain est à l’origine de nouvelles dérives, de nouvelles meurtrissures, de nouvelles manifestations de l’extrême droite. Il est super grand temps que cela cesse !

C’est aux Editions Revue (www.revue.lu) que Lex Roth vient de publier, illustré par Tomislav Findrik, De Grof Sigfrid an d’Melusina. Voici une superbe légende qui naquît au fond des âges, car vers 1390, Jean d’Arras, acheva son Roman de Mélusine, dédié à Jean de Berry, seigneur de Lusignan, en Poitou, France. Notre Mélusine, ou Melusina, la luxembourgeoise, est une parente de la française. Cette créature de grande beauté est une fée à même de prendre l’apparence d’une très jolie femme. Mélusina est représentée torse nu, avec de magnifiques et longs cheveux d’un blond puissant, ainsi qu’une queue de serpent ou de poisson, suivant les régions. Il arrive qu’on la pourvoie d’ailes de chauve-souris. Si en France et ailleurs, Mélusine est une légende à part entière, l’histoire de notre Mélusina est un magnifique mélange de figure légendaire et de réalités historiques du Moyen-âge. Lex Roth propose une version en vers, très agréable à lire.

Sublime, succulent, truculent, fétide, dérangeant, explosif, savoureux, il a été édité pour le plus grand plaisir des uns et des autres, ce dictionnaire décidément pas comme les autres, de Guy Rewenig, publié chez Ultimomondo (www.umo.lu) : Häwwi ! Lëtzebuerger Leckzikon. Au fil des pages, je me suis bidonné comme rarement, c’est dire la verve sarcastique et critique, mordante et caustique de l’auteur à l’imagination débridée. Guy Rewenig je garde bien précieusement votre Leckzikon à portée de main. Quelques exemples : « Affär » : 1) gutt Geschäft. Meng Schwéiesch ass eng fäin Affär : dat Meedchen ass e liewege Banksafe. 2) Säitespronk. D’LSAP huet eng Affär mat der CSV : déi Rout gi schwaarz vun de Pafe gebiischt 3) Skandal. D’Affär Bommeleeër stett kuerz virun der Opklärung : de Prokürör léisst deemnächts eng Bomm platzen (wann hie se net vertässelt huet). « Parasittamol » : Medikament géint zevill e schaarft Gewëssen, immuniséiert de Verstand. Ass zu Lëtzebuerg deen heefegste farmazeuteschen Artikel !

J’ai lu en une soirée le récit de Nico Brettner, Eng Hacker Ge-schicht, publié chez Saint Paul (www.editions.lu), l’intrigue sur fond véridique étant menée avec intelligence et beaucoup de conviction. Avec son livre l’auteur ne se veut pas alarmiste, mais alarmant, car les situations qu’il met en scène sont tout à fait plausibles et malheureusement personne, ni adulte, ni senior et encore moins les enfants, n’est à l’abri de personnes, qui à travers internet et les plates formes sociales, fomentent des plans criminels et odieux. Victimes et autres personnages, situations, sont campés avec beaucoup de réalisme. Je ne puis que conseiller vivement la lecture de ce livre qui est une invitation à la prudence.

Corina Ciocârlie, critique littéraire, coordinatrice du supplément livres d’un quotidien luxembourgeois, a rassemblé les textes d’auteurs de différentes cultures et de différents horizons, afin d’illustrer, dans une des principales langues du Grand-Duché, un moment important, voir crucial, de leur vie au Luxembourg, en rapport avec le « vivre ensemble ». En partage, le Luxembourg d’ici et d’ailleurs, publié dans la collection Aphinités aux Editions Phi (www.phi.lu) est un projet éditorial ayant bénéficié du soutien de la Ville de Luxembourg. D’intéressantes photos historiques mises à disposition par la Photothèque de la Ville de Luxembourg viennent illustrer les propos des auteurs. Je salue le propos acide et critique de Guy Rewenig, propos qui traverse son texte Bulantschääri ! Ein Schulmärchen. Dans Notre Italie, Jean Portante évoque son oncle qui si souvent disait « voilà notre Italie » en s’arrêtant devant des maisons, des immeubles, situés à Differdange, ou ailleurs dans le Minett. Portante conclut que ces maisons et/ou immeubles portent comme marque la sueur versée sur les briques ou les airs d’opéra sifflés dans le vent, des gouttes de sueur aujourd’hui évaporées et des notes de musique emportées par le vent. Pour le reste, estime Jean Portante, les mains du Sud ont tout construit comme si c’étaient des mains du Nord. Les autres participants à cette anthologie sont : Pierre Joris, Michèle Thoma, Gilles Ortlieb, Nico Helminger, Corina Ciocârlie, Hélène Tyrtoff, Tullio Forgiarini, Tom Nisse, Alexandra Fixmer, Ian de Toffoli.

J’ai fortement apprécié le très bel et émouvant ouvrage Liebe Jett, Feldpost eines Luxemburger Zwangsrekrutierten, de Nico Everling, publié chez Saint Paul (www. editions.lu). Ce livre est représentatif des souffrances endurées par tous ces garçons enrôlés de force dans la Wehrmacht, ainsi que des souffrances, des attentes, véritables cauchemars permanents vécus par les familles, par les petites amies… Que de vies brisées, lacérées, endeuillés, étouffées ! Avant tout aspect politique, il serait nécessaire d’analyser une guerre à l’aune de l’humain qui souffre, qui périt, qui gravit les échelons de la haine et de la violence. Nico Everling et son épouse Martine Dumont ont lu, parcouru, analysé des centaines de lettres, de photos et de documents, dans le but de rassembler la matière utile à la publication de cet ouvrage sensible et magnifique, à travers lequel sont mis en lumière deux victimes de la déportation, Louis et Henriette Everling, les parents de Nico. C’est seulement à l’âge de quatre ans que Nico Everling a vu son père pour la première fois, alors que celui-ci rentrait de captivité. Il est triste que l’enfant ait demandé à sa maman, parce qu’incapable d’identifier ce père si longtemps absent : « Mama, wien ass dee frieme Monni do ? Wéini geet en ërem fort ? ». Grâce à son minutieux et courageux travail, Nico Everling s’est réconcilié avec le destin cruel de son père, avec sa propre enfance. Henriette Everling, sa maman, avait soigneusement conservé plus de 400 lettres et documents. Cette publication est un vivant et vibrant témoignage pour les générations qui ont vécu de près ou de loin cette époque maudite, ainsi que pour les générations d’aujourd’hui. Le livre a été publié avec la collaboration de Steve Kayser du Centre de documentation et de recherche sur l’enrôlement forcé. Merci Nico Everling.

Michel Schroeder