Kultur19. Juni 2021

Beaux-arts : petite tournée des grands siècles

de Giulio-Enrico Pisani

Voyage dans le temps? En art tout est possible et ici il ne s’agit ni plus, ni moins, que de la dernière «nouveauté» offerte par le Musée Vauban (1) ou, plus précisément, par les personnes qui le dirigent, le gèrent, vous y reçoivent et, lors de visites organisées, vous guident. Authentique évasion hors de notre temps et de nos petites frontières (passeport Covid19 non requis), ce voyage consiste, après une pause de quatre mois pour cause travaux et réaménagement, il vaut – et c’est peu dire – largement le déplacement. Oui, car vous y attend une fantastique découverte ou redécouverte du musée, à travers une promenade définie par ses organisateurs

«Une promenade à travers l'art : Exposition permanente de peintures et sculptures européennes des 17e - 19e siècles».

Voilà qui ne pouvait manquer de m’intéresser, m’intriguer même par son titre! Le terme même d’«Exposition permanente», semble en effet qualifier le fondement, la colonne vertébrale du musée dont, contrairement aux expos temporaires, disons de passage, dont je suis un peu l’habitué, nous pourrons sauf imprévu retrouver les œuvres d’une saison à l’autre et une année après l’autre. Les expositions temporaires et d’autres activités culturelles se poursuivront bien entendu comme le passé. Mais ce trésor de base nous restera en permanence accessible et notamment à nos trésors à nous: nos enfants, ainsi qu’à tous ceux auxquels nous en recommanderons la découverte, sans risque qu’elle se soit entre-temps envolée vers d’autres horizons muséaux. Par conséquent, tous ce dont je vous parlerai ci-dessous et plus encore pourra toujours être retrouvé dans cette belle villa sise avec ses agrandissements au beau milieu du de parc de Luxembourg qui ceinture le centre de notre capitale avec tant de charme.

Mais revenons à votre (j’espère) future visite. Dès l’espace-réception, à droite en entrant, vous accédez à une première salle où, non averti, vous risqueriez d’être soufflé par le vague de fond picturale qui, l’air de jaillir de toutes les parois, vous submergera littéralement d’une symphonie d’images, formes et vues extraites des trois grands siècles de l’art européen. Gardez donc pied ferme et jouissez cette projection vidéo immersive assez renversante, qui vous plongera d’emblée dans l’ambiance, ici terre-à-terre, ailleurs enchanteresse, mais d’un grand naturel des oeuvres que vous découvrirez lors de votre promenade à travers cette riche galerie de portraits, paysages, intérieurs et autres sujets. Aussi ne vous étonnez pas trop d’en sortir vers la salle suivante légèrement sonné (dronken), en bon luxembourgeois). Mais ne vous en faites pas, car vous aurez désormais tout loisir d’affermir votre assise sur le sol bien stable et face aux nombreux chefs-d’oeuvre qui attendent, parfaitement immobiles, eux, votre visite pour s’animer à vos yeux. Quant à moi, n’ayant aucune raison d’enguirlander de ma méconnaissance des beaux-arts le texte que les experts du musée nous ont préparé, je leur cède la parole pour la visite proprement dite.

« Avec plus de 100 peintures et quatorze sculptures, l’exposition permanente à la Villa Vauban emmène le visiteur dans un parcours à travers trois siècles de création artistique: du 17e siècle néerlandais en passant par les endroits rêvés d’Italie jusqu’à la peinture française vers le milieu du 19e siècle. Outre les styles et les époques avec de nombreux chefs-d’oeuvre, l’exposition permet de découvrir les petits formats et miniatures ainsi qu’une spectaculaire salle dédiée aux acquisitions de Jean-Pierre Pescatore, donateur et bienfaiteur de la Ville, lors de la vente aux enchères des oeuvres en possession du roi Guillaume II des Pays-Bas en 1850.

Car les bases des collections d’art de la Ville de Luxembourg ont été posées au 19e siècle sous la forme de trois donations: en 1855 celle de Jean-Pierre Pescatore, financier à Paris, en 1878 celle de Léon Lippmann, banquier à Amsterdam et en 1903 celle d’Eugénie Dutreux-Pescatore, héritière d’une famille d’industriels luxembourgeois. Ces ensembles, constitués majoritairement de peintures à l’huile, reflètent le désir de représentation de la grande bourgeoisie, ainsi que le caractère typiquement éclectique de leurs collections.

Parmi les oeuvres néerlandaises du 17e siècle, le visiteur rencontre des paysages, portraits, scènes de genre ou natures mortes entre autres de Jan Brueghel le Jeune, Gerrit Dou, Jan van Goyen, Adam Pynacker, David Teniers le Jeune, Jacob van Ruisdael, Adriaen van de Velde et Philips Wouwerman. Parmi les petits formats, se démarquent les portraits de Frans Pourbus le Jeune et Jean Louis Ernest Meissonier. Dans la salle dédiée aux sujets italiens, de beaux marbres de Lorenzo Nencini et deux superbes vedute vénitiennes du Canaletto attendent les visiteurs, de même que les «Jeunes napolitaines» par Guillaume Bodinier ou un paysage près de Sorrente peint par Oswald Achenbach. L’art français du 19e est représenté par le «Jeune Turc» d’Eugène Delacroix, un portrait rêveur de William Adolphe Bouguereau et des paysages de Camille Corot, Jules Dupré ou Gustave Courbet. Les grands formats en provenance de la collection royale néerlandaise sont dominés par «La fête des Rois» de Jan Steen et «Les joies d’une mère» de Paul Delaroche. S’y ajoutent en fin de parcours, une salle accueillant des accrochages temporaires et une dernière consacrée aux marines du XIXe siècle, avec une remarquable scène de plage d’Eugène Isabey.

Parmi les oeuvres qui m’ont le plus touché, je vous signale d’abord «La fête des Rois» de Jan Steen, que le musée présente par ailleurs en ligne dans une vidéo didactique (2). Tableau d’intérieur d’une famille petite-bourgeoise ou paysanne sur son 31 toutes-générations réunies fêtant l’épiphanie dans une magnifique salle à manger en cherchant la fève, ses teintes chaudes, ses objets et décors communs, le réel des choses et la vitalité des personnes vous invitent à y entrer et participer à la réunion. Autre fête pour nos yeux et particulièrement pour ma mémoire native: deux beautés italiques intemporelles (sœurs? amies?), l’une toute douceur langoureuse, comme soumise, l’autre – couronnée – défiant le destin et la force brute du volcan (le mâle?) sur fond de Vésuve, le tableau «Jeunes napolitaines» de Guillaume Bodinier.

Et comment ne pas rester émerveillé face au «Jeune Turc» d’Eugène Delacroix? Oeuvre impressionniste avant l’heure, il impressionne non seulement par sa beauté puissante et tranquille, mais aussi par cette force symbiotique vitale qui unit les héros de la scène ici le jeune homme et le cheval caractéristique de ce grand maître. Ceci dit, l’espace me manquant pour vous détailler tous mes coups de cœur, je me conterai de vous citer l’«Allée d'ormes» de Joseph Thors, le «Lac-Genève» d’Alexandre Calame. Sans oublier«Les joies d’une mère» de Paul Delaroche, dont le coté un peu naïf-chromo est largement racheté par sa vibrante fraîcheur et l’immense impression de douceur qui s’en dégage. Ensuite, parmi les sculptures toutes ravissantes –, ma préférence allant plutôt aux groupes, je vous recommande particulièrement de ne pas faire l’affront du «Vous qui passez sans me voir» en ignorant le sublime marbre que forment le «Daphnis et Chloé» de John-Étienne Chaponnière. Bonne visite!

1) Musée d’art de la ville de Luxembourg, Villa Vauban, 18 Avenue Emile Reuter. Fermé le mardi, ouvert vendredi, de 10 à 21 heures et tous les autres jours de 10 à 18 heures.

2) https://villavauban.lu/visiter-le-musee/villa-noel/la-fete-des-rois/