Thil, four crématoire à 4 km
Un panneau de mémoire qui n’a fait « trébucher » le regard de personne...
L’histoire, la petite, remonte à quelques années en arrière, lorsque intrigué depuis un certain temps déjà par un panneau de signalisation sous lequel nous passions à chaque fois que nous allions aux croissants ou chercher l’Equipe – bien moins chère à Audun soit dit en passant – nous décidions de nous arrêter devant l’immeuble sur lequel la dite plaque était apposée.
Il faut dire que l’occasion s’y prêta, vu que la façade de la maison à faux colombages de construction allemande, abritant jadis l’épicerie Trausch et coiffée d’une tourelle, se trouvant au tout premier croisement venant d’Esch à l’intersection de l’avenue Napoléon 1 et de la rue de la gare, était en train d’être refaite et sa façade repeinte en... rose.
Sur notre insistance, le nouveau propriétaire, une boulanger-pâtissière, venant de s’installer au rez-de-chaussée, n’ayant que faire de cette enseigne désuète dont la portée lui échappait de la même façon dont elle avait pu échapper à tous ceux qui au cours de tant d’années avaient pu passer à côté sans y prêter garde, daigna la décrocher et à nous en faire cadeau.
La plaque en acier émaillé que je tenais dans les mains, fut avec ses 30 cm sur 60, à peu près de même dimension que les panneaux usuels de rue, mais véhiculait un message bien moins innocent et autrement plus équivoque.
Sur un fond blanc jaunâtre et de fines lettres noires agrémentées d’une longue flèche, la plaque libellée : « Thil-Four crématoire-4 kil. »... avait con-tinué à indiquer le chemin le plus court à prendre pour rejoindre la localité de Thil via Villerupt et son ancien camp de concentration dont beaucoup de gens des deux côtés de la frontière continuent encore de nos jours à ignorer l’existence ! Notre premier réflexe fut de penser un peu vite, j’en conviens, qu’il fut accroché à ce pan de mur par les envahisseurs allemands au cours de la deuxième guerre mondiale.
Aucun rapport avec le camp ?, détrompez-vous !
Ce qui paraît étonnant, voire choquant, c’est que cet écriteau ayant pignon sur rue ait pu se maintenir un demi- siècle après le départ des nazis de « Deutsch-Oth » sans que personne se soit posé la question quant à ses origines. Ceci nous paraît au bas mot une gaffe et la preuve d’un flagrant manque de sensibilité de la part des élus-locaux d’alors que d’avoir été assez indifférent et superficiel pour laisser là, non pas en souvenir mais au tout premier degré et à la vue de tous un écriteau au message plus que douteux nous ayant quant à nous de suite fait froid dans le dos !
Et dire que pendant toutes ces années, des milliers d’automobilistes et de passants sont passés à ce carrefour stratégique sans lever le regard et sans rien voir – comme jadis, serait-on tenté de dire... alors qu’il aurait dû leur sauter aux yeux, sans trop se poser de questions quant à l’information donnée par cet inquiétant vestige du passé dont le signifié n’est heureusement plus d’actualité. Le but de ma démarche fut double, de l’un, empêcher que cette plaque à la fois visible mais ignorée voire oubliée, ne parte à la ferraille et de l’autre qu’elle ne reste accrochée là telle quelle, continuant à véhiculer, au premier degré, sans explication aucune son message décalé de sinistre mémoire, alors qu’une note explicative du genre « passant souviens-toi », à l’instar des pierres de mémoire installées récemment à Esch sur le pas de la porte des maisons d’où furent raflés et déportés à jamais des citoyens juifs eschois, aurait dû la placer dans son contexte historique si on avait voulu la laisser à l’endroit ! Mû par ces sentiments mêlés, je me suis permis en tant que frontalier francophile d’intervenir en territoire amie et de récupérer cette relique de l’occupation n’en déplaise aux locaux, d’habitude bien plus prompts à réagir et pourtant connus pour leur sens critique en général autrement plus développé que celui de mes compatriotes.... Après réflexion c’est au musée de la Résistance de la Ville d’Esch, lui-même jumelé à celui de Thil, que quelques dix ans après son décrochage, je me proposais de remettre le pannonceau en question pour qu’il y soit exposé enfin à un public averti ! Prudents car n’étant pas entièrement convaincus par ma théorie intuitive quant aux origines de la plaque et confortés dans leur scepticisme par le fait que le texte y figurant fut non pas écrit en allemand mais en français, ils refusèrent mon offre en me conseillant de la faire expertiser au préalable par les historiens du mémorial de Natzweiler pour un supplément d’enquête, à défaut de rencontrer un ancien du coin pouvant nous en dire plus... jusque là le panneau de mauvaise direction risquant de garder sa part de mystère malgré mon intime conviction qu’il fut en rapport direct avec le camp de concentration nazi dont il indiquait le chemin ! Néanmoins et à bien y réfléchir leur argumentation, comme quoi les « schleus » ne l’auraient pas rédigé en français - il n’y a qu’à voir le nombre effarant de panneaux de signalisation, effectivement tous « auf deutsch » qu’ils avaient planté un peu partout à Paris - semble fondée tout comme le fait qu’ils tenaient à garder l’emplacement voire l’existence même du camp caché et secret...
Un panneau énigmatique...
D’un autre côté et s’il ne servait plus à brûler les cadavres des supplicié(e)s après avoir au préalable servi à incinérer ceux des bestiaux, à quoi pouvait-il bien continuer à servir à Thil ce « Crématoire à 4 km » pour justifier dans l’immédiat après guerre la confection d’une plaque émaillée et son accrochage public- à retardement - aidant à le localiser...!? Admettons qu’il ne soit effectivement pas l’oeuvre des allemands, on n’en serait alors pas moins curieux de connaître sa vraie histoire et d’apprendre sur ordre de qui et à quels fins ce panneau s’est trouvé là dans un premier temps et puis « oublié à la vue de tous ».. pouvant se maintenir là en continuant à véhiculer son message ambigu à la sinistre connotation en temps de paix par delà les années et cela jusqu’au débuts des années 90...!?
Dans un cas comme dans l’autre cette étrange relique pour moi nullement innocente, mériterait à notre humble avis de trouver sa place dans un musée et ne serait ce que dans le département réservé aux curiosités...historiques
P.S. : Le camp de Thil dépendant de celui du Struthof, niché dans un vallon à l’abri des regards à la sortie de Thil en direction du plateau de Rédange, fut relié à la ligne de chemin de fer, en dessous du pont de laquelle il fallait passer pour y accéder et se composait d’une dizaine de baraques abritant une centaine de prisonniers dont plusieurs luxembourgeois. Transférés de Peenemunde bombardée par les Alliés, ceux-ci durent travailler sous terre non pas à extraire le minerai mais à monter des V1 ainsi préservés des raids aériens. Quant au four crématoire, d’abord installé à Audun et servant à brûler des cadavres animaliers, il fut ensuite transféré pour les besoins de la cause nazie à Thil où il permit d’incinérer les corps exsangues des prisonniers morts d’épuisement et de maltraitance ! A noter que les fabricants parisiens du four en question ont tenu après guerre à se démarquer très officiellement de sa réaffectation voire de l’ignoble usage qui en avait été fait par les nazis et qu’ils ne pouvaient de ce fait en être tenus pour responsables ; ce document pouvant être consulté se trouvant dans la nécropole du camp, ouvert au public sur demande auprès de la mairie de Thil.
Guy van Hulle