Religion : mort, mensonges et manipulation ! – Remède : une laïcité universelle
C’est un article(1) de notre ami et correspondant Joseph Welter dans notre bonne vieille Zeitung vum Lëtzebuerger Vollek de ce 30 juillet, qui m’a arraché à l’une de ces inerties scripturales qui m’accablent devant des sujets censés vous intéresser, mais que j’ignore par quel bout prendre. « Et pourquoi pas par le commencement ? », me suggèrerait monsieur Lapalisse. Et Jean l’évangéliste(2) d’en rajouter, en écrivant que « Au commencement était la parole ». Normal de la part d’un dispensateur de bonne parole ! Non ? Vous en connaissez beaucoup de chasseurs qui n’affirmeraient pas en toute bonne foi que « Au commencement était la chasse » ? Mais revenons à nos moutons. Qu’est-ce que la religion ? J’entends au sens général du terme, commun à toutes les religions connues et créées par les êtres humains dès l’apparition de leurs premiers questionnements existentiels irrésolus. Avant de découvrir pourquoi l’humanité tout-entière a, quasiment depuis ses origines, presque toujours ressenti le besoin de se donner des religions, commençons par élucider un paradoxe. C’est à dire que nous essaierons de comprendre, en quoi ce qui à tout humain sensé apparaîtrait comme une aberration débile a semblé nécessaire voire indispensable à la majorité des humains dès les premières civilisations. Lisons donc la réponse de Karl Marx. Étonnamment, eu égard à la complicité entre clergés et puissants à son époque, ce philosophe et immense humaniste du 19ème siècle fit preuve d’une bonne dose d’indulgence et d’une profonde compréhension pour le désarroi d’une humanité souffrante. Aussi, loin de condamner à priori le phénomène religieux, affirma-t-il :
« La détresse religieuse est pour une part l’expression d’une vraie détresse et pour une autre la protestation contre cette détresse réelle.
La religion est le soupir de la créature opprimée, l’âme d’un monde sans cœur, comme elle est l’esprit des conditions sociales d’où l’esprit est exclu.
Elle est l’opium du peuple »...(3)
Pas seulement, bien sûr... En effet, sa seconde phrase s’applique surtout, mais non exclusivement, au prolétariat écrasé sous le joug du premier capitalisme occidental triomphant. Cependant, telle qu’elle dut être conçue des dizaines de milliers d’années auparavant par des êtres en plein désarroi, la religion est surtout définie par la première et la dernière phrase de cette pensée de Marx. Aussi, moins d’un siècle plus tard, Albert Einstein l’élargit dans ses « Réflexions »(4), en précisant :
« La peur était pour l’homme primitif à la base de sa démarche religieuse, la peur de la faim, des bêtes sauvages, de la maladie, de la mort. Comme à cette époque la compréhension des liens de causalité était peu développée, l’esprit humain créait des êtres fictifs plus ou moins analogues à lui-même, et dont la volonté et les gestes étaient censés être à l’origine des expériences douloureuses de chacun ».
Mais au fil des millénaires, qui ont mené l’homo soi-disant sapiens-sapiens, à compter parmi les membres de son espèce Bouddha, Socrate, Galilée, Descartes, Kant, Marx, Gandhi ou autres Einstein, les religions eussent pu cesser d’être cet outil de secours illusoire, mais rassurant, pour les masses crédules.(5) Malgré cela, celles-ci continuent aujourd’hui à s’accrocher désespérément à ces tristes bouées qui ont pourtant perdu peu à peu leur raison première d’éclairage de substitution à une raison encore rudimentaire, pour devenir trop souvent des hydres mortifères. Cela est d’ailleurs autant dû à l’incroyable prolixité de clergés pléthoriques, parasitaires et bonimenteurs(6) (prêtres, popes, pasteurs, imams, bonzes, brâhmanes, chamanes, sorciers et autres vendeurs d’illusions) qu’à l’aberrante crédulité des masses.
En fait, cette crédulité, qui est loin d’être synonyme de bêtise en soi, est plutôt le résultat d’une incroyable paresse intellectuelle et d’une absence d’esprit d’analyse critique de la majorité des gens, trop portés à croire ce qu’on leur raconte le plus souvent et avec plus de force. Cette évidence connue depuis l’antiquité, les Nazis l’avaient non seulement comprise, mais énoncée et appliquée avec brio. Adolf Hitler n’écrivit-il pas dans Mein Kampf qu’« un mensonge répété dix fois reste un mensonge ; répété dix mille fois il devient une vérité » ? Et Joseph Goebbels, son ministre de la propagande d’ajouter que « Plus le mensonge est gros, mieux il passe ». Ainsi, ces salopards appliquaient, après l’avoir critiqué, un axiome fondamental qui permit aux religions d’asseoir leur pouvoir sur l’humanité en transformant ce qui était au départ un pieux mensonge, que l’ignorance humaine primitive rendait excusable, en ce qui allait devenir la plus immense arnaque de tous les temps.
Quoi qu’il en soit, on pourrait tout de même imaginer vivre avec ces fables un peu comme avec cette sorte de pieux mensonge qui rend un conjoint heureux de la fidélité de sa partenaire tant qu’il ignore ses frasques. Mais cela ne se passe hélas pas ainsi, et nous voyons tous azimuts que, devenues de plus en plus souvent outils de puissance et de domination, les religions ne se contentent pas d’être de doux et inoffensifs placébos. Elles furent d’abord utilisées un peu partout par des castes avides de puissance et usant de l’influence « spirituelle » de leurs mensonges sur les masses pour les dominer et les exploiter. S’associant plus qu’à leur tour avec la puissance guerrière et politique, ces cliques ne reculèrent souvent devant aucune barbarie, torture, tyrannie, voire aucun meurtre ou hécatombe pour affirmer et asseoir leur pouvoir. L’histoire nous a transmis d’innombrables horreurs, oeuvre de religions archaïques ou barbares, mais aucune d’elles ne semble avoir atteint l’abomination de la tyrannie chrétienne entre les 3ème et 18ème siècles de notre ère, et cela, qu’elle fût byzantine, orthodoxe, surtout catholique, mais, ici et là, aussi protestante).
Forcée par le développement des idées humanistes du 19ème siècle à mettre la pédale douce, l’église catholique réduisit peu à peu ses recours à une violence qu’elle dispensa toutefois encore un certain temps aux colonies. Se résignant finalement au 20ème siècle à emprunter la voie politique tout en tablant sur l’endoctrinement, elle finit par atteindre l’air quasi-inoffensif et bon enfant qu’elle se donne aujourd’hui tout en continuant la diffusion de ces pieux mensonges qui lui permettent de conserver autorité et privilèges grâce à l’ignorance qu’elle encourage urbi et orbi. Reconnaissons cependant qu’il y a eu de tout temps nombre de chrétiens qui n’ont ni approuvé, ni se sont rendus complices de ces dérives. Mais soit qu’ils fussent trop minoritaires, soit insuffisamment engagés pour les empêcher, ils n’ont été capables de ramener leur église à prêcher exclusivement paix, concorde, tolérance, voire oeucuménisme, que fort récemment. Malheureusement – simple coïncidence ou processus historique compensatoire, va savoir ! – au fur et à mesure que l’église catholique s’évertuait de revenir au message d’amour et de tolérance du fondateur, ne laissant traîner que des groupes intégristes mineurs, l’islam continua non seulement à s’étendre, mais à se radicaliser. De leur côté, deux religions comme l’hindouisme et le bouddhisme(7), fondamentalement tolérantes et non-violentes, se mirent à emprunter la même voie en intégrant des théories élitaires, racistes et nationalistes. Exemples : persécution des Rohingya musulmans par les bouddhistes (moines compris) en Birmanie et radicalisation de la société en Inde contre les minorités musulmanes et chrétiennes, où les extrémistes d’Hindutva (indianité) veulent ramener l’Inde à son prétendument glorieux passé hindou(8) en éliminant toute autre croyance.
De nombreuses religions sont devenues aujourd’hui plus que jamais des instruments de domination politique et/ou spirituelle, d’exclusion, de discrimination et de haine en dépit de ceux de leurs adhérents pacifistes qui tentent d’en faire des instruments d’amour, solidarité, tolérance et compréhension. Cependant, même ceux-là ne parviennent pas à dissoudre le lien entre religion et mort initié dans le judéo-christiano-islamisme par les sacrifices d’Abel (d’animaux) et humains d’Abraham (d’Isaak) et de Yahvé (de Jésus) en passant par le massacre des Cananéens et autres joyeusetés. Et itou dans la majorité des religions, généralement aussi ensanglantées que naguère les escaliers des temples aztèques.
Certes, dans le cadre du droit à la liberté de pensée, toute croyance religieuse ou autre, même aberrante, est un droit humain ; mais l’imposer à autrui ne l’est pas. Étant donné les innombrables appels à la violence et au meurtre contenus dans la plupart des livres fondateurs des religions, tout comme leurs dérives et crimes historiques, récents et actuels (quand ce n’est pas l’une, c’est l’autre), leur pratique devrait être limitée à la sphère strictement personnelle et intime de tout-un-chacun. La moindre des choses serait par conséquent que toute nation se prétendant civilisée et pacifique déclare solennellement et dans le cadre de l’assemblée générale de l’ONU, qu’elle interdit tous les endoctrinements, prosélytismes et obligations de pratique et/ou d’observance religieux. Ces délits violant d’ailleurs la Déclaration universelle des droits de l’homme, le pays qui ne les punirait pas devrait faire l’objet des sanctions les plus sévères, pouvant aller jusqu’à l’expulsion de l’ONU. Cette politique de fermeté et de laïcité universelle ne viserait bien entendu nullement une quelconque exclusion. Tout au contraire, apporterait-elle enfin à l’humanité, outre une complète liberté religieuse individuelle, un vrai commencement de garantie que les humains et leurs religions cesseront de se combattre et de s’entre-déchirer au nom de je ne sais quelles abstruses fictions.
Giulio-Enrico Pisani
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1) Intitulé Die Religion am Pranger, c’est-à-dire La religion au pilori
2) Peu importe que ce soit Jean l’apôtre, fils de Zébédée et frère de Jacques, ou Jean le Presbytre, notable de Jérusalem bien postérieur à Jésus...
3) Texte original : Das religiöse Elend ist in einem der Ausdruck des wirklichen Elendes und in einem die Protestation gegen das wirkliche Elend. Die Religion ist der Seufzer der bedrängten Kreatur, das Gemüth einer herzlosen Welt, wie sie der Geist geistloser Zustände ist. Sie ist das Opium des Volks.
4) New York Times Magazine 9.11.1930
5) À aucun moment je ne conteste ici la croyance en un principe créateur, qu’on l’appelle dieu ou comme on veut. Cela relève du choix individuel de chacun et est d’autant plus respectable que science et raison sont loin d’avoir expliqué la création. Par contre, les religions constituent la puérile tentative des humains de rendre tangible la présumée oeuvre divine et, surtout, pour une majorité de leurs « bergers » et autres prosélytes religieux, le moyen d’exploiter cette détresse humaine aux fins d’influence et de domination
6) Au sens étymologique du terme : « qui mentent bien »
7) À l’origine, l’hindouisme et surtout le bouddhisme sont davantage des systèmes philosophiques que des véritables religions. Les masses populaires, incapables d’accepter leur abstraction, les ont peuplés d’aréopages divins, semi-divins ou démoniaques, puis de règles, interdits et traditions
8) Un non-sens, puisque les deux « grandes » époques de l’Inde furent celles du règne d’Ashoka, bouddhiste et très tolérant ( 304 à 232 av. notre ère) et surtout de l’Empire Moghol (1506 à 1707 de notre ère) musulman.