Kultur09. April 2021

Jusqu’au 11 avril au Centre d’art Nei Liicht à Dudelange

«Nous sommes tous concernés par le colonialisme» nous dit Chantal Maquet

de Michel Schroeder

Nous avons passé beaucoup de temps à dialoguer avec Chantal Maquet. Son exposition «Dat huet jo näischt mat mir zed inn» (Ça ne me concerne pas) est à la fois un long plaidoyer, un parcours de Mémoire, tout en posant des repères grâce également à des photos, à des peintures, à des documents… Je vous préviens, tout comme l’artiste vous prévient elle aussi, si en vous sommeillent des relents de racisme, alors n’allez pas voir cette exposition. Ou alors, mais oui, allez-y, et vous en sortirez très certainement remué, peut-être même changé, et... moins raciste !

L’exposition de Chantal Maquet est à voir au Centre d’art Nei Liicht, rue Dominique Lang à Dudelange (www. centredart-dudelange.lu).

Chantal Maquet dit, et à juste titre, que nous sommes tous concernés par le colonialisme. C’est sur le dos des pays colonisés que nous avons forgé nos richesses, alors qu’aujourd’hui la vie est vraiment difficile dans les pays qui ont été colonisés.

S’il n’y a plus vraiment de colonie qui porte ce nom, «de nos jours l’exploitation continue pourtant, et va bon train !» dit Chantal Maquet.

Le pauvre est colonisé, le sans-abri est colonisé, le demandeur d’asile est colonisé, le travailleur exploité est colonisé. Et la valse se poursuit, sans arrêt. La liste est encore longue, très longue !

Aujourd’hui encore, notre pays, notre fier Luxembourg, construit une bonne partie de ses richesses sur le fruit d’un colonialisme commercial. Un seul exemple, l’Eurasian Ressources Group Luxemburg (ERG). Cette société exécrable figure parmi les grandes entreprises de ressources naturelles diversifiées. Elle dispose d’un portefeuille d’actifs et de projets de développement dans 14 pays, sur quatre continents, où elle est représentée par plus de 80.000 collaborateurs à travers le monde.

Car, à l’instar de cette société, nombreuses sont celles qui pratiquent la suprématie du blanc sur le noir, le piétinement du noir par le blanc.

Des comportements haïssables dictés par les forces politiques au pouvoir

Les grands parents de l’artiste ont vécu pendant un certain nombre d’années au Congo. Son propre père est venu au monde dans une colonie belge. Elle possède de nombreux films et photos, ainsi que clichés qui témoignent de cette période. Chantal Maquet ressent ce que ses grands-parents ont vécu, ont connu, lors de leur séjour au Congo. Il y avait chez eux cette affreuse notion de colonisateur, ainsi affichée parce que nos gouvernements souhaitaient que les colons vivent, s’affichent et se conduisent comme des colonisateurs : sans guère de restrictions, sans grand respect pour les habitants autochtones des pays colonisés. On a inculqué aux colonisateurs des notions haïssables, et finalement leur comportement haïssable leur a été dicté par les forces politiques au pouvoir.

Le film vidéo que vous pourrez voir au Centre d’art Nei Liicht est une analyse en profondeur du regard porté par les blancs sur les noirs.

Un panorama qui raconte des histoires

Si vous entrez dans le panorama composé de 8 œuvres, vous vous retrouverez en 1953 dans un village du Congo belge. Des femmes portent des jarres d’eau sur la tête, des hommes, debouts devant une maison, regardent à l’intérieur. On ne voit pas ce qui se déroule à l’intérieur de cette maison. A l’extérieur, des enfants tiennent quelque chose dans leurs mains qui semble être de la nourriture.

Ces images ont été réalisées sur base de scènes filmées ou photographiées au Congo par ses grands-parents.

Les couleurs sont presque surnaturelles. Elles sont à la fois intenses, tout en traduisant quelque chose de presque surréaliste. Dans ces tableaux, les étrangers ce sont les blancs, qui ont imposé leur culture.

Ce panorama, par ailleurs fort réussi, raconte de nombreuses et multiples histoires.

«Gutt gemengt»

Vous voyez dans «Gutt gemengt», la grand-mère blanche de Chantal Maquet, et une passante noire, portant son enfant noir. La grand-mère de l’artiste avait une formation d’infirmière. Son empathie pour les enfants en bas-âge était très grande. Une brave femme somme toute, mais embarquée dans le colonialisme, sans être réellement consciente de ce qui se passait.

Cette empathie pour les nourrissons congolais et les petits enfants, Chantal en a retrouvé de nombreuses traces dans des photos, ainsi que dans des lettres.

On constate ici que la maman africaine ne partage pas l’enthousiasme de la grand-mère de Chantal Maquet.

Les colonisateurs ont, toujours, évolué dans une mouvance de racisme, qu’ils l’aient voulu ou non.

Quelques repaires au sujet de l’artiste

Chantal Maquet a fait des études d’Illustration à l'Université des sciences appliquées d’Hambourg (HAW).

Elle a réalisé des travaux dans le cadre de collections au Musée national d’histoire et d’art, à la Villa Vauban, au Musée d’histoire militaire de Dresde, pour la Poste luxembourgeoise, pour l’Artothek de Trèves. L’artiste a été en résidence au Château de Bourglinster, à la Cité Internationale des arts de Paris, et a obtenu diverses bourses : Bourse Francis André, Bourse Focuna Luxembourg...

L’artiste a participé à de nombreuses expositions collectives. Je voudrais citer ici, une petite partie des expositions individuelles de l’artiste. En général toutes ces expositions portent un titre : en 2020, «Danach war alles anders» au Kunstverein Quickborn dans le länder du Schleswig-Holstein ; «Als wäre nichts gewesen» à la Kultur - und Bürgerhaus Marne, également dans le Schleswig-Holstein. En 2019, «Bon voyage » à la Maison de la culture de Diekirch ; «Stay Gold» au Centre des arts pluriels Ettelbruck (CAPE) ; «Carnet de voyage - eng Waliss voller Faarwen» à la Maison de la culture de Nierderanven. En 2018, «Open Space» à Bourglinster. En 2017, «Nuets virun der Dier» à la galerie Konschthaus beim Engel, à Luxembourg…

Chantal Maquet pose ses marques comme on dit. Elle est authentique, possède ses modes d’expression, fait très certainement partie de cette barque sur laquelle ont pris place des artistes qui vont marquer l’histoire de l’art dans notre pays !

Il vous reste encore quelques jours pour aller voir cette intéressante exposition de Chantal Maquet, au Centre d’art Nei Liicht de Dudelange.

Michel Schroeder

 

(Photos: Ming Cao)

 

Légendes

 

Chantal Maquet pose devant le tableau «Dat huet jo naïscht mat mir ze dinn«