Kultur

Après le deuil, la fête !

José Ensch : invitation à la pérennité

Prémonition ou ondes télépathiques ? Va savoir ce que José put m’envoyer en ce mois de mai 2006, lorsque je m’apprêtais à vous présenter dans notre Zeitung, amis lecteurs, ses »Prédelles pour un tableau à venir« qui venaient de sortir dans la »Collection 99« des Éditions Estuaires ! M’inspira-t-elle les mots : »Ils n’étaient pas trop nombreux, à suivre en 2002 le convoi censé amener Estuaires, décédée dans la fleur de l’âge – 16 ans, n’est-ce pas malheureux, ma bonne Dame ! – au cimetière des poètes disparus. Seul une toute petite partie du monde entier pleurait ; et même ces rares affligés, bien avares de leur soutien du vivant de... la revue, ne se fendaient souvent que d’une larme de crocodile« ? (1)

Comment eus-je alors su, qu’en disant »Estuaires« je pressentais »Source« et sa brève éclipse suivie d’une résurgence qui allait faire fi du temps : José Ensch ! Et comment me serais-je douté deux ans plus tard, qu’avec son recueil »L’aiguille aveugle« les dés étaient jetés. (2) Modeste prosateur, j’ignorais encore que la poésie est immortelle. Ma tristesse bornée me fit croire à l’irréversible, et mes mots la reflétèrent : »On n’arrive pas encore à vraiment croire qu’elle nous ait quitté, José »Je me vois encore courir (...) par les rues (...) après qu’à des milliers de kilomètres d’ici des amis communs m’eussent prévenu, paniqués, ne plus avoir de ses nouvelles. Son téléphone restait muet, et pour cause. On était début février de cette année 2008. Et je la vois encore me dédicacer dix ans plus tôt son »Dans les cages du vent« qu’elle m’avait offert avec son bon sourire discret et ses mots sobres, modestes, exquis : »à Giulio, confrère en poésie, avec l’amitié de José Ensch« . D’autant plus généreuse, qu’à l’époque, en 1998, je commençais à peine à être publié !« 

Et cela n’a pas cessé : sa générosité modeste et son génie discret nous la gardent, José, sa poésie, sempervirente, toujours présente. Alors, lorsqu’un an et deux jours après son crochet par l’Olympe des poètes s’ouvrira...

vendredi 6 février 2009 à 19 h.
Sous le haut patronage de Madame Octavie Modert,
Secrétaire d’État à la culture, à l’Enseignement supérieur et
à la Recherche, au Centre Culturel
de Rencontre de l’Abbaye de Neumünster, (3)
la soirée d’hommage à José Ensch,

il est hors de question, que nous considérions cette manifestation, comme étant purement évocatoire. J’exclus d’y voir la célébration d’un deuil préliminaire à l’oubli, sorte d’artificieux »in memoriam« tourné vers le regret et le passé. Jamais plus qu’aujourd’hui, en effet, celle que nous pouvons considérer avec fierté comme notre poétesse nationale, poétesse dont le rayonnement dépassa les frontières du Luxembourg, jamais n’aura-t-elle été davantage parmi nous qu’en ce jour, où ses amis, camarades, collègues, confrères et consoeurs viendront assister à la présentation de deux livres, voire les présenter. L’un sera le recueil
 »Les façades« , (4) qui réunit les poèmes de José Ensch, écrits entre septembre 2007 et janvier 2008, préface : Michèle Nosbaum

José Ensch nous y confie notamment avec des mots tout simples mais à l’interaction subtile, harmonieuse, car longuement recherchée, qu’ »...Il a gravé son deuil sur une pierre/mais il ne s’est pas effondré/stèle lui-même/défiant la mort/celle qui n’existe pas« , ou, ailleurs : »Ciel couché, ciel debout/et danse l’enfant/paré des bijoux de la morte...« . Songeait-elle en écrivant ces vers à cette mort que les poètes ne connaissent pas ?

De son côté, comme pour confirmer cette pensée, Michèle Nosbaum nous offre dans sa préface en un raccourci poétique d’une beauté saisissante une instantanée unique : »... José, assise dans le soleil du matin, semble regarder vers un ailleurs dont elle a naguère déjà parlé. Ou bien est-ce l’ailleurs qui vient à elle ?« 

Mais outre l’apport inestimable de ces poèmes, sur lesquels je reviendrai dans un article ultérieur, la »sempervirence« de l’oeuvre de José sera également assurée par un ami de longue date de la poétesse,
Jalel el Gharbi, (5) qui présentera son dernier ouvrage,
 »José Ensch : Glossaire d’une œuvre. De l’amande... au vin.« (6) illustré par Iva Mrázková

L’auteur, qui a réalisé ce glossaire »sous le regard« (ce sont ses propres mots) de la poétesse, nous confie dans son avant-propos : « Au rythme des ajouts, ce glossaire aura changé de nom, il aura mué. Je lui donne ici le titre dans la version qu’aura connue la poétesse : José Ensch : De l’amande au vin. Depuis, l’amande est devenue abeille... ». Ensuite El Gharbi pose et se pose la question : »D’où viennent les abeilles qui hantent l’oeuvre de José Ensch ? (...) l’abeille serait une hésitation entre ciel et terre (...) L’abeille est, comme le veulent maintes traditions, allégorie de l’âme« .

Mais l’âme d’un poète, qu’est-elle d’autre que sa poésie !? Un peu plus loin l’auteur précise : »L’hommage rendu à l’abeille est signe de vénération de tout cela qui est humble. (...) le propre de tout être est d’aller au-delà de ses limites. A l’instar de l’univers poétique de José Ensch, l’abeille semble abhorrer par-dessus tout les quadratures, les limites et les frontières. (...) L’abeille planant au-dessus des océans dit que nous ne sommes pas enfermés dans les limites que nous impose notre être au monde. Un dépassement, une transcendance poétiques sont possibles.« 

Permettez-moi encore de flasher dans le glossaire d’El Gharbi le mot DANSE (qu’illustre si élégamment l’artiste Iva Mrázková), dont il présente très poétiquement toute la poétique. »La danse qu’évoque la poésie de José Ensch se caractérise par sa portée cosmique en ce sens qu’elle engage tous les éléments, toutes les dimensions de l’être, tout l’univers...« , suggère-t-il, et il illustre ses paroles par ces vers de José Ensch : »ces chemins vers les puits couchés sans retour/aux allures d’or et d’acier alterné/comme les cadences dans les battements d’ailes/du danseur...« 

Tout comme la poétesse dans sa conception, l’auteur va naturellement bien au-delà de ces phrases pour illustrer le mot DANSE, parmi tant d’autres qui font flamboyer la poésie enschienne. Mais tout comme pour les deux extrêmes du présent pont lexical, cette AMANDE et ce VIN dont il est question dans le sous-titre, en fait comme pour tout le reste de la présentation, il faudra bien vous déplacer, amis lecteurs, et venir honorer de votre présence cette poétesse qui n’a disparu que pour ceux qui ne la connaissent pas.

Rappelons également qu’à l’occasion de cette soirée, la salle A 22 de l’Abbaye sera baptisée du nom de la poétesse. Claude Frisoni lira des poèmes de José Ensch. Barbara Geiser (flûte), Judith Lecuit (violoncelle), Véronique Nosbaum (chant) et Romain Nosbaum (piano), assureront l’encadrement musical. Et, cerise sur le gâteau : un vin d’honneur clôturera la soirée. L’entrée est, bien sûr, libre.

*****

1) mon article dans la Zeitung vum Lëtzebuerger Vollek du 24.5.2006

2) mon article dans la Zeitung vum Lëtzebuerger Vollek du 5.6.2008

3) Centre Culturel de Rencontre Abbaye de Neumünster, 28 rue Münster, L-2160 Luxembourg, tel. 262052.1

4) paru dans la nouvelle collection « hors-série » des éditions Estuaires. Prix de souscription 15,- EUR au CCPL d’Estuaires IBAN LU90 1111 0047 4589 0000

5) Jalel El-Gharbi enseigne à l’université de La Manouba-Tunis. Critique, poète, poétologue et essayiste, il a déjà participé, tout comme Michèle Nosbaum, Claude Bommertz, Jean-Luc Fatello, Germaine Goetzinger, Cary Greisch, Emile Hemmen, Gaspard Hons, Nik Klecker, Anise Koltz, Colette Mart, Marie-Paule Schroeder, Pit Schumacher et Josée Zeimes à la soirée d’hommage »Regard sur Regard – José Ensch 1942-2008« le 5 juin 2008 au Centre national de littérature (Maison Servais) à Mersch.

6) Éditions de l’Institut Grand-ducal, section des Arts et des Lettres, diffusion/distribution mediArt, 31 Grand-rue, L-1661 Luxembourg,
tel. : 2686191, 38,- EUR.

Giulio-Enrico Pisani