Kultur21. April 2021

Cinéma : «Nomadland»

Des coups de griffe aux exploiteurs des plus faibles

de Michel Schroeder

C’est en 2017 que le livre «Nomadland : Surviving America in the Twenty-First Century» de Jessica Bruder a été publié. L’auteure, journaliste a considéré qu’il était temps de céder la parole aux seniors qui ont glissé, voir sombrer dans la précarité, suite à la crise financière de 2008.

La scénariste et réalisatrice chinoise Chloé Zhao a tiré un film profondément humain de ce livre, sorti sur les écrans sous le titre «Nomadland». En salle, le succès est impressionnant, preuve que les problèmes mis à nu dans cette brillante œuvre cinématographique touchent le public. Sans doute bien plus que si le film était sorti avant le Coronavirus. Le drame de la pandémie a une influence assez importante sur la conscientisation des populations pour certains problèmes.

Pour «Nomadland», Chloé Zhao a remporté le Lion d’Or à la Mostra de Venise 2020, ainsi que tout récemment le Golden Globe du meilleur réalisateur. Elle est la seconde femme réalisatrice et la première personne arrivée d’Asie à avoir remporté le Golden Globe. 

Chloé Zhao est une spécialiste des laissés pour compte, tout comme de l’Amérique profonde. Son premier long métrage, Les chansons que mes frères m’ont apprises, sorti en 2015, proposait une étude sociologique intéressante au sein d’une réserve d’Amérindiens. Elle n’hésite pas à réaliser des films qui dérangent le pouvoir en place et à donner des coups de griffe aux exploitateurs des plus faibles.

Après l’effondrement économique de la cité ouvrière du Nevada où elle vivait, Fern décide de prendre la route à bord de son van aménagé et d’adopter une vie de nomade des temps modernes, en rupture avec les standards de la société actuelle. De vrais nomades incarnent les camarades et mentors de Fern et l’accompagnent dans sa découverte des vastes étendues de l’Ouest américain.

Les parcours de vie que vous suivrez sur l’écran sont difficiles. Les personnes que vous découvrirez sont marginalisées. Mais aucun système économique, aussi pourri soit-il (comme celui d’Amazon, dénoncé et mis en lumière) n’aura la possibilité de tuer l’entraide, les moments de joie et de partage de ces déshérités.

La précarité de ces personnages bien réels est terrible. Mais elle leur a donné un sentiment de liberté absolue. Pour eux l’important n’est pas ce que l’on a, ce que l’on possède, mais ce que l’on est. Ils ne diront et ne disent jamais adieu à ceux qu’ils croisent, mais toujours à plus tard, à bientôt.

Leur soif de fraternité est réel, profond, n’est pas seulement en surface.

Chloé Zhao a donc posé sa caméra au milieu de ceux et de celles qui ont tout perdu. Chez la réalisatrice on retrouve les thèmes chers au réalisateur Ken Loach. Si «Nomadland» est un road-movie austère, il est terriblement humain et finalement d’une grande beauté. Ce film est d’une sincérité fondamentale et va droit au cœur.

Héros et héroïnes bien malgré eux et bien malgré elles du résultat de cette crise, ont fait leurs choix de vie et ont adopté des attitudes anticapitalistes qui leur permettent de survivre.

Ils et elles sont devenus les victimes de ceux qui veulent profiter (et qui profitent d’ailleurs à outrance) d’une main d’œuvre docile et bon-marché. Pour travailler dans les entrepôts d’Amazon, les parcs d’attraction, les campings …Amazon a même le culot de leur offrir un endroit pour garer leurs vans aménagés. Une fois que les fêtes consuméristes sont passées et qu’il n’y a plus de colis à expédier, ils en sont chassés comme des vauriens !

«Nomadland» atteint la perfection. La mise en scène de Chloé Zhao est sensorielle, efficace, naturelle, naturaliste aussi.

Ce magnifique film met en lumière la vie de ceux et ce celles qui sont partis sur les routes, mais aussi de ceux et de celles qui sont partis pour de bon, usés par le destin.

Dans les rôles principaux, vous verrez à l’écran, Frances McDormand, David Strathaim, Gay Deforest et Linda May.

Cet excellent film est projeté actuellement dans diverses salles du pays. Regardez bien les programmes de l’offre cinéma en cours. Vous ne regretterez pas mon conseil : allez voir sans tarder ce film !