Luxemburg

Je pleure pour toi, Palestine... mais pas seulement

Sur le blog d’un ami, on m’a vu écrire il y a peu : Mahmoud Darwich(1) a raison, cher ami, de clamer que »Cette terre est plus petite que le sang de ses enfants...« . George Orwell et Orson Welles nous ont offert »la guerre des mondes« et »la planète rouge« .

La science fiction est, comme d’habitude, dépassée ; et guère n’est besoin de quitter notre terre pour la voir se réaliser. J’ai pourtant aimé lorsque (toi, l’Arabe) tu as répondu à P.S. (le juif) sur ton blog, »merci homme juste !« , tout en trouvant peut-être l’expression un peu pompeuse. Mais cela m’a fait penser au titre de »Juste entre les nations« que les Israéliens donnent à ceux qui les ont protégés de la fureur nazie. Ne faudrait-il pas que les Arabes accordent ce titre (ou quelque chose d’équivalent) aux Daniel Barenboïm, aux Noam Chomsky, aux P.S., aux Uri Avnery ou autres Jenifer Loewenstein ? Ils sont beaucoup plus nombreux qu’on le pense : mieux, une multitude ! Et pourtant, trop peu nombreux – quelle impuissance !« 

Un peu plus loin, c’est P.S. lui-même qui écrit entre autres : »Oui, nous seuls, femmes et hommes de lettres, artistes, poètes, écrivains nous sommes impuissants à arrêter ces bras armés qui se sont abattus sur les peuples en Palestine.« 

C’est vrai que nous sommes tous bouleversés, non seulement par les faits eux-mêmes, mais également par notre impuissance à les arrêter, ces bras armés. Car si les intellectuels peuvent critiquer, stigmatiser, voire condamner la violence, jamais ils n’ont été capables de l’empêcher ni de l’arrêter. Le fait est, que cette tragédie est bien plus vaste que la Palestine, plus vaste même que tout que le Moyen Orient, aussi vaste que l’humanité en réalité. Et, »Ces bras armés ne se sont pas seulement abattus sur les peuples en Palestine, P.S.« , écrivis-je à mon tour sur ce blog.

En effet, ces bras armés entretiennent le choléra dans les bidonvilles de Calcutta, le crack dans les favelas de Rio, les massacres de musulmans par des hindous et les tueries d’hindous par des musulmans, les razzias sur les populations du Darfour, les massacres au Burundi, les enfants embrigadés, violés, affamés dans le monde entier, ils font boire la bilharziose aux miséreux du Nil, crever du choléra ceux de Bombay et j’en passe…

Et ces bras armés qui se sont abattus sur le peuple en Palestine, ne constituent qu’une pustule, qu’un bubon, particulièrement tragique est-il vrai par sa durée, de la grande peste capitaliste, coloniale, néocoloniale et impérialiste propagée et imposée manu militari, quand ça ne va pas autrement. Oui, car les bras armés n’interviennent dans toute leur brutalité que lorsque les politiciens madrés n’arrivent pas à suffisamment mobiliser la Bible, le Coran ou Mammon, pour que les pauvres s’affrontent et se massacrent entre eux au nom de dieux que les hommes ont crées de toutes pièces à leur image.(2)

Car ces bras sont armés directement ou indirectement par les grossiums, les multinationales, les spéculateurs, les marchands d’armes et les marchands d’illusions terrestres ou célestes, qui continuent à imposer leur peste grâce une intelligentsia politique plus ou mois associée, par l’embrigadement à travers le monde de centaines de millions de mutants militaires, religieux ou civils, corrompus ou fanatisés, auxquels manque sans doute un gène sapiens(3), mais ni la malignité, ni la rouerie, ni l’opportunisme, ni la brutalité.

Dûment embrigadés, pilotés, subventionnés, payés, généralement eux-mêmes manipulés et roulés dans la farine, ces bras armés font aussi la pluie et le beau temps, la guerre et la paix grâce à l’état d’ignorance, d’inertie, de peur, de misère, de superstition et de guerre(4), dans lesquels sont maintenus les milliards de damnés de la terre qui leur servent d’humus nourricier, ce qui permet aujourd’hui aux gros capitalistes de manipuler, piller, spolier, s’accaparer tout ce sur quoi ils estiment arbitrairement posséder des droits encore bien plus subtilement que hier et avant-hier.(5)« 

Mais, ce que je n’ai pas écrit sur ce blog consacré essentiellement aux échanges poétiques, donc pour ne pas abuser de l’hospitalité de mon hôte virtuel et transformer le site à son tour en champ de bataille, c’est que ces bras armés sévissent aussi en toute impunité grâce au silence. Je parle du silence tonitruant des indifférents, des prudents, des singes de la sagesse qui n’entendent, ne voient et ne disent rien, des Pilate, des égoïstes, des je-m’en-foutistes, des »non concernés« , de tous ceux enfin qui ne font leur vie durant ni grand bien ni grand mal, et que Dante appela dans son Enfer »Ces êtres vils, qui jamais ne vécurent« .

Et ce que je n’y ai pas écrit non plus, c’est que ces bras armés, le sont aussi par l’incroyable bêtise de l’Empire et de ses séides. Cette stupidité est parfois une chance, mais aussi souvent source de grands malheurs. Ce fut notamment la connerie de la politique néocoloniale états-unienne en Amérique latine et ça l’est toujours à Cuba, en Georgie, en Afghanistan, en Iraq, en Palestine et en bien d’autres lieux. Deux exemples :

Sur l’Afghanistan on peut lire par exemple dans le Site ICL, Femmes et Révolution : »Pendant plus d’une décennie, les impérialistes ont armé les (...) moudjahidines jusqu’aux dents, les organisant pour mener une guerre par procuration contre l’armée soviétique et le Parti démocratique populaire d’Afghanistan (PDPA). Le martyre de l’Afghanistan est un produit direct du cataclysme contre-révolutionnaire qui a abouti à la restauration du capitalisme en Europe de l’Est et dans l’ex-Union soviétique. Cela a enhardi les forces réactionnaires non seulement dans des régions arriérées comme l’Afghanistan mais aussi en Europe occidentale et aux USA. (...) Les horreurs en cours en Afghanistan aujourd’hui constituent l’expression la plus crue de l’alternative qui a été posée pendant tout ce siècle et qui se pose avec de plus en plus d’acuité et d’urgence : socialisme ou barbarie...« .

Les États-Unis ont littéralement parrainé Al Qaïda, tout comme Israël soutiendra le Hamas contre le Fatah. Sempiternelle histoire de l’arroseur arrosé !

Et voilà pour la Palestine un extrait de ce qu’en dit le journaliste israélien Uri Avnery – que vous connaissez bien – dans son article de ce 3 janvier paru dans »Gush Shalom« , traduit par »Contre Info« et publié sur son site http://contreinfo.info/article.php3?id_article=2454: »Toute une génération de dirigeants arabes, une génération imprégnée de l’idéologie du nationalisme arabe laïque, les successeurs de Gamal Abd-al-Nasser, Hafez al-Assad et Yasser Arafat, pourrait être balayée de la scène. Dans le monde Arabe, la seule alternative viable est celle de l’idéologie fondamentaliste islamique. Cette guerre l’écrit en lettres capitales : Israël a manqué une chance historique de faire la paix avec le nationalisme arabe laïque. Demain, il pourra être confronté à un monde arabe uniformément fondamentaliste, un Hamas multiplié par mille...« .

Souvenez-vous donc, amis lecteurs, de mes articles dans notre Zeitung du 27.11. 2002 : »La Fabrique de terroristes », ainsi que ceux des 1, 2 et.3 avril 2004 sur le Terrorisme, où je démontrais comment « La cause première du terrorisme est la souffrance, accouplée au désespoir ; et que sa promotion est l’oeuvre de ceux qui causent cette souffrance et ce désespoir« . Si vous avez l’occasion de les relire, c’est tant mieux.(6) À bon entendeur salut !

***

(1) Mahmoud Darwich : poète palestinien né en 1941 à Al-Birwah (Galilée) et mort en 2008 à Houston (USA).

(2) Voltaire : »Dieu a fait l’homme à son image, mais l’homme le lui a bien rendu.

(3) Espèce »homo sapiens deficens« ? Ne serait donc pas vraiment un animal doué de raison, comme le dauphin, ou le bonobo. Peuplerait la terre simultanément à son cousin »homo sapiens sapiens« .

(4) Que le prétexte d’une guerre soit ethnique, religieux, nationaliste ou autre, sa cause profonde et première est toujours économique.

(5) Époques auxquelles les nobles, les aventuriers, puis les grands bourgeois avides et dépourvus de scrupules conquéraient le monde et étaient fiers de leur cruauté comme de leurs abus, lorsque aujourd’hui les exploiteurs des pauvres donnent aux oeuvres caritatives (sous déduction fiscale), cultivent l’humanitaire genre Lions et se mouillent de larmes de crocodile bienséantes.

(6) Quant à l’actualité palestinienne, lire aussi l’excellent article de Mona Cholet sur http://peripheries.net/article321.html: »Des »barbares« bombardés à Gaza : Construire l’ennemi« .

Giulio-Enrico Pisani