Kultur17. Juli 2021

«Pour Élise» : Une Luxembourgeoise à Paris

de Giulio-Enrico Pisani

Qui n’a pas vu le film «Un Américain à Paris» de Vincente Minelli avec Gene Kelly, ou la comédie musicale qui en fut tirée en 2015? Eh bien moi! Il est vrai que j’en ai entendu parler à satiété, de ce titre devenu presque mythique. Cependant peu attiré par les «musicals» chatoyants et clinquants genre Hollywood-Broadway, je n’ai vu ni l’un ni l’autre. Par contre, rien de plus réel, humain, attachant, proche de nous, que l’histoire d’Elisabeth Hack, d’avantage couronnée qu’historiquement illustrée par la collection Hack, que nous présente aujourd’hui le Musée Vauban (1). Attiré par le romantisme du titre évoquant le «Für Elise» de Beethoven, je m’y suis précipité, bien sûr, dès son annonce. En effet, à ma connaissance, aucun scénariste, metteur en scène, ni même écrivain, n’a donné son encre et son temps pour écrire sur ce qui aurait sans doute fait un grand roman intitulé «Une Luxembourgeoise à Paris». (2)

C’est ainsi que, peu après l’inauguration de la nouvelle exposition permanente du Musée Vauban, la «Petite tournée des grands siècles» présentée en juin, me revoilà avec un nouveau voyage dans le temps, certes plus modeste, puisqu’à travers les fenêtres du train Vauban, il vous donne juste un aperçu sur l’art à la Belle Époque. Toutefois cet aperçu, nécessairement limité du fait qu’il porte sur une collection privée plus riche en charme qu’en prétentions, se révèlera vite, à vos yeux, plus proche de nous que du grand Paris des arts fin 19ème – début 20ème. Comment? Je vous accompagnerai, amis lecteurs; mais ce sera à vous de le découvrir. Et pour commencer, donc avant de plonger avec moi dans l’atmosphère de cette nouvelle expo, apprenez déjà comment la collection Hack s’est constituée en lisant l’essentiel de l’intéressante présentation mise en ligne par le Musée Vauban.

«Pour Élise», nous apprend-on, «c’est l’histoire insolite d’une jeune émigrée luxembourgeoise et modeste domestique qui, vers la fin du 19e siècle, pénètre dans le monde de l’art parisien et assemble une petite collection qu’elle lèguera plus tard à la Ville de Luxembourg. L’exposition à la Villa Vauban est l’occasion de situer, pour la première fois, aussi bien la vie d’Élise Hack que sa collection dans leurs contextes historiques et artistiques. Née à Echternach en 1860, Élisabeth Hack, à l’instar de nombreuses jeunes femmes de son époque, quitte son pays natal à l’âge de 20 ans pour travailler en tant que bonne à Paris. Vers 1880, elle trouve un emploi chez Henry Havard (1838–1921), célèbre critique et historien de l’art ainsi qu’inspecteur général des Beaux-arts. Elle vivra avec lui jusqu’à sa mort et s’éteindra elle-même à Paris en 1933.

Henry Havard, très présent sur la scène artistique et membre du jury de nombreuses expositions, fit la rencontre de beaucoup d’artistes et se lia d’amitié avec nombre d’entre eux. Impliquée dans la vie personnelle et professionnelle d’Havard et grâce à son soutien, Élise Hack put intégrer la vie artistique parisienne de l’époque. Des dédicaces à son attention sur plusieurs tableaux qu’elle avait reçus témoignent des relations amicales qu’elle entretenait avec certains artistes. (…) En 1922, elle fait don à la Ville Luxembourg de 16 peintures à l’huile, 9 aquarelles, 4 dessins, 13 gravures et 4 sculptures en terre cuite. Les artistes représentés dans cette collection à caractère très personnel appartiennent, d’après les auteurs Gérald Schurr et Pierre Cabanne, au groupe des «Petits Maîtres de la peinture». L’expression s’applique à un grand nombre d’artistes français actifs entre 1820 et 1920 qui, selon Cabanne, «ont négligé une éventuelle reconnaissance, ignoré l’argent, méprisé les diktats des marchands et les jugements de la critique, les aléas du commerce, choisi la liberté.». De leur vivant, ils formaient néanmoins l’élite académique et artistique à Paris, exposaient aux Salons et recevaient beaucoup de commandes officielles.

Les genres et sujets présents dans les œuvres² sont très différents: natures mortes, tableaux historiques, paysages ou encore portraits d’enfants. Parmi ces artistes, on peut citer notamment Jean-Baptiste Olive (1848-1936) et Jean Laronze (1852-1937), spécialisés dans la peinture de paysages, Jean-Jules-Henri Geoffroy (1853-1924), nommé «peintre officiel de l’école» par le ministre de l’instruction publique ou encore Félix Bracquemond (1833-1914) et Léopold Flameng (1831-1911), considérés comme des pionniers du renouveau de la technique de la gravure en France. En complément, l’exposition compte des tableaux ayant appartenu à Henry Havard, conservés au Musée des Ursulines de Mâcon ainsi qu’une sélection d’autres oeuvres des artistes présents dans la collection, provenant de différents musées français, afin de mieux mettre en avant l’effervescence artistique parisienne de l’époque.».

Effervescente à Paris, l’époque, elle l’était, sans aucun doute. Mais ici on est bien loin de cette célèbre brillance, car notre expo n’affiche, elle, rien de voyant, de grandiose, de chatoyant, de tape-à-l’œil. Je dirais qu‘elle a été principalement rassemblée par un couple d’amateurs d’art soucieux de finesse et de qualité dans le registre intimiste, quasi-confidentiel. Deux connaisseurs, certes, mais surtout des amateurs cherchant à embellir leur intérieur. Message compris par le musée Vauban, qui vous invite à pénétrer cette fois à gauche de l’entrée dans le Paris d’une Belle époque – disons – discrète: ambiance feutrée, intime, de petite salle «privée» d’un (grand?) café. On y cause Expo universelle, Tour Eiffel, canal de Panama, d’un soulèvement touareg, de la sortie du prochain tome des Rougon-Macquart, Porte de l'Enfer de Rodin, des dernières créations de Courbet et sur la disparition de son «Origine du monde» après que les Frères Goncourt aient renoncé à l’acheter. De toute manière, je ne pense pas qu’Henry Havard ou Elisabeth Hack s’y seraient intéressés» (sourire).

Une fois fini d’évoquer le 19ème siècle, nous pouvons, ou plutôt vous pouvez passer aux trois salles d’exposition proprement dites: salle Dilly, salle Sicard Bergeret et salle Laronze – Zwiller, pour enfin plonger dans l’ambiance artistique petite-bourgeoise de cette époque que l’on a baptisée «belle» (cela dépend pour qui). Mais belles, elles le sont, la plupart des oeuvres d’art que vous pouvez admirer aujourd’hui au musée Vauban, ou en tout cas charmantes, intéressantes. Il n’y a pas le moindre doute, même si, à part quelques toiles intimistes, elles restent en marge des grands courants artistiques du temps. Quelques-unes parmi elles méritent d’ailleurs particulièrement (je n’ai pas dit exclusivement) votre attention, non seulement par la qualité de leur exécution, mais également par le choix de leurs sujets et la subtilité de leur mise en scène.

Voici, pour commencer, un tableau de Jean-Jules-Henry Geoffroy, le charmant «Vase de fleurs», dont le musée affiche d’ailleurs la photo un peu partout où l’on peut lire «Pour Élise». Notons tout de même que l’œuvre n’est pas particulièrement typique de cet artiste. J’aime aussi beaucoup des toiles comme «La liseuse» (3) et la «Tête de jeune fille» du peintre alsacien Marie-Augustin Zwiller, qui sont non seulement très caractéristiques de l’artiste, mais aussi plus significatives de l’expo et de son intimisme, style de l’époque ainsi nommé par l’historien d’art Camille Mauclair. Reste que mes préférées sont «Les laveuses» de Jean Laronze, qui marie harmonieusement travail et nature, ainsi qu’«Une cour à Rome» de Georges Hippolyte Dilly, qui me rappelle certains recoins «secrets» de ma ville natale.

Il me reste à vous recommander une paroi consacrée aux représentations d’enfants, que représentent par exemple fort bien les études de Pierre-Victor Galland et l’aquarelle de Henri Jules Jean Geoffroy, comme l’illustre aussi par d’autres tableaux de l’expo, le bel article Guy Thewes pour«Ons Stad», le magazine de la ville. (4) Et n’hésitez pas enfin à vous ménager quelques pauses lecture devant les documents et objets d’époque, qui vous permettent d’encore mieux vous y promener, de même que face aux textes explicatifs. De toute manière, une visite guidée est fortement à recommander. Et moi de vous souhaiter à présent d’heureuses retrouvailles avec (qui sait? peut-être votre lointaine cousine d’Echternach) Elisabeth Hack!

***

1) Musée d’art de la ville de Luxembourg, Villa Vauban, 18, Avenue Emile Reuter.  Fermé le mardi, ouvert vendredi de 10 à 21 heures et tous les autres jours de 10 à 18 heures. Expo «Pour Elise» jusqu’au10 octobre.

2) De nombreux articles et études traitent par contre le sujet, comme recensé dans les notes d’un article de Christine Müller sur «les domestiques luxembourgeoises à Paris au milieu du 19ème siècle» dans «Migrations Société» 2010/1, N° 127, pages 73 à 86, v. https://www.cairn.info/revue-migrations-societe-2010-1-page-73.htm

3) Le tableau «La Liseuse» ne fait partie de la collection Hack, mais appartient au Musée Sundgauvien-Altkirch qui l’a prêté au Musée Vauban.

4) À visionner sur https://onsstad.vdl.lu/fileadmin/ausgaben/123/Ons-Stad_123_2021_57-62.pdf