Kultur25. September 2021

Équinoxiales chez Schortgen

de Giulio-Enrico Pisani

Mais de quel droit me permets-je de substantiver l’adjectif équinoxial(e)? Est-ce pour dénommer le magique éventail d’architectures surréalistes que je vous ferai découvrir aujourd’hui en période équinoxiale? Ou bien est-ce parce que l’équinoxe d’été a été fixé cette année par les grands sorciers du calendrier et du cosmos au 22 septembre et non pas à l’usuel 21? Mais au fond, que cela peut-il nous faire, puisque nous devrons «faire avec», et nous moquer des fantaisies du calendrier pour accéder de nouveau à cette exubérance artistique qu’expose comme de coutume la Galerie Schortgen (1) en plein Luxembourg centre? Aussi, en attendant de pouvoir jouir sur place de cette nouvelle expo, profitons donc des présentations de notre bonne vieille Zeitung vum Lëtzebuerger Vollek, à commencer par celle de

Marina Sailer

et de ses oeuvres. Bien sûr, certains parmi vous auront déjà admiré entre décembre 2018 et janvier 2019, ou en avril 2020 les créations de cette extraordinaire artiste, qui nous vint de Biélorussie via l’Allemagne. Mais à part la fidélité au style si caractéristique de ses scénographies genre architecture Armageddon romantique, tout est chez elle authentique créatrice découverte et renouveau. Est-ce à dire ce qui pourrait renaître de «l’après la fin de l’homme»? L’oeuvre humaine aura-t-elle encore une chance et ce qui en renaîtra encore une raison d’être? Un charme? Un avenir? Et pourquoi pas? Peut-être que volatiles et insectes venant égayer ci et là une ombre de mélancolie planant sur ses somptueuses mises en scène l’expriment à leur manière... Peut-être leurs battements d’ailes engendreront-ils un grand ouf... Quoiqu’il en soit, la vie continuera... Autre, certes, mais comment?

Le peintre, graphiste et écrivain Helmut Kesberg découvre à son tour l’univers aussi fantasmagorique qu’apparemment pessimiste de Marina Sailer et n’hésite pas à parler de ses tableaux comme d’une ouverture, voire d’une prémisse dans un univers de rêve. «... ils vivent de la charge d’émotions de l’artiste..», nous confie-t-il avant de s’expliquer: «...Comme sur une scène, elle crée avec des fragments de ses propres souvenirs, de sa fantaisie et du monde de ses idées une réalité fantastique...» À quoi j’ajouterais volontiers «...de ses craintes.», car c’est à raison que l’on a rapporté la peinture de Marina Sailer à la théorie de l’art romantique de Novalis dans son fameux «Tout est noué dans notre esprit de la manière la plus étroite, obligeante (2) et vivante...».

Il y a donc encore de l’espoir? Bien sûr! En effet, au-delà des visions quasi-millénaristes que présentent la plupart de ses tableaux, où la nature semble vouloir se venger d’une civilisation qui l’a tant méprisée et négligée, c’est des toiles comme «Unbekanntes Land», magnifique huile & acrylique 160x90 cm, qui nous sauvent des flots avides de nous engloutir. Comment? Justement, en mettant les voiles vers cet unbekanntes Land, ce pays inconnu, ou si peu connu, qu’est la culture, et ainsi nous ouvrir au monde, oser le voyage vers l’ailleurs, vers les autres, plutôt que de nous refermer frileusement en nous-mêmes.... Il est vrai, que nous n’en sommes pas encore là. Mais en est-on tellement éloigné? Et si la bêtise humaine permettait à la nature de nous prendre de vitesse et qu’elle nous détruisait avant que nous l’ayons détruite? L’art constitue en tout cas un premier cri ‘casse-cou!’ et de splendides toiles à technique mixte comme, par exemple, «Azaleenwald», «Das Königshaus», «Vor der Zeit», ou «Schloßallee» en sont le meilleur héraut. Émerveillement garanti!

Après ce bref aperçu sur la peinture de cette plus que talentueuse artiste, me voici amené à vous toucher un mot sur ses talents de sculptrice qu’elle nous dévoile pour la première fois. Je vous avouerai toutefois, amis lecteurs que, bien qu’exécutées avec un savoir-faire artisanal impeccable, toutes ses sculptures ne m’enthousiasment pas autant que ses tableaux. Ses deux demi-bustes (ou têtes) aux visages éclairés d’un sourire niais, coiffés respectivement d’un essaim de papillons et d’un oiseau ailles grand déployée sont jolis, me font davantage sourire qu’évoquer quelque symbole ou allégorie. Deux belles réussites par contre sont cette main qu’escalade un éléphant et cette autre main d’où s’envolent des papillons. Aussi originales qu’exquises, ces deux oeuvres sont un goût très sûr et en appellent autant à la réflexion qu’à l’esthétique. Je n’hésiterai pas à parler de chefs d’oeuvre.

Marina Sailer est née à Vitebsk, en Biélorussie, a étudié de 2000 à 2001 à l’Académie des Beaux-arts de Karlsruhe/Fribourg, puis de 2001 à 2007 à celle de Düsseldorf, ville où elle vit et travaille. Son message? Est-il possible que l’appel jaillissant de ses somptueuses mises en scène tout à la fois surréalistes et baroques, où seul les couleurs font preuve de modération, que cet appel donc, ne soit pas voulu par l’artiste? Ou bien si? En tout cas, pour l’heure, sa peinture illustre puissamment un possible futur où, à l’instar des Khmers et Mayas aux somptueuses cités dévorées par la jungle, l’œuvre humaine risque de ne plus être que souvenir perdu dans une nature qui, elle, en a vu d’autres. Étrangement, c’est dans ses sculptures, que Marina renoue avec l’espoir. Affaire à suivre et... à ne pas manquer! Mais tournons nous à présent vers les quelques sculptures drolatiques de

Matthias Verginer,

qui eussent mérité mieux qu’être rajoutées en surplus dans un espace, qu’elles occupent avec l’à-propos des bouts de saucisse sur une pavlova fruits rouges et chantilly. Ceci dit, Mathias Verginer est plus que talentueux. Il a du génie.et, ce qui ne gâche rien, ses sculptures sont franchement drôles, plaisantes et parfaitement exécutées, ce qui est rare de nos jours, où l’on qualifie d’art n’importe quel assemblage ou gribouillage. À défaut de s’insérer harmonieusement dans la salle d’expo, les athlètes et gymnastes féminines assez dodues exhibant leurs talents dans le plus simple appareil mettront surement la plupart des visiteurs en joie.

Et voici, à peine remanié/abrégé, ce qu’en dit notre galeriste : «Artiste sculpteur sur bois d’origine italienne, Matthias Verginer naît en 1982 à Bressanone (Haut-Adige / Südtirol) et développe son talent à l’Ecole d’Arts à Selva Gardena. Sa spécialisation: le bois! Ses œuvres se caractérisent par l’originalité́ et l’humour. L’artiste nous présente la femme sous un angle autre que celui qu’impose le diktat haricot vert des médias et réseaux sociaux. Ses femmes sont belles, saines et bien en chair. Matthias Verginer les met en scène dans des situations courantes, comme dans des poses insolites combinées à de charmants animaux. Ses femmes, qui avec leurs rondeurs rêvent de voler comme des super-héroïnes, poussent le spectateur à s’interroger sur le message qui se cache derrière ces personnages. Notre être ne se définit pas par l’image qui nous est imposée, souvent basée sur la mode, le statut et le pouvoir, mais bien par tout  ce qui nous rend uniques et vrais… »

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1) Galerie Schortgen, 24, rue Beaumont, Luxembourg centre. Exposition mardi à samedi de 10,30 à 12,30 et de 13,30 à 18 h, jusqu’au 20 octobre.

2) Difficile de savoir si par «gefälligst» Novalis, le philosophe, entendait «obligeant», «complaisant» ou «plaisant». Un peu des 3?  Ce n’est pas impossible.