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Femmes de Tunisie : non à la dictature phallocratique du parti Nahdha

Le 2 juillet, dans le premier des trois articles sur le bilan désastreux du printemps tunisien (1), j’écrivis vouloir en consacrer un entier au combat de la femme tunisienne, mais, rattrapé par l’actualité, j’ai dû intégrer cette problématique dans l’ensemble du bilan présenté. Cependant, la femme tunisienne vaut bien plus que deux ou trois paragraphes dans le bilan d’une nation et, n’en déplaise au parti islamiste Nah­dha, dont la plupart des membres ne songent qu’à l’enfermer dans leur concept archaïque, bien plus que toute leur idéologie rétrograde et sacrilège. La religion musulmane interdit en effet d’imposer une quelconque loi ou règle d’ordre religieux à qui que ce soit, ce qui fait de l’islam politique, tout comme le salafisme, son bras armé, une véritable hérésie (2), qui n’a rien à voir avec l’islam prêché par le Prophète. Mais, tout comme naguère leurs collègues chrétiens, les dirigeants musulmans ont souvent contourné ces principes, les islamistes, eux, tâchant d’imposer à leurs semblables et surtout aux femmes les coutumes des bédouins d’Arabie antérieures même à l’avènement de l’islam (jahiliya).

Le pire, c’est que la femme tunisienne n’est pas seulement menacée aujourd’hui dans son intégrité morale et physique par les salafistes (3), qui se déchaînent parfois dans des excès d’une violence inouïe, grâce à l’indulgence ou à la complicité du gouvernement dominé par Nahdha. Elles ne sont pas seulement interpellées, chicanées, insultées, voire traînées au poste de police, dès qu’elles sont jeunes, les cheveux au vent et modernement vêtues, par les policiers censées les protéger, mais agissant souvent de concert avec les salafistes. Elles risquent aujourd’hui bien pire que tout cela, pire que tout ce que vous ai rapporté depuis des mois, amis lecteurs, elles sont la cible d’un projet islamiste global de Nahdha, ainsi que des appels à leur avilissement par des représentants du pouvoir ou des prédicateurs invités par eux. Aussi, les naïfs doivent déchanter, qui ont cru aux promesses électoralistes de Nahdha de respecter les libertés acquises des tunisien(ne)s et qui ont longtemps excusé ses fautes et impairs, en arguant une parturition démocratique douloureuse, où les démons libérés par la révolution prendraient du temps à être maîtrisés.

En effet, plus d’un an après la Révolution de jasmin, l’état de droit ne commence même pas à pointer le bout de son nez. Bien au contraire, la situation se dégrade quotidiennement. Pas un jour ne s’écoule sans quelque nouveau scandale économique, politique ou judiciaire, sans nouvelle atteinte à l’intégrité et aux libertés des citoyen(ne)s. Les notables politiques d’opposition, les hauts fonctionnaires ou les dignitaires religieux tolérants n’en sont pas plus épargnés que la citoyenne lambda, les journalistes, les blogueurs, les femmes modernes ou les buveurs de bière durant le Ramadan. L’état de droit est en train de se dégonfler comme une baudruche, mais, gênés par un arsenal juridique insuffisant pour légitimer ces procédés fascistes, la « Commission droits et libertés » de l’Assemblée Nationale Constituante (ANC), dominée par le parti Nahdha, fait de tout pour moduler la nouvelle constitution selon la voix de son maître.

Alors, après quelques rares échecs, dont celui d’introduire la charia dans la constitution, la « Commission droits et libertés » – c’est son titre et ce n’est pas une blague – qui oeuvre à sa préparation, semble avoir décidé de mettre les femmes tunisiennes au pas. Aussi, l’ANC vient-elle d’adopter un texte relatif aux droits des femmes censé figurer dans la future Constitution, qui les priverait, en cas d’adoption définitive, de leur égalité avec les hommes gagnée sous Bourguiba et même développée sous Ben Ali. Cet article 27, qui contredit l’article 22, « les citoyens sont égaux dans leurs droits et leurs libertés et devant la loi, sans discrimination d’aucune sorte », ainsi que l’article 21, qui consacre l’égalité entre époux, réduit la femme à un accessoire de l’homme. Il a été voté par 9 députés de Nahdha et 3 de ses députés vassaux (2 du CPR et un indépendant), contre un texte garantissant la pleine égalité des droits entre femme et homme, mais approuvé par seulement par 8 députés, dont Selma Mabrouk du groupe Ettakatol.

Et c’est notamment à Selma Mabrouk que l’on doit la formidable levée de boucliers de la femme tunisienne contre cet article inique, qui contribuerait à plonger le pays dans un obscurantisme dont l’histoire l’avait à ce jour épargné. Et voici le texte scandaleux et rétrograde de cet article 27 : « L’Etat assure la protection des droits de la femme et de ses acquis, sous le principe de complémentarité avec l’homme au sein de la famille et en tant qu’associée à l’homme dans le développement de la patrie, etc... ». Et Selma Mabrouk de préciser sur sa page Face Book, que cet article « ... vient casser complètement la notion d’égalité entre les sexes, la femme étant considérée comme un “être complémentaire au sein de la famille et dans la société“... »

La femme y retrouverait donc sa condition d’Ève pécheresse et repentante chère à la tradition judéo-islamo-chrétienne, qui la veut soumise à l’homme et promue de l’état de côtelette mâle au rôle de porteuse de semence, pondeuse d’enfants et gardienne du foyer. Elle ne serait plus l’égale de l’homme et n’aurait donc plus les mêmes droits que lui, mais seulement droit à la protection de l’État en tant que son associée au sein de la famille. Quel retour en arrière ! Quel amoindrissement pour l’épouse, la mère, la maîtresse de maison, jusqu’à présent égale en tous points au mari et au père de famille ! Mais il y a pire, beaucoup pire. Qu’en est-il en effet des femmes célibataires ? Qu’en est-il des divorcées ? Qu’en est-il des filles mères, dont Souad Abderrahim, élue d’Ennahdha à l’ANC, a déclaré sur les ondes d’une radio arabophone non tunisienne que « les mères célibataires sont une infamie en Tunisie, (qu’)éthiquement elles n’ont pas le droit d’exister » ?
J’avais préparé sur ce sujet un argumentaire détaillé basé entre autres sur les rapports de mes amis tunisiens et sur de nombreux articles de la presse internationale. Mais à quoi bon, puisque vous n’aurez aucun mal à retrouver ces derniers sur Internet. En effet, ce qui s’impose à présent dans l’urgence, c’est de répondre à l’appel au secours lancé par la femme tunisienne et de lui manifester notre solidarité, afin que la Tunisie retrouve cette égalité juridique entre hommes et femmes qui était devenue la règle grâce au Code du Statut Personnel (CSP). (4) Dans un communiqué commun intitulé « L’égalité est un droit, l’égalité est une nécessité », plusieurs associations et centrales syndicales telles que l’UGTT, l’ATFD, l’AFTURD, Amnesty International, la LTDH et le CNLT ont exprimé leur refus catégorique du texte honteux proposé par la Commission Droits et Libertés à l’ANC sur le statut de la femme dans la société et ont appelé les membres de l’ANC à retirer la proposition et à adhérer au principe de l’égalité totale entre l’homme et la femme.
Quand à moi, à titre personnel et à l’instar de milliers d’autres personnes de presque tous les pays du monde, de toutes nationalités, religions et tendances politiques, je me suis contenté de signer la pétition disponible en ligne sub http://www.avaaz.org/fr/petition/Protegez_les_droits_de_citoyennete_de_la_femme _en _Tunisie// ?tta.

Il n’est certes pas dans mes attributions de correspondant de presse d’inviter qui que ce soit à m’imiter, aussi mets-je un point final à cet article en songeant, en mon for intérieur, bien sûr, qu’il y a des combats qui sont les combats de tous. À bon entendeur salut !

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1) www.zlv.lu/spip/spip.php?article7728, www.zlv.lu/spip/spip.php?article7737, www.zlv.lu/spip/spip.php?article7749.

2) Selon le Coran, Allah dit à Mahomet par la voix de l’ange : « ... Nous ne t’avons point envoyé pour être leur gardien » (4 : 80), c’est-à-dire « Pas d’obligation/coercition en religion » ; « Tu ne disposes pas sur eux de coercition » (50 : 45) a presque la même signification, mais en plus impératif à l’égard du Prophète, de ses successeurs et des autorités religieuses en général. « Tu n’es là que celui qui rappelle, tu n’est pas pour eux celui qui régit » (88 : 22-23) définit le rôle purement spirituel de la religion et de ses ministres, qui n’ont rien à prescrire ou interdire dans la vie sociale et politique. Ils ne peuvent que recommander.

3) Les salafistes sont les tenants d’une hérésie fondamentaliste musulmane traditionaliste et/ou djihadiste, la distinction entre ces deux tendances étant aussi mince que fluctuante. Leur lecture du Coran est aussi bornée, partielle et partiale que sacrilège.

4) Le CSP consiste en une série de lois promulguées en 1956 peu avant l’indépendance et entrées en vigueur en 1957, instaurant l’égalité entre l’homme et la femme dans nombre de domaines. Oeuvre du premier ministre et futur président Bourguiba, il donne à la femme une place inédite dans la société tunisienne et dans le monde arabe, abolissant notamment la polygamie, créant une procédure judiciaire pour le divorce et n’autorisant le mariage que sous consentement mutuel des deux époux. Ben Ali, le fait même renforcer, notamment avec l’amendement du 12.7. 1993 sur la matrilinéarité possible et les réformes de 1998 et 2003 reconnaissant la filiation naturelle.

Giulio-Enrico Pisani