Kultur20. Oktober 2021

Lilas Blano : rêveries … circassiennes ?

de Giulio-Enrico Pisani

Question d’octobre, question d’automne: qu’allez vous découvrir aux cimaises de la Galerie Schortgen Artworks (1) entre es dernières traces d’été indien les premiers frimas d’octobre? Bonne question, amis lecteurs, d’autant plus que c’est encore un demi secret. Je dis «demi...», car les toiles que vous pourrez y admirer ne sont pas encore suspendues; mais aussi «demi…», parce que les invitations au vernissage de cette nouvelle exposition de Lilas Blano sont déjà sorties et que la charmante galeriste m’a accordé, pour ainsi dire en avant-première, le privilège de les «visionner» à l’avance. Et voilà qui me permet, au lieu de vous en «parler», comme d’habitude, dans notre bonne vieille Zeitung quelques temps après son ouverture, de vous convier dès à présent au vernissage de l’exposition samedi 23 octobre de 15 h à 18 h en présence de l'artiste.

Et vos découvertes ce jour là, ou bien durant les quatre semaines suivantes, si vous préférez, vaudront à coup sûr le déplacement. Les tableaux de Lilas Blano rayonnent en effet le charme à l’état pur. L’artiste y représente des femmes, parfois accompagnées d’animaux de compagnie, d’un jouet ou de quelque fétiche. Parfois solitaires, ailleurs par deux, ou en groupe, elle leur donne des poses souvent étranges, artificielles, ici compassées et là souples, mais toujours gracieuses, qui s’épanouissent par la précision et l’humour du dessin, une rare richesse des couleurs et une brillante scénographie. Plus expressionniste et féérique que réaliste, son dessin s’associe à la richesse exubérante des couleurs pour plonger les scènes représentées dans une ambiance d’arrangement floral à faire pâlir d’envie le bouquet le plus bigarré et chatoyant.

Il est vrai que je vous l’ai déjà présentée par le passé, cette exubérante dessinatrice et coloriste créatrice d’une incroyable richesse de poses féminines qu’elle prête aux «actrices» de ses mises en scène. De même ne puis-je que répéter, qu’en dépit d’une affirmation déjà très marquée du style, la peinture de Lilas Blano que je découvris il y a près d’une quinzaine d’années, n’était pas encore celle d‘aujourd’hui. Aussi m’apparut chez elle à travers ses œuvres, lors de ses dernières expositions à Luxembourg, une ouverture de plus en plus marquée à la vie, à la joie et à une bonne dose d’insouciance. C’est ce qui me fit écrire en 2020, que déjà forte en 2016, où son expo intitulée «L’instant même» me la fit comparer aux joyeusetés du concerto de Moussorgski «Tableaux d'une exposition», cette ouverture à la joie s’épanouit encore davantage. La richesse et l’exubérance des poses, des toilettes et des couleurs, mais aussi dans les expressions des visages féminins, dont ont largement disparu froideur et scepticisme, s’épanouissent en un véritable hymne à la vie.

Autant pour 2018 et 2020 que 2016, car ce n’est plus tout à fait le cas en 2021. Mais ne craignez rien: aucun retour à la tristesse, à l’ironie, à l’aigre-doux de 2007 ou 2011! La joyeuseté graphique et picturale de sa scénographie est toujours là. J’ai tout au plus l’impression qu’à une période de chaleur estivale succède à présent une douceur semi-automnale. Ce n’est que mon opinion, bien sûr. Vous-vous ferez la vôtre. Moi – je vous l’avoue dès à présent je puise ce vague sentiment (je n’ose pas dire cognition) dans les yeux, le regard, l’expression de ses héroïnes, qui me semblent plus pensives, en quelque sorte moins certaines que les lendemains chanteront. Attention, je ne parle pas d’humeur sombre, loin de là. La vie a ses charmes et elles y brillent, la vivent intensément, magnifiquement même, tout en couleur, pétulante superficialité et jouissance du présent; mais, justement, rien que du présent. Un zeste d’incertitude ne manque, après tout ; pas de charme.

Il est vrai, ainsi que je l’écrivis jadis, qu’on peut avoir l’impression de retrouver dans les tableaux «tout feu tout femme» de Lilas Blano des reflets d’elle-même, donc de femmes sûres d’elles et de leur rôle, ici pensives et réfléchies, là pétillantes et brillantes, affichant une belle assurance et affirmant fièrement leur féminité délicieusement surannée. Mais c’est au fond toujours elle-même qu’elle représente, quelques soient les traits, le vêtement, la coiffure, ou sa démultiplication en compagnes qui peuvent l’accompagner comme autant de ses facettes. Oui, car il s’agit bien d’elle qui a écrit par ailleurs «La solitude a toujours été un processus de création pour moi. C'est la cour de récréation pour les nombreux personnages qui évoluent en moi. Je les peints quand ils me le permettent et avant qu'ils ne retournent à leurs occupations».

C’est donc toujours elle qui a le pouvoir de se projeter en imagination et en peinture hors du temps, n’importe quand depuis le milieu du 19ème siècle, dans un passé dont elle extrait le gai, le fantaisiste, le solaire. Les scènes, que ses multiples alter-ego composent sous le fin charbon et les pinceaux de Lilas Blano, caressent notre sens esthétique comme autant d’instantanées joyeuses qui se moquent de la mode du jour tout comme du temps qui passe... Du moins jusqu’à celui des opulentes mises en scène anachroniques que sont «Le cirque des Circassiennes», ou ces «Miss et Mistigri» songeuses accompagnées d’une sorte de peterbald (2) le dos arqué et l’air de bouder son voyage dans le temps. En fait, et demain? Carpe diem, cueille l’instant présent! Voilà ce qu’affiche le joyeux carnaval visuel qui vous enchantera chez Schortgen avec son charme un peu désuet, c’est vrai, particulièrement marqué dans des œuvres comme «Réminiscence» ou «Tantôt mère, tantôt fille», mais combien vivant!

Dans le style de Lilas Blano, sa marque, son cachet, aucun changement notable à signaler, ce qui m’amène à vous rappeler qu’une vague parenté avec la peinture d’un Toulouse-Lautrec, ne la rend nullement tributaire du maître dont elle possède néanmoins la puissante dynamique du trait. Le style de Lilas Blano est en outre tout à la fois rehaussé et adouci par une riche peinture à l’huile, où diverses nuances de turquoise et de verts, notamment chartreuse, mousse et canard, font contrappunto à une large gamme de saumon, orange, rose, rouge brique, sang de boeuf et rouille. La combinaison peut parfois paraître risquée, mais se révèle en fin de compte aussi réussie que certains accords harmoniques dissonants entre les notes de maints grands compositeurs. Sa palette est, elle, d’autant plus vaste et rehausse fortement la présence de ses «actrices» placées devant des plans moyens, ou/et arrière-plans très variés, qui les valorisent toujours avec un parfait à-propos.

L’orient est omniprésent dans l’oeuvre cette française d'origine circassienne qui est née en Syrie en 1965 et a étudié aux Beaux-arts de Reims. Encore étudiante, elle remporte le premier prix pour la bouteille de Champagne de collection BSN. (3) Diplômée, elle se consacre à la publicité et réalise logos et affiches. En 1991, elle rejoint à Londres les studios d’animation Amblimation de Steven Spielberg sur le film Les 4 dinosaures et le cirque magique. À partir de 1993 l’artiste dévoile pleinement son talent de peintre. Trois années durant, elle se consacre à la découverte de la peinture à l’huile. Puis, durant sa période montpelliéraine, elle peint la vie extérieure de la cité, les allées et venues du quidam. Après un dernier détour par les studios d’animation londoniens Warner Bros pour les films Space Jam en 1996 et Excalibur, l’épée magique en 1997, ainsi qu’en 2000 au Luxembourg pour Tristan et Iseult, elle se consacre pleinement à la peinture. Les expositions se suivent dès lors dans toute la France, aux USA et au Grand-duché, où Schortgen expose ses oeuvres notamment en 2007, 2011, 2013, 2016 et 2020. Affaire à suivre!

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1) Galerie Schortgen, 24, rue Beaumont, Luxembourg centre. Vernissage samedi 23 octobre de 15h à 18h en présence de l'artiste, exposition du 23 octobre au 24 novembre 2021.

2) Race de chat originaire de Russie (Wikipedia)

3)Acronyme de Boussois-Souchon-Neuvesel, groupe verrier puis agro-alimentaire.