Kultur

Publications exceptionnelles : Van Cauwelaert, Purnôde, Aragon...

Gilles Pudlowski a écrit que Didier Van Cauwelaert était le Magritte des lettres. Parmi les prix littéraires qui sont venus couronner une œuvre particulièrement vivante et dynamique, citons le Prix Goncourt pour « Un aller simple » en 1994, le Prix Del Duca pour « Vingt ans et des poussières » en 1982, le Prix Roger Nimier en 1984 pour « Poisson d’amour », le Prix Marcel Pagnol pour « Le Père adopté » en 2007. Impeccablement ciselés et foisonnants de trouvailles, les romans de Didier Van Cauwelaert nous invitent toujours à profiter de notre sursis sur cette terre pour réparer notre vie. Le Journal intime d’un arbre de Didier Van Cauwelaert, publié chez Michel Lafon (www.michel-lafon.com / www.lejournalintimedunarbre.com) nous invite, à travers le regard d’un arbre, à penser la vie autrement. L’arbre s’appelait Tristan, il avait trois cents ans, il avait connu toute la gamme des passions humaines. Une tempête vient de l’abattre, et c’est une nouvelle vie qui commence pour lui. Planté sous Louis XV, ce poirier nous entraîne à la poursuite du terrible secret de ses origines. Des guerres de religion à la Révolution française, de l’affaire Dreyfus à l’Occupation, il revit les drames et les bonheurs dont il a été le témoin, le symbole ou la cause. Mais, s’il est prisonnier de sa mémoire, il n’en reste pas moins lié au présent, à travers ce qui reste de lui : des racines, des bûches, une statue de femme sculptée dans son bois, et les deux êtres qui ont commencé à s’aimer grâce à lui. Comment fonctionne un arbre ? De quoi se compose sa conscience, de quelle manière agit-il sur son environnement ? Son récit posthume nous fait voir le monde, la nature et les hommes d’une manière nouvelle, par le biais d’une pensée végétale qui évolue au rythme d’un véritable suspense. Ce roman superbe est certes l’un des plus beaux que j’ai lu depuis la Rentrée Littéraire de l’automne. Un texte qui mérite assurément un autre Prix Littéraire.

C’est avec d’évidents plaisirs de lecture, que j’ai sillonné le N° 52/53 de la revue poétique et littéraire Diérèse, dirigée avec beaucoup de sensibilité et de savoir-faire par Daniel Martinez. Les livraisons de cette revue ont, par leur reliure, leur volume, tout de vrais livres. Le N° 52/53 est consacré à Thierry Metz, un poète d’une dimension universelle, reconnu dans les milieux littéraires comme un authentique poète. J’ai lu avec beaucoup de plaisir les poèmes de Françoise Han, d’Isabelle Lévesque, de Casimir Prat, de Jacques Ancet, de Gil Pressnitzer, de Josette Ségura, de Jacques Brémond, de Jean-Luc Aribaud et de Didier Schillinger.

De Georgette Purnôde, auteur belge à qui j’avais consacré en nos pages culturelles, une monographie, je viens de lire l’opuscule Je voudrais savoir, suivi de dans le sillage de Kathleen Van Melle, publié aux Editions du Gril (11, avenue du Chant d’Oiseaux B- 1310 La Hulpe). Dans cette publication, toute la grandeur d’âme de la poétesse jaillit, en une longue source intarissable. Dans une constante recherche d’absolu, Georgette Purnôde « mord dans la joue du monde », sur les traces du ou des sens de l’existence. Dans la seconde partie de la publication, elle entonne un chant poétique, tout en finesse, rendant hommage à Kathleen Van Melle, exprimant avec nostalgie et tendresse, cette poétesse, fille de l’éditeur Paul Van Melle, qui nous a quitté âgé de 24 ans seulement. A travers chaque page de ce livre, l’émotion rejoint une sincérité absolue, une sérénité étrange. En lisant avec une immense passion ce livre de Georgette Purnôde, j’écoutais la Sonate BW 1033 de Jean-Sébastien Bach (CD Dabringhaus und Grimm www.mdg.de « Sonates complètes pour flûte vol. 2 » MDG 309 0931-2). Purnôde termine son livre en invitant tous ceux qui ont aimé et aiment toujours Kathleen, à écouter parmi les lueurs vacillantes des bouleaux, la musique somptueuse de Bach. Il ne s’agit pas, ici, de hasard ! Ce petit livre est fait d’une tendresse immense envers l’humanité, envers la vie. Il s’agit d’un hymne exceptionnel.

Lionel Follet appartient à l’Equipe de recherche interdisciplinaire sur Aragon et Elsa Triolet. Il a publié notamment, « d’Aragon », l’édition renouvelée de « La Défense de l’Infini » (Gallimard 1997 - 2002) et « Papiers inédits 1917-1931 » (Gallimard, 2000). Aujourd’hui il s’est occupé de la publication de l’ouvrage Lettres à André Breton, 1918-1931, correspondance de Louis Aragon, publié dans la collection Blanche aux Editions Gallimard (www. gallimard.fr / www.folio-lesite.fr /www.decouvertes-gallimard. fr). Ces quelque cent soixante-dix lettres, entre le poète officiel du communisme français et André Breton, sont la chronique d’une amitié passionnée puis violemment rompue, en même temps qu’elles jalonnent un moment essentiel de la modernité du XXème siècle. Un premier ensemble réunit les lettres de 1918-1919, écrites du front, puis d’Alsace et de Sarre après l’Armistice. Médecin auxiliaire jeté en première ligne, Aragon a vécu de près la tuerie mondiale, naufrage d’une civilisation d’où naît la révolte Dada. Ensuite affleure l’histoire agitée du groupe surréaliste, en particulier son entrée dans l’action politique en communisme, et provoquer à terme sa rupture avec André Breton. Tant de noms au fil des pages témoignent de cette amitié née sous le signe de la littérature, et bientôt de sa critique radicale. Rimbaud puis Lautréamont, intercesseurs essentiels. Gide et Valéry, tôt délaissés. Apollinaire sous un jour inattendu. Reverdy, l’ange offensé. Soupault, le premier compagnon, puis Eluard, Desnos… . Sans oublier les alliés incommodes Tzara, Picabia… Précieuses enfin sont les lettres où Aragon commente son esthétique, l’écriture du poème qu’il vient d’achever, ou lorsqu’il analyse subtilement celui qu’il a reçu de Breton. Et puis il y aussi ces lettres où affleure déjà ce débat majeur entre eux, le roman. Incisives, jamais apprêtées, ces lettres attestent la vérité de l’instant : à leur égard, on ne pourra plus écrire la vie d’Aragon ni lire son œuvre tout à fait de la même façon. Un livre majeur et indispensable.

Michel Schroeder